Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

L’OIF, un ensemble qui tente de se construire d’une manière intelligente

Antoine AJOURY Pour Bonaventure Mvé-Ondo, vice-recteur de l’AUF, la Francophonie est le lieu de la pensée métisse. La Francophonie apparaît aujourd’hui comme une organisation internationale en pleine mutation. D’un regroupement de pays nouvellement indépendants, désireux de poursuivre avec la France des relations fondées sur des affinités culturelles et linguistiques, et souhaité dans les années 1960 par des personnalités issues des anciennes colonies françaises, à l’instar du Sénégalais Léopold Sédar Senghor, du Cambodgien Norodom Sihanouk ou du Tunisien Habib Bourguiba… jusqu’au XIIe sommet de l’OIF (Organisation internationale de la francophonie) qui a clôturé ses travaux hier à Québec, en présence d’une trentaine de chefs d’État et de gouvernement, se déroule un parcours certes court, mais ambitieux. Pour Bonaventure Mvé-Ondo, vice-recteur aux partenariats à l’AUF (Agence universitaire de la francophonie), « l’OIF est d’abord aujourd’hui une force. C’est un lieu où les chefs d’État de nos pays se rencontrent pour donner le ton sur les grandes questions mondiales de l’heure, sur l’enseignement, sur l’économie aussi. C’est en fin de compte un cadre majeur qui est en train de donner de l’impulsion aux actions et à la vie de chacun des francophones tous les jours ». Selon M. Mvé-Ondo, « l’OIF ne peut être comparée au Commonwealth. Elle est une institution qui s’est construite non pas en prenant appui sur des relations passées, mais sur ce qui peut permettre à une communauté qui parle le français dans le monde de faire des actions ensemble ». Malgré une réponse ambiguë de la France qui ne voulait pas d’un « Commonwealth français », plusieurs pays francophones se réunirent en 1960 pour former la Conférence des ministres de l’Éducation nationale des pays ayant en commun l’usage du français (Confemen). L’Association des universités entièrement ou partiellement de langue française (Aupelf) fut par la suite créée en 1961. La première conférence des États francophones se tint au Niger en 1969 sous le patronage du ministre français des Affaires culturelles de l’époque, André Malraux. Dans un premier temps, la coopération entre ces différents pays s’est limitée au domaine technique. Ce n’est que suite à l’insistance de Senghor, qui réclamait un « sommet francophone », que se tint en 1973 le premier sommet franco-africain. Le Haut Conseil de la Francophonie fut créé en 1984, ainsi que la chaîne francophone TV5. Le début officiel des sommets francophones remonte à 1986 sous l’impulsion de François Mitterrand. Toutefois, durant des années, ces réunions furent consacrées uniquement à vilipender l’usage de l’anglais dans le monde. En 1997 est née l’OIF, un acte censé renforcer la dimension de la Francophonie et lui donner une visibilité politique. Au fil des sommets, les membres de l’OIF reconnurent que « l’économie était l’un des éléments indissociables de la culture des peuples », définissant les paramètres d’une coopération économique entre les États membres (sommet de l’île Maurice en 1993). Les participants au sommet de Cotonou (1995) adoptèrent une série de résolutions de nature politique tout en créant le poste de secrétaire général de la Francophonie, entamant ainsi un premier virage politique. Mais c’est le sommet de Beyrouth, en 2002, qui consacra la mutation politique de l’OIF, en condamnant tout recours au terrorisme et en appelant à la conclusion d’une convention internationale pour le combattre, suite aux attentats du 11 septembre 2001. Ce sommet aborda en outre des sujets sensibles d’actualité liés au Proche-Orient, comme la situation en Irak, en Israël et dans les territoires palestiniens, mais aussi en Côte d’Ivoire, en proie à des violences. À Ouagadougou, les participants au Xe sommet adoptèrent un « Cadre stratégique décennal » qui définit « les objectifs et les moyens de l’OIF lui permettant d’exercer une influence dans les affaires internationales ». En 2006, à Bucarest, des débats houleux et des altercations parfois violentes ont marqué les séances plénières du sommet de l’OIF, notamment sur le Liban, faisant apparaître deux axes politiques au sein de l’organisation francophone, l’un proche de la France, alors que l’autre est proaméricain. Ces alliances politiques ont perturbé une organisation considérée depuis assez longtemps comme étant la chasse gardée des Français. Auparavant, les questions abordées étaient d’ordre culturel, et les actions prises concernaient notamment les domaines de la coopération et de l’aide entre les pays du Nord et les pays du Sud. Ce qui n’entraînait donc pas une très grande divergence entre les pays intéressés. Les décisions étaient prises rapidement, et les discussions concernaient surtout leur mode d’application. L’implication de plus en plus politique des États membres a nécessairement changé la nature des décisions à prendre. Par conséquent, les débats sont devenus de plus en plus animés, les pays ou groupes de pays ayant nécessairement des intérêts contradictoires à préserver. « Ce qui donne sa force à la Francophonie, estime Bonaventure Mvé-Ondo, est le fait que les chefs d’État et de gouvernement qui se rencontrent, et qui viennent défendre l’intérêt de leur pays, ne le font pas autour de la France. Ceux qui parlent le français dans le monde sont plus nombreux que les Français de France. Les liens qui unissent les membres de l’OIF ne sont pas des relations de pays qui se soumettent aux désirs de Paris. Bien sûr, les dirigeants se réunissent pour dialoguer, pour écouter avec intérêt ce que disent les autres chefs d’État. Ce qui important aujourd’hui, c’est cette volonté commune de parler ensemble au-delà des différences géopolitiques. C’est un ensemble qui tente de se construire d’une manière intelligente », ajoute-t-il. Le sommet du Québec confirme cette nouvelle tendance. Au menu de ce sommet figuraient en effet les thèmes de « démocratie et État de droit » et la « gouvernance économique ». La tourmente financière mondiale actuelle s’est également imposée en invitée de dernière minute aux réunions des dirigeants francophones. En outre, on peut noter le discours du président libanais qui a appelé les pays de l’OIF à s’impliquer davantage dans la résolution des conflits, notamment en s’engageant dans les forces de maintien de la paix, comme la Finul. « Au-delà des pays d’où ils viennent, qui peuvent parfois être en conflit, ceux qui se réunissent au sein de la Francophonie se disent qu’on peut travailler ensemble, et c’est pour moi un signe que le monde avance », déclare, confiant, M. Mvé-Ondo. « Il ne faut pas oublier d’où nous venons, et notamment les perspectives inculquées par nos grands maîtres. Il s’agit d’un espace de rencontre où chaque individu évolue pour ressembler à l’autre, mais aussi pour redevenir lui-même. La Francophonie est le lieu de la pensée métisse, où nous partageons ensemble la langue française mais aussi nos différentes valeurs. Ce n’est pas un lieu d’uniformisation où tout le monde se ressemble en oubliant son identité d’origine », précise-t-il, en concluant : « Et c’est cette idée qui fera gagner la Francophonie de demain, faisant de cette organisation internationale un cadre de paix entre les populations et les pays. »
Antoine AJOURY


Pour Bonaventure Mvé-Ondo, vice-recteur de l’AUF, la Francophonie est le lieu de la pensée métisse.
La Francophonie apparaît aujourd’hui comme une organisation internationale en pleine mutation. D’un regroupement de pays nouvellement indépendants, désireux de poursuivre avec la France des relations fondées sur des affinités culturelles et...