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Nos Lecteurs ont la Parole

II – Tribunal spécial pour le Liban : au passif, une opposition de chaque instant

Par Pr Nasri Antoine DIAB

Pour l'histoire, car les peuples ont la mémoire courte et les responsables l'ont oublieuse, et avant toute tentative de réécriture, il faut retenir que l'appui à la création du tribunal international est venu d'une très large frange de la population libanaise, de la majorité parlementaire, de la plupart des pays arabes et de la quasi-totalité de la communauté internationale. Mais il ne faut malheureusement pas oublier que des obstacles quasi insurmontables ont été érigés sur le long chemin menant à La Haye : à l'extérieur, par l'État voisin directement visé par l'enquête internationale et par les nombreuses résolutions du Conseil de sécurité ; et à l'intérieur, par ses alliés : le président de la République de l'époque et le Hezbollah qui, ensemble, ont bloqué le pouvoir exécutif, le président de la Chambre des députés et chef du mouvement armé Amal qui a paralysé le pouvoir législatif et, enfin, le Courant patriotique libre qui leur a assuré une couverture politique et morale (voir L'Orient-Le Jour du            vendredi 13 février 2009).
Pourtant, le tribunal international répond aux plus hauts critères et standards. Et des quinze membres du Conseil de sécurité, qui représentent les cinq continents, toutes les religions et tous les régimes constitutionnels de la planète, aucun ne s'est opposé le 30 mai 2007 au statut du tribunal et aucun n'a voté contre la résolution 1757 (2007) : les États-Unis, la Fédération de Russie, la France, la Grande-Bretagne, la Chine, l'Afrique du Sud, la Belgique, la République démocratique du Congo, le Ghana, l'Indonésie, l'Italie, le Panama, le Pérou, le Qatar et la Slovaquie.
La seule opposition vocale et publique est venue de la Syrie et de ses alliés au Liban. Mais tous ceux qui ont présenté des arguments techniques contre le tribunal international ont occulté l'existence d'une juridiction d'exception, nettement plus dangereuse et tellement aberrante, qui a fonctionné au Liban de 1978 à 1983 et dans laquelle les magistrats libanais étaient minoritaires ! Il s'agit du tribunal sécuritaire spécial instauré par la loi n° 2/78 du 15 février 1978 qui avait pour mission exclusive de connaître des crimes et des délits commis par/ou à l'encontre du personnel des forces de sécurité arabes stationnées au Liban qui, à l'époque, étaient devenues exclusivement syriennes. Ce tribunal, dont le siège était situé à Beyrouth et qui faisait application des règles de procédure en vigueur devant les juridictions militaires libanaises et du droit libanais substantiel, était composé de cinq membres : un magistrat et un officier de nationalité libanaise, et trois officiers des forces arabes ; l'officier libanais le présidait. Les fonctions du ministère public étaient remplies par des magistrats délégués auprès de ce tribunal spécial par le procureur général près de la Cour de cassation libanaise. L'instruction était conduite par un collège composé de cinq officiers, trois Libanais et deux relevant des forces arabes, et présidé par un officier des forces arabes. Le greffe était composé de fonctionnaires détachés du ministère libanais de la Justice. Les fonctions de ce tribunal spécial ont pris fin par le décret n° 603 du 19 mai 1983.
Il n'est pas nécessaire de revenir sur les manœuvres juridico-constitutionnelles qui ont débuté, en décembre 2005, simultanément avec l'assassinat du député Gebran Tuéni lors de la discussion du principe de la constitution du tribunal international, par la suspension par les cinq ministres représentant le Hezbollah et Amal de leur participation au gouvernement et qui ont abouti, en novembre 2006, simultanément avec l'assassinat du député et ministre Pierre Gemayel lors de la discussion du projet du statut du tribunal et du traité international, à la démission de ces cinq mêmes ministres suivi d'un sixième qui représentait le président de la République. Il suffit de rappeler, pour la postérité, certaines prises de position politiques symptomatiques des quatre leaders qui ont tenté d'entraver la mise en place du tribunal.
Le président de la République de l'époque a publié dans la presse du 30 octobre 2006, à quelques jours du lancement des manœuvres juridico-constitutionnelles au sein du gouvernement, un communiqué contenant ses remarques sur le projet non officiel de traité et de statut du tribunal. Il s'agit de vingt-six remarques, quatorze sur le statut et douze sur le traité, qui attaquent le projet sous tous ses angles, à commencer par la dénomination du tribunal et pour finir avec le lieu où la peine devra être purgée par les condamnés. En conclusion de la deuxième remarque, le président estime que s'il ne donne pas, avec le Premier ministre, son accord total sur la forme et le fond du texte, celui-ci ne pourra pas être soumis au Conseil des ministres, ce qui lui donne ainsi un droit de blocage à la source qui empêcherait, selon lui, l'arrivée du texte au Conseil des ministres dans une première étape et, automatiquement donc, son arrivée au Parlement dans une deuxième étape.
Le secrétaire général du Hezbollah a repris à son compte, le 26 août 2005, dans une entrevue accordée au quotidien koweïtien al-Ra'i al-Aam l'antienne syrienne selon laquelle la Syrie n'est pas responsable de l'assassinat de Hariri, mais en est la victime, que les bénéficiaires de cet attentat sont les ennemis du Liban qui veulent faire appliquer la résolution 1559 (2004) et que l'enquête ne doit pas être « politisée ». Dans ce qui démontre une parfaite harmonie des points de vue du Hezbollah et de la Syrie, l'accusation de « politisation » de l'enquête est reprise le lendemain même, le 27 août, par des responsables syriens. Pour sa part, le président de la Chambre des députés et chef du mouvement Amal a défendu, dans un discours prononcé le 31 août 2005, à l'occasion du vingt-septième anniversaire de la disparition de l'imam Moussa Sadr, la thèse d'un complot antisyrien, ajoutant que l'assassinat de Hariri avait pour objectif de causer une « fitna » entre les sunnites et les chiites.
Le parlementaire et chef du Courant patriotique libre, allié du Hezbollah et Amal avec lesquels il finira par occuper manu militari le centre-ville pendant plus d'un an et dont il applaudira l'invasion armée de la capitale en mai 2008, déclare le 7 février 2007, à la chaîne de télévision du Hezbollah al-Manar, que la signature par les Nations unies du traité instituant le tribunal sera « sans valeur », car elle aura précédé la signature des autorités libanaises, et que si la signature des Nations unies n'est pas accompagnée de la signature libanaise, ceci signifiera la disparition de la souveraineté libanaise et la mise du Liban sous tutelle internationale. Le 5 avril 2007, il accuse de « haute trahison » les soixante-dix députés qui avaient envoyé le 3 avril 2007 une pétition au secrétaire général des Nations unies lui demandant de prendre toutes les mesures prévues dans la Chartes des Nations unies qui permettent de créer le tribunal international pour faire face au blocage des institutions libanaises et il demande que ces députés, qui représentent la majorité parlementaire pour la première fois démocratiquement et librement élue, soient mis en jugement car, selon lui, ils ont renoncé à la souveraineté nationale au profit d'une tutelle étrangère.
Enfin, la Syrie, qui a prétendu dès le premier jour ne pas être concernée par l'enquête internationale, ni par la création du tribunal international, n'a pas hésité, alors même qu'elle n'est pas membre du Conseil de sécurité, à se faire représenter, de sa propre initiative, aux nombreuses réunions du Conseil au cours desquelles ces questions ont été discutées. Qu'elle l'ait fait prouve qu'elle se sentait directement concernée par la question, et que le Conseil l'ait accueillie démontre qu'il considérait que les intérêts de la Syrie étaient particulièrement affectés au sens de l'article 31 de la Charte des Nations unies.

 

***

 

Beaucoup a été fait en quatre ans, beaucoup d'encre a coulé et trop de sang et de larmes aussi, beaucoup d'obstacles ont été surmontés, beaucoup reste à faire sans doute. Mais, comme l'a confié aux professeurs Newton et Scharf (« Ennemy of the Sate : The Trial and Execution of Saddam Hussein ») l'une des personnes qui ont travaillé auprès de la Haute-Cour criminelle irakienne, le moment le plus dramatique et le plus exaltant a été celui où elle a vu pour la première fois le tyran défait, Saddam Hussein, assis au banc des criminels devant ses juges.

Pr Nasri Antoine DIAB
Avocat à la Cour

Pour l'histoire, car les peuples ont la mémoire courte et les responsables l'ont oublieuse, et avant toute tentative de réécriture, il faut retenir que l'appui à la création du tribunal international est venu d'une très large frange de la population libanaise, de la majorité parlementaire, de la plupart des pays arabes et de la...

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