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Nos Lecteurs ont la Parole

I -Tribunal spécial pour le Liban : l’heure du bilan

Par Pr Nasri Antoine DIAB


Instituée le 7 avril 2005 par la résolution du Conseil de sécurité portant le numéro 1595 (2005) du 7 avril 2005, la commission d'enquête internationale indépendante présidée par un commissionnaire cessera d'exister le 28 février 2009 pour être remplacée, en vertu notamment de la résolution 1852 (2008) adoptée le 17 décembre 2008, par le bureau du procureur. Ce bureau constitue l'un des trois organes du Tribunal spécial pour le Liban, avec les chambres et le greffe, auxquels il faut ajouter le bureau de la défense, tel que prévu dans la résolution 1757 (2007) du 30 mai 2007. Ainsi donc, l'enquête internationale, qui avait été entamée avec éclat par l'Allemand Detliev Mehlis le 13 mai 2005 dans la foulée du rapport du 24 mars 2005 de la mission d'établissement des faits présidée par l'Irlandais Peter Fitzgerald, qui s'est poursuivie en toute discrétion sous la présidence du Belge Serge Brammertz du 11 janvier 2006 au 16 novembre 2007, et encore plus discrètement depuis lors sous celle du Canadien Daniel Bellemare, changera à partir du 1er mars 2009 de cadre juridique et géographique : le procureur se substituera au commissionnaire (bien qu'il s'agisse de la même personne, Daniel Bellemare) et La Haye remplacera Beyrouth. Le bureau du procureur poursuivra seul l'enquête - les autorités libanaises étant alors dessaisies - en vue de la réunion des éléments de preuve suffisants pour justifier une mise en accusation devant le tribunal.
Au Liban, l'heure est au bilan : à l'actif, il s'agit d'analyser le statut actuel du dossier Hariri ; au passif et pour l'histoire, il faut identifier ceux qui ont tout tenté pour empêcher que le dossier aboutisse à La Haye.

À l'actif, un acte d'accusation qui se prépare
Le Liban vit, depuis le 1er janvier 2009 et jusqu'au 28 février 2009, dans une phase de transition. Cela a été annoncé par le secrétaire général des Nations unies et le commissionnaire dans leurs rapports présentés au Conseil de sécurité, le premier le 26 novembre 2008 dans son troisième rapport sur l'application de la résolution 1757 (2007), et le second le 2 décembre 2008 dans son deuxième rapport (qui est le onzième de la commission). Et cela a été repris par le Conseil de sécurité dans la résolution 1852 (2008) adoptée le 16 décembre 2008 qui a prorogé le mandat de la commission pour une dernière fois, du 1er janvier au 28 février 2009, afin de lui permettre de poursuivre son enquête sans interruption et de transférer progressivement ses activités, son personnel et ses moyens à La Haye en vue d'achever la transition au moment où le tribunal commencera à fonctionner.
Quatre ans après l'assassinat du président Hariri, le 14 février 2005, le Tribunal spécial pour le Liban s'apprête à entamer ses activités. Dans son troisième rapport daté du 26 novembre 2008, qui a été remis au président du Conseil de sécurité conformément aux dispositions de la résolution 1757 (2007) et qui est le premier à avoir été préparé par le successeur de Nicolas Michel, Patricia O'Brien, nommée le 6 août 2008 secrétaire générale adjointe aux Affaires juridiques et conseillère des Nations unies, Ban Ki-moon fixe au 1er mars 2009 la date du début des activités du tribunal, se déclarant « convaincu que la création du Tribunal spécial, maintenant imminente, témoignera avec éclat de la volonté résolue du gouvernement libanais et de l'Organisation des Nations unies de mettre fin à l'impunité au Liban ». Quelques jours plus tard, le 30 novembre 2008, il fait une annonce officielle en ce sens. L'emplacement du siège du tribunal a été fixé dans les faubourgs de La Haye, et les travaux de sécurisation et d'aménagement des locaux vont bon train ; les juges libanais et internationaux (leurs noms n'ont pas encore été dévoilés, pour des raisons de sécurité), le procureur (Daniel Bellemare) et le greffier (Vincent Robin) ont été nommés ; le règlement de procédure et de preuve et autres documents juridiques nécessaires sont en cours d'élaboration par un groupe de travail formé par le conseiller juridique des Nations unies ; le comité de gestion qui regroupe les pays donateurs qui alimentent le Fonds d'affectation spéciale créé le 19 juillet 2007 par le secrétariat de l'Organisation des Nations unies pour recueillir les contributions destinées à financer la création et les activités du tribunal se réunit régulièrement et suit de près la préparation du budget, le recrutement du personnel et les conditions d'emploi des juges et du personnel ; enfin, les besoins de financement sont satisfaits : le fonds contient déjà US$ 55 millions, dont US$ 51 millions resteront disponibles pour la première année du budget.
Le fait que le tribunal commence à fonctionner le 1er mars 2009 ne signifie pas que des personnes seront immédiatement mises en accusation et comparaîtront devant les juges. Cela est source de « frustration du peuple libanais » comme l'a justement reconnu Daniel Bellemare dans son dernier rapport, mais il est indispensable que le dossier qui sera présenté aux juges soit inébranlable. Pour reprendre ce qu'avait dit en 1945 le procureur en chef au procès de Nuremberg, le magistrat américain Robert Jackson, « we must establish incredible events by credible evidence ». En effet, le procès portera non seulement sur l'assassinat du président Hariri et de ses vingt-deux compagnons, mais potentiellement sur dix-neuf des vingt dossiers qui avaient été au fur et à mesure joints à l'enquête internationale, depuis celui de l'attentat du 1er octobre 2004 dirigé contre le ministre Marwan Hamadé jusqu'à celui du 25 janvier 2008 qui avait coûté la vie à l'officier de liaison entre les Forces de sécurité intérieure et la commission, le capitaine Wissam Eid ; seul jusqu'à présent le seizième dossier joint, celui de l'attentat qui a détruit en date du 13 février 2007 deux bus à Aïn Alak et causé la mort de trois personnes, a été écarté après que les autorités libanaises eurent entamé le procès de vingt-neuf personnes mises en accusation, ce qui ne nécessite plus l'intervention de la juridiction internationale. Le procureur ne déposera aucun acte d'accusation tant qu'il estimera ne pas disposer de suffisamment d'éléments de preuve pour atteindre « le seuil légal applicable » ; il présentera alors un acte d'accusation au juge de la mise en état pour confirmation. Or, comme l'indique Daniel Bellemare dans son rapport du 2 décembre 2008, il semble que le seuil légal soit en bonne voie d'être atteint, puisque pas moins de 10 000 pièces à conviction ont déjà été recensées, et s'il s'abstient de donner plus de détails, c'est parce que cela nécessiterait de rendre publique l'identité de personnes, ce qui mettrait leur vie en danger et menacerait l'intégrité de l'enquête.
Le 2 décembre 2008, le rapport de Daniel Bellemare, actuel chef de la commission et futur procureur du tribunal nommé à ce poste par le secrétaire général depuis le 12 novembre 2007 lors de sa désignation pour remplacer Serge Brammertz à la tête de la commission à partir du 31 décembre 2007, a été remis au Conseil de sécurité. Suivant en cela le modèle de son premier rapport du 28 mars 2008, Bellemare se contente à nouveau d'un texte court comparé à ceux présentés par ces deux prédécesseurs : seulement soixante-quatre paragraphes en onze pages (accompagné d'un organigramme en annexe). Malgré sa concision, ce rapport est fort instructif par ce qui y figure et ce qui n'y est pas dit. Il faut relever plusieurs points saillants qui y sont expressément notés : l'existence du « réseau Hariri » est bien établie et les recherches se concentrent maintenant sur le lien entre de nouvelles personnes et ce réseau, ainsi qu'entre l'attentat qui a visé le président Hariri et les autres attentats ; plus de 10 000 pièces à conviction, constituant donc de sérieux éléments de preuve utilisables dans un procès pénal, sont entre les mains de la commission, dont plus de 7 000 ayant un rapport avec l'affaire Hariri ; la sécurité des membres de la commission et celle de ses biens semblent être directement menacées, la commission semblant craindre que les pièces à conviction et les documents qu'elle a assemblés ne soient la cible de tentatives de destruction ou de vol avant leur transfert à La Haye ; les mesures de protection des témoins ont été prises, et plusieurs États se sont déclarés disposés à accueillir des témoins et des sources confidentielles nécessitant une protection. De ce qui n'est pas dit dans le rapport, il faut s'arrêter sur deux points majeurs : pour ce qui est des personnes placées en détention, dont les quatre officiers supérieurs qu'elle ne nomme pas dans ce rapport et qui avaient été arrêtés le 30 août 2005 sur recommandation du commissionnaire Detliev Mehlis, la commission affirme que « seules » les autorités libanaises « ont compétence pour détenir ou libérer des personnes au Liban » et qu'elle a continué de fournir à ces autorités toutes les informations dont elles avaient besoin pour prendre une décision de manière indépendante sans recourir à elle pour ce qui touche les mises en détention, mais il n'est nulle part dit que la commission a recommandé leur mise en liberté ou qu'elle a retiré la recommandation faite par Detliev Mehlis de les placer en détention, ce qui semble, comme nous le verrons plus loin, sceller leur sort pour ce qui est du transfert à La Haye ; et pour ce qui est des dix précédents rapports de la commission, y inclus donc le rapport intérimaire de Detliev Mehlis du 25 août 2005 et ses deux rapports explosifs des 20 octobre et 11 décembre 2005, la commission n'en désavoue aucun ni en totalité ni en partie, les intégrant à son travail en cours, dans une continuité ininterrompue. Enfin, le rapport note qu'en attendant le début du fonctionnement du tribunal le 1er mars 2009, la commission transférera progressivement ses opérations, son personnel et ses biens à La Haye, ce qui permettra au bureau du procureur de disposer du personnel nécessaire pour être pleinement opérationnel dès l'entrée en fonction du tribunal. Et de conclure : « Le peuple libanais a montré qu'il était véritablement attaché à la cause de la justice. Dans sa quête de la justice, il doit montrer qu'il est tout aussi résolu à respecter l'indépendance et l'impartialité d'un processus judiciaire qui ne doit être assujetti à aucune date ou conclusion prédéterminée. »
L'article 4 du statut du tribunal prévoit que celui-ci doit, dans les deux mois qui suivent son entrée en fonction, donc avant le 30 avril 2009, demander aux autorités libanaises de se dessaisir en sa faveur ; les personnes arrêtées dans le cadre de l'enquête seront alors déférées au tribunal, lequel sera également mis en possession de l'intégralité du dossier et éléments de l'enquête. Tout cela aura lieu avant les élections parlementaires du 7 juin prochain.

Pr Nasri Antoine DIAB
Avocat à la cour

 

Prochain article : Au passif, une opposition de chaque instant

Instituée le 7 avril 2005 par la résolution du Conseil de sécurité portant le numéro 1595 (2005) du 7 avril 2005, la commission d'enquête internationale indépendante présidée par un commissionnaire cessera d'exister le 28 février 2009 pour être remplacée, en vertu notamment de la résolution 1852...

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