Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Nationalité Pourquoi s’acharne-t-on à priver les femmes libanaises d’une pleine citoyenneté ?

Suzanne BAAKLINI À l’instar des autres femmes arabes, à quelques (récentes) exceptions près, la femme libanaise ne peut transmettre sa nationalité ni à son mari ni à ses enfants étrangers. Les initiatives pour changer cette situation se multiplient récemment. Le combat pour accorder le droit à la femme de transmettre sa nationalité libanaise à sa famille ne date pas d’hier, cela fait plusieurs années qu’il est en cours. Mais, comme l’explique Roula Masri, coordinatrice de la campagne « Ma nationalité, un droit pour ma famille et pour moi » du Collectif pour la recherche et la formation sur le développement – Action (CRTDA, la campagne rassemble de nombreuses associations), qui a fait de cette cause son cheval de bataille depuis plus de cinq ans, la campagne est passée à une nouvelle étape. « C’est en juillet 2008 que la campagne a officiellement lancé son étape de revendication des droits, après une première période de sensibilisation et de collecte de données, souligne Mme Masri. Nous avons effectué notre premier sit-in devant le siège du Conseil des ministres, le 24 juillet. La déclaration ministérielle était alors en train d’être rédigée. Nous avions demandé que les réserves libanaises sur la Convention sur l’élimination de tout genre de discrimination contre les femmes (Cedaw) soient levées, et que le droit de la nationalité soit accordé aux Libanaises. Dans la déclaration, il a simplement été précisé que le gouvernement s’engage à appliquer l’intégralité de la convention, mais sans plus de détails. La nationalité n’a pas été évoquée. Nous avons dénoncé ce fait dans un communiqué. » Un autre rassemblement a suivi, le 10 octobre, à la place des Martyrs, cette fois avec les enfants de mères mariées à des étrangers, qui ont créé un cèdre avec leurs photos. D’autres mouvements de revendication pacifiques devraient suivre. Mais il n’y a pas que cela. Des délégations du CRTDA font actuellement la tournée des hauts officiels, des leaders, des chefs de blocs parlementaires… « Nous sommes dans une période de suivi au niveau des dossiers politiques, précise Roula Masri. Nous ne sommes pas passées à cette étape par hasard, mais par stratégie. » Selon elle, les réactions des hommes politiques ne sont généralement pas négatives, même s’il y a des réserves parfois. Dans son dernier communiqué, la campagne reprend cependant trois déclarations très claires à ce propos : la première par le ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud, sur la nationalité comme étant « un droit naturel que nous travaillerons à transformer en droit garanti par les lois » ; la deuxième par le patriarche maronite Nasrallah Sfeir qui a relevé « la nécessité de s’intéresser au droit de la femme libanaise à donner sa nationalité » ; et la troisième par le Premier ministre Fouad Siniora qui dit avoir déjà « présenté un projet qui donnera aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants après dix ans de mariage ». Le communiqué s’attarde aussi sur la loi de naturalisation des émigrés d’origine libanaise, précisant qu’elle devrait mentionner très clairement les droits des émigrés de mère libanaise. « Le droit de transmission est primordialement vu comme un accès à la citoyenneté totale, explique Roula Masri. C’est un passeport vers la santé, la Sécurité sociale, l’éducation… Si seul le lien de sang est reconnu au Liban, et non le lien de terre, pourquoi alors cette discrimination entre hommes et femmes ? Comme le dit le ministre Baroud, le lien de sang est d’autant plus puissant qu’il provient de la mère. » Parce qu’il faut savoir que cette question de transmission de la nationalité n’est pas une pure formalité juridique. Il y a des femmes et des hommes qui en souffrent tous les jours au Liban, essuyant les complications administratives, les humiliations et les privations. Des témoignages poignants (relatés plus bas) montrent l’étendue des dégâts dans de multiples familles dont le père est étranger. Plusieurs projets de loi au Parlement Il y aurait eu, ces dernières années, plusieurs projets de loi pour l’octroi par la femme de la nationalité à sa famille présentés au Parlement. Actuellement, la députée Gilberte Zouein a présenté, selon le CRTDA, un projet de loi dans le cadre de la commission pour la Femme et l’Enfant, mais il n’aurait pas encore trouvé sa voie vers la commission de l’Administration et de la Justice. Il a été impossible de vérifier ces informations ou la teneur exacte du texte avec la députée, que nous avons tenté en vain de contacter durant plusieurs jours. Par ailleurs, dans son dernier communiqué, le CRTDA reprend les propos du ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud à une station de radio en septembre dernier, dans lesquels il assure qu’il est en train de préparer un projet de loi à être discuté en Conseil des ministres, et qui sera fondé « sur le principe de lien de sang du côté de la mère ». Il est évident que tous ces projets de loi insistent sur le droit de la femme à octroyer sa nationalité à sa famille, mais le plus important est de déterminer quel est leur plafond, en se basant sur quelques points essentiels : ces projets prévoient-ils de revendiquer le droit d’octroi de la nationalité au mari et aux enfants, ou simplement aux enfants dans une première étape (option pragmatique, pour éviter un refus total, à l’instar de ce que les militantes égyptiennes ont obtenu pour leurs compatriotes mariées à des étrangers) ? Insistent-ils sur la primordialité du caractère rétroactif (en effet, sans cela, tous les problèmes que connaissent les enfants déjà nés de mère libanaise et non naturalisés ne seront pas réglés, or c’est pour eux que la campagne est menée) ? Ces projets de loi s’accompagnent-ils d’une possibilité de restrictions (sur la nationalité par exemple, possibilité de l’exclusion des Palestiniens de l’application d’une éventuelle future loi, ce qui s’assimilerait à une discrimination) ? Le CRTDA a demandé au chercheur Kamal Feghali de rédiger un projet de loi (revu par de nombreux avocats dont la militante des droits de la femme Iqbal Doughan) qu’il a voulu « avec un plafond très haut », selon la coordinatrice de la campagne Roula Masri, ne faisant d’emblée aucune concession, et se fondant sur l’idée d’égalité entre les hommes et les femmes devant la loi. Ainsi, en gros, ce projet revient sur les lois de 1925 et de 1960, et propose des amendements de tous les articles qui comportent une discrimination, de façon à ce que la Libanaise ait, à l’instar du Libanais, le droit de passer sa nationalité à son mari et ses enfants, avec un effet rétroactif, et sans discrimination de nationalités. Ce projet se fonde sur l’égalité des droits évoquée dans la Constitution, dans la Convention sur l’élimination de tout genre de discrimination contre les femmes (Cedaw), sur laquelle le Liban a émis des réserves notamment au sujet de la nationalité, et sur le principe fondamental d’accorder à la femme une réelle citoyenneté, et non une citoyenneté tronquée. Parmi les articles que le CRTDA propose de modifier, celui qui dit que « est Libanaise toute personne née d’un père libanais », et qui devrait être, selon le collectif, « est libanaise toute personne née d’un père libanais ou d’une mère libanaise ». Autre article essentiel, celui qui stipule que « toute femme étrangère mariée à un Libanais devient libanaise après un an d’enregistrement du mariage », et que le CRTDA propose de modifier par « toute femme étrangère mariée à un Libanais ou tout homme étranger marié à une Libanaise, etc. ». Bien d’autres articles devraient ainsi être amendés selon le document des associations civiles, dans le sens d’une égalité parfaite entre les hommes et les femmes. Combien d’amendements peuvent espérer les militants si jamais ce projet, ou tout autre, est discuté au Parlement ? « La nationalité de mon enfant en contrepartie de ma voix » Pourquoi participer aux élections et voter pour qui que ce soit tant que notre voix n’est pas entendue ? C’est ce que commencent à se dire les mères d’enfants étrangers, qu’on prive du droit d’octroyer la nationalité à leur famille. Le slogan « La nationalité de mon enfant en contrepartie de ma voix » a été créé par Nathalie Ibrahim Naoum, l’un des administrateurs du groupe de la campagne « Ma nationalité, un droit pour ma famille et pour moi » sur Facebook. « Facebook a donné un énorme coup de pouce à la campagne, raconte Mme Naoum. Des personnes des quatre coins du monde ont décidé de se rallier à la cause. Nous avons 11 000 membres du groupe qui décideraient de boycotter les élections au cas où la situation des mères libanaises reste inchangée. Il faudra compter aussi avec tout l’entourage de ces membres. C’est ainsi que nous espérons faire bouger les choses. » Un objectif humanitaire Mme Naoum assure que la campagne en faveur de la nationalité devrait s’intensifier très prochainement, avec des manifestations pacifiques, des conférences pour la sensibilisation, des actions dans les écoles, des rencontres avec des politiciens… « Dans notre campagne, nous n’avons aucun objectif politique, juste humanitaire, fait-elle remarquer. Nous travaillons sans considérations confessionnelles et sans discrimination entre les nationalités. » Pour ce qui est du risque d’implantation évoqué souvent pour expliquer la discrimination au niveau de la nationalité, Mme Naoum l’écarte sans hésitation. « Il faut savoir que dans les écoles, les enfants palestiniens ne représentent que 1,6 % des cas, souligne-t-elle. Quant à l’argument qui dit que les femmes seront abusées une fois la loi adoptée, et qu’elles seront utilisées pour des fins d’obtention de la nationalité, il ne tient pas. Je me demande pourquoi considérer la femme libanaise, l’une des plus éduquées du monde arabe, comme une mineure qui se laisse tromper. Nous voulons simplement l’égalité, et donc une modification de la loi. » En tant qu’administrateur du groupe sur Facebook et faisant partie de la campagne du CRTDA, Mme Naoum a vent de cas tragiques auxquels font face certaines mères, de celles dont les enfants, abandonnés par le père, ne sont même pas détenteurs d’une autre nationalité, mais doivent vivre avec un laissez-passer qui doit constamment être renouvelé, et qui ne leur confère aucun droit. Sur ce laissez-passer, une seule inscription : non-Libanais ou non-Libanaise. Selon elle, ces femmes-là et leurs enfants vivent le martyr pour renouveler leurs papiers à chaque fois, sans compter les problèmes qui naissent à leur majorité. « Comment ces enfants-là peuvent se marier avec un laissez-passer pour tout papier ? se demande-t-elle. Comment vont-ils s’inscrire à l’université ? Exercer un métier ? En fait, on les pousse à émigrer. » Enfin, Mme Naoum évoque une décision juridique, dont le journal al-Diyar a relaté les faits dans son édition du vendredi 29 août 2008 : le juge Jean Azzi a tranché en faveur de l’octroi de la nationalité à deux frères de mère libanaise et de père étranger et apparemment sans-papiers. « Cela est une bonne nouvelle, dit-elle. Mais pourquoi ne pas consacrer ce droit et en faire profiter toutes les femmes mariées à des étrangers, au lieu de requérir à chaque fois à un décret présidentiel pour des cas individuels ? » Les femmes mariées à des Palestiniens, une minorité Pour continuer à priver la femme libanaise du droit d’octroyer sa nationalité à son mari et ses enfants étrangers, les autorités libanaises invoquent une cause principale (la même que dans tous les autres pays arabes d’ailleurs), le refus de l’implantation des réfugiés palestiniens, le mariage d’une Libanaise pouvant être conçu comme un moyen d’obtenir la nationalité d’une manière détournée. Cette inquiétude est-elle basée sur des chiffres ? Elle le serait difficilement parce que la seule étude faite sur ce sujet (par l’actuel ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud, alors militant de la société civile) montre que ce souci n’a pas lieu d’être, parce que les Libanaises mariées à des Palestiniens sont une tout petite minorité. En effet, il y aurait au Liban quelque 1 375 cas recensés de Libanaises mariées à des étrangers. De celles-ci, 57 % sont mariées à des Irakiens, 14,3 % à des Égyptiens, 11 % à des Jordaniens, 5,1 % à des Français, 2,1 % à des Britanniques, 2,1 % à des Syriens, 1,8 % à des Iraniens, 1,6 % à des Américains, 1,3 % à des Turcs, 1,2 % à des Canadiens, 1,2 % à des Allemands et… 1,1 % à des Palestiniens. La recherche avait été appuyée par UNDP-POGAR. Une dernière pensée, exprimée par nombre de personnes interrogées dans le cadre de ce dossier : pourquoi les Palestiniennes mariées à des Libanais sont-elles naturalisées sans que cela ne soit vu comme un prélude à une éventuelle implantation ? * * * Témoignages de familles « Je me bats pour mon droit à l’égalité avec les hommes» Gilberte Khoury Hermann, Libanaise mariée à un Allemand, a une fille de presque dix-huit ans. « Je me bats pour mon droit naturel d’être traitée à égalité avec l’homme libanais », précise-t-elle d’emblée. Elle raconte que sa fille Jessica, qui sera bientôt majeure, est obligée chaque année de faire la queue à la Sûreté générale pour renouveler sa carte de séjour. Être étrangère, même de mère libanaise, et vivre au Liban présente de nombreux désavantages. « Ma fille peut faire des études, mais rares sont les métiers qu’elle peut exercer, précise Gilberte. De plus, imaginez qu’elle veuille prendre une année sabbatique avant de commencer ses études universitaires, qui me garantit qu’elle pourra rester au Liban ? Si j’en arrive à disparaître, que fera-t-elle ? » Elle raconte que, quand elle était plus jeune et qu’elle arrivait à l’aéroport avec sa fille, l’agent lui demandait qui elle était, étant d’une autre nationalité. Gilberte insiste beaucoup sur la notion du droit fondamental à transmettre sa nationalité à son enfant. « On me dit souvent dans une boutade que la nationalité de ma fille est prestigieuse, se demandant pourquoi j’insiste tant à lui donner la libanaise, dit-elle. Je suis convaincue qu’elle et moi avons le droit d’avoir le choix. Ma fille ne connaît pas l’Allemagne, elle est libanaise, elle parle arabe et veut rester ici. Et moi, je suis fière de lui avoir inculqué ma culture. Et puis, supposons que j’aie un cousin qui a épousé une étrangère. Sa fille serait-elle plus digne de la nationalité que la mienne ? Je ne veux pas non plus qu’elle obtienne la nationalité par un mariage avec un Libanais, mais parce que c’est son droit. Elle pourrait alors épouser un étranger si elle le veut, qui adopterait sa culture. » Pourquoi pense-t-elle que cette question tarde tellement à être tranchée ? Gilberte écarte d’emblée le prétexte de l’implantation des Palestiniens. « C’est comme si le lien de sang n’était valable que pour le père, dit-elle. Comme si le sang transmis par la mère était bâtard. Où sont toutes ces femmes mariées à des étrangers ? Pourquoi ne bougent-elles pas ? » « Mes enfants n’ont plus droit au rêve » Le cas de Fatmeh Jaber est particulièrement difficile, et elle porte en elle un souci qui ne la quitte pas, et qui se ressent tout de suite à sa voix. Elle est mariée à un Palestinien, lui-même de mère libanaise, depuis de nombreuses années, et elle a huit enfants. La situation financière de la famille s’est particulièrement dégradée depuis que, durant la guerre de 2006, le commerce de son mari a été détruit par un bombardement israélien, les laissant avec plus d’un million de dollars de pertes. « Comme mon mari n’est pas libanais, toutes ses affaires sont obligatoirement en mon nom, ce qui, à la base, n’est pas équitable pour lui, raconte-t-elle. Depuis que la tragédie nous a frappés, nous sommes tous les deux poursuivis en justice par les banques et les commerçants, et vous imaginez les conséquences de cela sur notre famille. Jusque-là, personne ne nous a proposé d’indemnités. » L’impossibilité de transmettre la nationalité à sa famille se répercute sur tous les aspects de sa vie. Dernièrement, c’est son aîné qui commence à en pâtir. « Il vient de décrocher son diplôme en chimie, mais il n’a pas pu se faire embaucher dans les écoles publiques de la région, déplore Fatmeh. Il est obligé de travailler dans la boutique de son père, et cela lui pèse parce que ça ne convient pas à ses ambitions. Il parle aussi de s’en aller, d’obtenir une autre nationalité. Mais je ne veux pas voir mes enfants partir. » Sa fille aussi, employée de banque, fait face à des problèmes, n’étant ni cadrée ni assurée en raison de sa nationalité étrangère. « Mes enfants ont brillamment réussi leurs études, insiste Fatmeh. Ils mériteraient de servir leur pays comme ils l’entendent, mais ils n’ont pas d’horizons. Ils tuent les rêves de nos enfants. » Fatmeh fait remarquer que « c’est la mère qui transmet primordialement la culture, et j’ai inculqué à mes enfants l’amour de ce pays qu’ils considèrent comme le leur ». Pense-t-elle que la loi pourrait être adoptée de sitôt ? « Il faut qu’elle le soit, ce n’est pas une option », répond-elle. Craint-elle des réserves sur les Palestiniens en particulier ? « Si cela se passe ainsi, ils auront été injustes envers les femmes deux fois, et, pour ma part, je ne sais pas de ce que je serais capable de faire », affirme-t-elle. Accepterait-elle, dans une première étape, que la loi permette d’octroyer la nationalité aux enfants seulement ? « J’accepterai, même si ce n’est pas parfait, parce que mes enfants sont ma priorité », souligne-t-elle. « Une loi pour nous épargner l’humiliation » La question du droit de la femme à transmettre sa nationalité à sa famille n’est pas, comme on pourrait le penser de prime abord, un problème strictement féminin. Beaucoup d’hommes en souffrent, fils et/ou maris de Libanaises. Comme cet homme qui a requis l’anonymat (pour ne pas avoir de problèmes supplémentaires avec la Sûreté générale), et qui n’a hérité que de la nationalité de son père (une nationalité arabe qu’il ne désire pas préciser), bien qu’il soit lui-même marié à une Libanaise et père d’une petite fille. Il souffre un enfer au quotidien, et se trouve même privé de travail. « Mon père est né puis est mort dans ce pays, nous sommes tous nés ici et n’avons aucun attachement au pays d’origine de notre père, et malgré cela, nous sommes toujours traités comme des étrangers, comme si nous venions de fouler le sol de ce pays », dit-il. Ce qui l’esquinte surtout, ce sont les formalités qu’il faut faire et payer constamment. « Chaque année, les conditions changent, raconte-t-il. Cette année, à titre d’exemple, nous avons été surpris de la nouvelle prime d’assurance obligatoire de 50 dollars. Or quand ils ont vent de telles conditions, les employeurs préfèrent naturellement embaucher des Libanais, ou alors ils nous demandent de nous acquitter de ces frais supplémentaires. » Les frais de la carte de séjour, auxquels il faut ajouter les frais du permis de travail, s’élèvent à des sommes considérables que cet homme, comme tant d’autres, doit payer chaque année. Plus tard, il devra passer par le même cycle infernal pour sa fille aussi. Et ce n’est pas tout. Comme il lui est difficile de trouver du travail, il est au chômage depuis quelque temps, ce qui a poussé les agents de la Sûreté générale à lancer une enquête à son propos. « Ils ont interrogé dûment tout mon quartier, ce qui m’a rendu, sans raison valable, suspect aux yeux de tout mon entourage, déplore-t-il. En fin de compte, mes papiers ont été retardés de trois mois. » Il dit frôler souvent la dépression, et l’envie d’émigrer lui prend, même s’il n’a jamais connu d’autre pays que celui-là. « Ce que j’espère de toute nouvelle loi adoptée, c’est qu’elle nous épargne cette humiliation, quelle que soit la formule décidée, martèle-t-il. C’est le plus important. » Déboires matériels et psychologiques d’un étudiant Il est né d’un père syrien qui vit depuis 50 ans au Liban, et d’une mère libanaise. Mohammad (qui ne désire pas révéler son identité complète) a terminé son BA puis son Masters… avant d’arriver à une impasse. « Quand j’étais petit, je ressentais déjà la discrimination à mon égard, raconte-t-il. C’était particulièrement flagrant quand j’ai présenté mon brevet, puisque j’étais le seul non-Libanais de ma classe. » Les choses ne s’arrangent pas depuis qu’il est majeur. « Je dois me présenter chaque six mois à la Sûreté générale, et je dois aussi quitter le pays chaque six mois, raconte-t-il. Bientôt, je ne pourrai plus retarder mon service militaire en Syrie. Or je ne ressens aucune appartenance envers ce pays, je suis libanais. » Les déboires de Mohammad ne s’arrêtent pas là. « J’ai un CV très avantageux, mais dès que des employeurs libanais se renseignent sur ma nationalité, ils refusent de m’embaucher, déplore-t-il. Je suis obligé, pour l’instant, de travailler pour des chaînes satellitaires. Mais dans l’absolu, si la loi qui me permettrait de devenir libanais n’est pas adoptée bientôt, je serais contraint de m’exiler, je n’ai pas le choix. » Ces dernières années, être de nationalité syrienne au Liban n’a pas toujours été facile. « C’était très gênant, psychologiquement, se souvient-il. J’avais envie de participer à des manifestations, mais je ne me sentais pas en droit de le faire. Malgré mon appartenance à 100 % libanaise, je devais écoper de certaines réactions de la part de personnes ayant des tendances politiques particulières. Même quand je devais, pour réaliser un projet universitaire, filmer autour de mon université, les agents de sécurité enquêtaient plus longuement avec moi. » Est-il prêt à continuer à militer pour son droit à la nationalité ? « Au début, j’étais très enthousiaste, souligne Mohammad. Mais je suis découragé. En fin de compte, mes frères et moi, qui sommes tous très éduqués, allons quitter ce pays, qui nous perdra. »
Suzanne BAAKLINI


À l’instar des autres femmes arabes, à quelques (récentes) exceptions près, la femme libanaise ne peut transmettre sa nationalité ni à son mari ni à ses enfants étrangers. Les initiatives pour changer cette situation se multiplient récemment.

Le combat pour accorder le droit à la femme de transmettre sa nationalité libanaise à sa famille ne...