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Liban - Hors piste

Ni Khomeyni ni le chah

Il est impossible de mener aujourd'hui la moindre bataille politique au Liban-Sud, si l'on ne porte pas le drapeau jaune ou si l'on n'a pas reçu, au préalable, la bénédiction de ceux qui le brandissent. Ce n'est pas que cette région soit, de par la composition de son tissu social ou la culture de sa population, hermétique à l'autre, hostile à la pluralité, au débat, à la différence. C'est en effet tout simplement le contraire qui ressort de son histoire faite de diversité, de multipartisme, d'ébullition politique et sociale au cours de laquelle le « vivre ensemble » a rarement été violé.
C'est juste que le Hezbollah a verrouillé, mis en coupe réglée le Liban-Sud par la menace latente et permanente des armes, la séduction des dollars « halal » et l'exercice de la violence intellectuelle avec un doigté divin, une dextérité d'ayatollah. Tel des Parques en turban, les caciques du parti de Dieu tiennent entre leurs mains la destinée politique de toutes les formations présentes du côté de Jabal Amel, y compris celle de Nabih Berry, tout successeur de Moussa Sadr qu'il est. Si l'action politique et électorale du chef d'Amal lui-même dans le Sud est largement tributaire de la volonté de ses alliés et naguère adversaires du Hezbollah, que pourrait faire le 14 Mars outre-Litani ? Rien ou presque.
Sauf que c'est exactement là que réside le dilemme qu'affronte l'actuelle majorité en cette veille d'élections. Se rendre à la dure, très dure réalité du Liban-Sud, jouer la politique de l'autruche et feindre que cette région n'existe pas, qu'on ne la connaît pas, qu'on ne sait pas comment s'y rendre, sera synonyme de rien de moins que d'un grave délit d'incohérence. Une telle attitude poussera les gens du Sud à croire - davantage - que le Hezbollah est leur unique interlocuteur politique, que les autres formations les délaissent et les méprisent. Une option pareille placera encore plus le Sud à l'extérieur du jeu politique aux enjeux étatiques et l'enfoncera davantage dans le giron du parti de Dieu, loin du débat démocratique, de la compétition électorale, de l'opposition pacifique avec l'autre. Bref la léthargie en la matière est aux antipodes du discours défendu par la coalition du 14 Mars.
Cela signifie-t-il pour autant que la majorité devrait présenter des listes électorales dans cette région ou y appuyer certains candidats ?
Un haut responsable des forces du 14 Mars indique à cet égard que ce camp projette de soutenir publiquement et sans équivoque la candidature du chef de l'Option libanaise, Ahmad el-Assaad, dans le Sud. Or cette stratégie semble être encore plus hasardeuse que la passivité absolue.
En premier, mis à part Jezzine et ses environs - et encore -, aucun candidat non autorisé par le Hezbollah ne pourra percer au Liban-Sud. Nul n'est assez dupe pour croire le contraire. Toute personne qui daignera y postuler à la députation contre le parti de Dieu aura plus de partisans tabassés que de voix dans les urnes. Et même si le Hezbollah décidait dans un moment de magnanimité de tolérer ses adversaires électoraux, ça sera simplement pour se vanter à l'issue du scrutin d'avoir fait montre de respect pour le multipartisme et la libre concurrence démocratique, et d'avoir remporté les élections au Sud en bonne et due forme, loin de toute menace des armes. D'où l'inutilité quasiment totale de toute candidature, qui ne fera, dans les faits, que présenter un adversaire faible et gratuit ainsi qu'un semblant de légitimité électorale à la formation islamiste.
D'autres considérations liées à la personne même d'Ahmad el-Assaad devraient inciter la majorité à ne pas s'associer à lui. Non seulement le chef de la microscopique Option libanaise ne s'est pas démarqué de la lignée politique rétrograde des Assaad, mais de plus, il s'est dit à plusieurs reprises fier d'y appartenir. Loin d'apporter une vision nouvelle pour l'avenir de la communauté chiite, Ahmad el-Assaad ne fait qu'assaisonner à une sauce pro-occidentale et proarabe édulcorée l'héritage féodal qu'il a reçu en partage.
Toute personne un tant soit peu familière avec la rue chiite connaît la haine atavique, culturelle qu'elle voue à ses anciens seigneurs assaadistes qui se sont arrogé tous les droits tout en s'exemptant de tout devoir. Une animosité qui se reflète dans les dizaines d'anecdotes que se transmettent les habitants du Sud de père en fils, dont la suivante : « Une délégation de villageois, dit-on, s'est rendue auprès du seigneur Assaad, pour réclamer une école pour leurs enfants. Après avoir écouté leurs doléances, le féodal leur répond : "Pourquoi donc avez-vous besoin d'éducation ? J'ai bien envoyé mon fils étudier en Suisse pour vous ! " »
C'est dire combien l'image de la majorité s'assombrirait dans le Sud si elle appuyait ouvertement ou implicitement la candidature d'Ahmad el-Assaad. Ce sera d'ailleurs le meilleur service à rendre au Hezbollah qui cherche à prouver par tous les moyens que le 14 Mars « veut ressusciter l'époque où la communauté chiite était écrasée ». Rien de mieux pour rebuter cette collectivité que de s'associer avec le descendant de ses oppresseurs simplement parce qu'il a, aux dires d'une source de la majorité, ses entrées dans le Golfe et aux États-Unis. Chose qui ne compense pas son défaut d'innovation et de crédibilité populaire.
D'ailleurs, sous prétexte de ne pas courroucer le Hezbollah, ou Nabih Berry, ou l'on ne sait qui, les pôles de la majorité avaient refusé de donner la parole à Habib Sadek à l'époque du Rassemblement du Bristol, perdant ainsi un irremplaçable allié au Sud. L'on comprend mal alors pourquoi ils s'allieraient aujourd'hui avec celui qui n'a ni la profondeur, ni la probité intellectuelle, ni l'assise populaire de la figure de gauche qu'est Habib Sadek.
Il est encore temps de se rattraper, pour le 14 Mars qui ne s'est encore engagé dans aucune démarche en la matière. Trouver un troisième chemin entre le soutien à de (mauvais) candidats dont la perte est inéluctable et la passivité absolue n'est pas impossible. Il suffira de s'abstenir de présenter ou d'appuyer la moindre candidature, en accompagnant cette mesure par une action politique adressée aux habitants du Sud afin de leur expliquer les circonstances de la décision de la majorité de ne pas mener la bataille électorale dans leur région : lettre ouverte, rassemblement d'intellectuels proches du 14 Mars originaires du Liban-Sud, etc. Tout autre choix ne fera que compliquer l'écheveau des relations entre le 14 Mars et la rue chiite, gouvernées jusqu'à présent par une incompréhension mutuelle, obstacle solide à l'édification de l'État.
On n'exorcise pas le présent de ses maux en réveillant les fantômes du passé.
Il est impossible de mener aujourd'hui la moindre bataille politique au Liban-Sud, si l'on ne porte pas le drapeau jaune ou si l'on n'a pas reçu, au préalable, la bénédiction de ceux qui le brandissent. Ce n'est pas que cette région soit, de par la composition de son tissu social ou la culture de sa population, hermétique à l'autre, hostile...
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