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Liban - Hors piste

Rumeurs et certitude

Quelques jours avant le démarrage officiel tant attendu du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), le suspense bat son plein, nourri par les analyses fantasmagoriques d'observateurs plus ou moins biaisés et par l'anxiété d'un public assoiffé de sensationnel. L'événement qui occupera une place lumineuse et prépondérante dans l'histoire du Liban moderne est présenté, analysé, disséqué par les uns et les autres comme un feuilleton policier de série B dont le dénouement a trop tardé.
Jamil el-Sayyed et ses codétenus seront-ils transférés à La Haye, inculpés, libérés ou assignés à résidence? Des anciens ministres, aux affaires en 2005, seront-ils sommés de se rendre aux Pays-Bas pour témoigner ou être interrogés, voire jugés ? Le régime du Baas syrien se trouvera-t-il dans le box des accusés ? Bachar el-Assad livrera-t-il un ou plusieurs de ses officiers à la justice internationale ? Un scénario à la Lockerbie est-il à redouter ? Quid du « groupe des 13 », d'Ahmad Abou-Adas, d'une éventuelle implication d'islamistes dans l'assassinat de Rafic Hariri ?
Le tribunal international passionne la population car touchant de près son quotidien. Toutes les questions qu'elle se pose à son égard sont donc légitimes. Les réponses qui y sont apportées de part et d'autre le sont toutefois moins.
La vérité, selon des milieux politiques dignes de foi, quoi qu'enclins au pessimisme, est que personne ne connaît dès aujourd'hui la trajectoire que prendra un tribunal dont même le prétoire n'est pas encore prêt et ne le sera pas avant plusieurs mois. Tout le reste n'est que pures spéculations, parfois anodines, souvent malveillantes, en tout cas toujours boiteuses et qui constituent autant de tentatives, délibérées ou non, d'entamer la crédibilité du tribunal et donc de disculper d'avance la Syrie.
Une telle attitude est compréhensible, presque naturelle de la part des parties qui sont restées (devenues) fidèles aux caciques de Damas, n'osant pas (plus) les braver ou leur devant trop pour le faire. Pour ceux-là, toute rumeur en la matière est utile car si elle ne réussit pas à brouiller les pistes de l'enquête internationale, elle pourrait tout au moins discréditer davantage le tribunal aux yeux du public non partisan ou proche du 8 Mars. Surtout quand la rumeur en question insinue que l'assassinat de Rafic Hariri est le fait d'un groupuscule jihadiste sunnite. Le bénéfice est alors double pour le camp qui se réclame toujours de l'« opposition » bien que participant au gouvernement de (dés)union nationale. Dans ce cas, il prépare son public à rejeter d'office toute éventuelle sentence mettant en cause son allié syrien, tout en le remontant davantage, au profit de parties bien connues, contre l'establishment politique sunnite, accusé par le 8 Mars de financer les factions intégristes. Rafic Hariri s'en trouve alors jugé pour son propre assassinat et certains anciens militants contre l'occupation syrienne confortés dans leurs choix, alliances et hostilités.
La majorité, elle, s'est souvent laissé piéger au jeu des rumeurs et des contre-rumeurs, portant des coups involontaires à la crédibilité du tribunal spécial. Saad Hariri a fini par sonner un rappel à l'ordre en soulignant que le 14 Mars « veut la justice et acceptera la sentence des juges, quelle qu'elle soit ». On sent toutefois une certaine gêne qui persiste en filigrane dans les positions de cette coalition, un désir mal contenu de spéculer, d'anticiper, en attendant du tribunal des mesures concrètes qui puissent justifier ce que tout un chacun a deviné depuis le 14 février 2005.
Sauf que là n'est plus du tout la question. Les partisans de l'intifada de l'indépendance n'ont à ressentir aucune gêne, aucune angoisse en attendant la sentence ou les actes d'accusation du tribunal. Ce n'est pas pour justifier a posteriori son soulèvement contre l'occupation syrienne que le 14 Mars, lorsque des centaines de milliers de citoyens ont investi et réinvesti la place des Martyrs, a réclamé la mise en place du TSL. Les troupes des Assad se devaient de quitter le Liban, et le système sécuritaire qu'ils ont tissé ne pouvait que s'effilocher, qu'il s'avère un jour que Damas ait assassiné Rafic Hariri ou non. Car leur présence constituait une atteinte flagrante à la souveraineté du Liban, un obstacle intolérable au libre cours de sa vie démocratique, une menace pesante et de plus en plus fatale pour son existence. L'occupation de la Palestine par Israël ne peut en aucun cas justifier celle d'un pays arabe par l'armée d'une dictature voisine.
La revendication de la justice ne doit pas être confondue avec l'aspiration à l'indépendance. Elle participe plutôt d'un ras-le-bol général face à l'impunité effrontée qui perdure depuis le lâche meurtre de Kamal Joumblatt - là, personne n'oserait mettre en doute l'identité d'un assassin qui n'est que trop connu. Le TSL est le fruit d'une volonté populaire de signifier au monde entier, aux frères sans gêne surtout, que les Libanais ne se feront plus assassiner en silence ; que le meurtre politique ne sera plus admissible de ce côté de l'Anti-Liban ; que la violence ne fait plus peur et doit être sanctionnée ; que la mémoire collective libanaise ne peut plus accepter de vérité tronquée. Et là, le Printemps de Beyrouth a triomphé, car de silence il ne sera plus question à partir du 1er mars. De résignation non plus.
Et en attendant la sentence de la justice, dans 3, 5 ou 10 ans, peu importe, la seule certitude demeure que le cercle vicieux de l'impunité a été brisé et que l'ancien occupant continuera à assumer la responsabilité politique des meurtres commis au su et au vu de ses janissaires, quel que soit le verdict final.
Quelques jours avant le démarrage officiel tant attendu du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), le suspense bat son plein, nourri par les analyses fantasmagoriques d'observateurs plus ou moins biaisés et par l'anxiété d'un public assoiffé de sensationnel. L'événement qui occupera une place lumineuse et prépondérante dans...
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