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Nos Lecteurs ont la Parole

Justice, justice, tu poursuivras…

Par Sélim JAHEL
L'événement mérite d'être souligné. Le ministre de la Justice a réussi le tour de force de faire adopter contre vents et marées le projet de permutations établi par le Conseil supérieur de la magistrature agissant seul sans nulle contrainte ni interférence extérieure.
Bonjour l'État de droit ! La justice est un pouvoir étatique indépendant par rapport aux deux autres pouvoirs, et le juge est inamovible. Cela, c'est la Constitution qui le proclame. Elle le proclame haut et fort à l'adresse de tous les citoyens, il est étonnant que des hommes politiques qui aspirent à des postes de haute responsabilité dans l'État l'ignorent, à moins que, le sachant, ils tiennent la Constitution pour un chiffon de papier. Mais ça, au Liban, on ne peut pas le croire !
La justice a longtemps été une institution exemplaire, regardée comme le paradigme des toutes les vertus civiques. L'appareil judiciaire fonctionnait de manière remarquable suscitant respect et admiration dans les États voisins qui, souvent, envoyaient leurs magistrats stagiaires se former au Liban. Il était servi par des magistrats prestigieux tant par leur savoir que par leur probité, leur courage, leur hauteur de vue. Ils ont laissé derrière eux des traditions vivantes qui attendent d'être recueillies par leurs successeurs.
Mais la justice a toujours souffert des ingérences incessantes de politiques de tout bord, qu'il s'agisse de membres du gouvernement, de parlementaires ou même de petits feudataires ou chefs de clan cherchant à se vassaliser quelques juges. Elles prenaient la forme d'immixtion dans les nominations ou permutations de magistrats, soit même assez souvent, d'interventions directes auprès des cours et tribunaux pour tenter d'infléchir leurs décisions.
C'est ainsi qu'il y a eu, pendant près de cinq ans, un blocage net au niveau de l'Exécutif de tous les projets de permutation établis par le Conseil supérieur de la magistrature. On n'arrivait pas à nommer les jeunes magistrats sortis de l'Institut d'études judiciaires ni à pourvoir les postes vacants. Tout cela attendait, paraît-il, un consensus politique, et pendant tout ce temps, les politiques, comme d'habitude, se déchiraient et la justice restait en plan. On a pu constater, il est vrai, que de manière générale, « dans les périodes de grands bouleversements, la justice est oubliée, défigurée, parfois même délibérément violée » (Vincent, Guinchard, Montagnier... : Les institutions judiciaires, 5e édit. n° 28).
Longtemps oubliée, en effet, la justice au Liban a été durant ces dernières années quasi paralysée. La voilà qui redémarre. Organe vital de l'État, elle va pouvoir donner aux autre institutions étatiques quelque peu endormies un nouveau souffle. Le mérite revient, encore une fois, au Conseil supérieur de la magistrature qui a agi ici en parfait accord avec le ministre de la justice. À vrai dire, il n'a fait qu'assumer son rôle qui est celui de garantir l'indépendance des magistrats, particulièrement à l'égard de l'Exécutif. « L'existence même de cet organisme, écrit un auteur, a pour but de soustraire les magistrats à l'emprise du pouvoir exécutif et d'enlever au gouvernement la possibilité d'agir sur la carrière des juges » (G. Burdeau, Rev. Dr. Public 1946 p.562 et s., voir aussi Nasri Diab, Indépendance et impartialité du juge, Travaux et Jours 2005 n° 76).
Il reste que la véritable indépendance du juge ne se gagne que par sa pugnacité à se défendre lui-même contre toute forme d'ingérence, à rejeter les recommandations d'où qu'elles viennent. Il arrivait autrefois à des magistrats de les dénoncer publiquement en pleine audience, de verser dans le dossier les lettres ou cartes de visite qui en font état ; que les recommandations viennent d'un proche, d'un ami ou d'un personnage puissant, c'était pareil. Cela avait pour effet de couper court et de manière définitive à toute espèce d'intervention. Aucun politique n'osait après cela pointer son nez dans le cabinet du juge réfractaire.
Il est vrai que le magistrat reste un agent de l'État, mais ce n'est pas un fonctionnaire comme les autres ; il n'a pas de supérieur hiérarchique et il accomplit son travail sans ordres de personne. Sa nomination, sa mobilité relèvent, certes, d'actes émanant du gouvernement, mais il s'agit là d'une dépendance du type organique tenant à une organisation d'ensemble des services de l'État. Ils n'ont qu'un caractère purement formel, tout comme le décret par lequel le chef de l'État promulgue les lois votées par les députés sans pouvoir en changer les termes. Il doit en être pareil du projet établi par le Conseil supérieur de la magistrature (pouvoir indépendant) lorsqu'il est présenté par le ministre de la Justice à la signature des membres du gouvernement.
Certains pays vont encore plus loin. Ainsi en Italie, la justice a réussi à s'affranchir de toute tutelle gouvernementale. Aujourd'hui, les procureurs qui remplacent depuis 1989 la fonction des juges d'instruction sont nommés par un organisme indépendant. Est-ce pour cela qu'ils ont réussi à mener à bien des investigations sur la corruption des milieux politiques qu'on a appelés « opération mains propres » ? Ah ! combien une telle opération serait bienvenue au Liban.
Mais là, il faut éviter de tomber dans les excès, ce à quoi n'ont pu échapper les Italiens. Le juge ne doit pas se transformer en justicier ou, comme disait Bredin, en « héros purificateur », ce qui pourrait assez vite l'entraîner dans des courants politiques ou idéologiques et lui ferait perdre une large part de son objectivité. En France, les magistrats qui, après mai 68, se sont constitués en syndicat à l'instar des cheminots et des éboueurs n'échappent plus aujourd'hui à une forme de politisation des esprits et à des préjugés qui risquent de fausser leur jugement.
Indépendance signifie ici impartialité. C'est là une vertu cardinale sans laquelle l'idée de justice est inconcevable. Il n'est guère facile de l'observer. Il faut pour cela se défaire de ses inclinations personnelles qu'elle qu'en soit la nature. L'impartialité est une qualité qui se cultive comme un art ou une technique par la remise en question par le magistrat à tous les instants de sa conduite, de ses opinions, de tous ses jugements de valeur. « Le moyen d'acquérir la justice parfaite, écrivait Montesquieu, qui fut lui-même magistrat au Parlement de Bordeaux, c'est de s'en faire une telle habitude qu'on l'observe dans les plus petites choses et qu'on y plie jusqu'à sa manière d'y penser. »
Un magistrat n'est pas un être banal, qu'il s'agisse de son recrutement ou de son affectation à un poste sensible, il y a lieu de prendre en compte non seulement ses connaissances juridiques, mais les composantes chez lui d'une personnalité à même de susciter confiance et respect. Il incombe au Conseil supérieur de la magistrature et à lui seul de les apprécier en fonction de critères bien définis. À cet effet, il serait judicieux, comme on le préconise (Vincent, Guinchard, op. cit.), de recourir à des tests de personnalité, ceux-là même utilisés dans les cabinets de recrutement pour le secteur privé.
Rendre la justice, c'est accomplir un acte de souverain avec la fierté qu'on éprouve d'être le dépositaire d'une mission qui vous appelle à assurer au monde qui vous entoure la paix par la justice, la justice pour la paix. Henri IV, roi de France, était séduit par cette fonction : « Si je n'étais roi de France, disait-il, j'aurais voulu être conseiller au Parlement de Bordeaux. » Toge ou cape royale, on peut avoir l'embarras du choix ...
L'événement mérite d'être souligné. Le ministre de la Justice a réussi le tour de force de faire adopter contre vents et marées le projet de permutations établi par le Conseil supérieur de la magistrature agissant seul sans nulle contrainte ni interférence extérieure.Bonjour l'État de droit ! La...

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