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Actualités - OPINION

Afin que nul ne pleure

Je n’ai pas l’habitude d’écrire pour moi tout seul. Lorsque je prends la plume, c’est que je me sens mû par je ne sais quel instinct de communication pour apaiser, en général, un besoin précis de mise au point, à l’occasion d’un événement ou d’une situation de fait qui me met mal à l’aise. Il y a longtemps que l’attitude de mes concitoyens de confession dite chrétienne ne cesse de m’agacer. Comme elle agace, je le suppose, toute personne saine, normalement cultivée et d’esprit ouvert. Autrement dit, toute personne de bonne volonté. Le Libanais est un personnage pour le moins turbulent. Si, pour certains, cela peut apparaître comme un trait de caractère positif engendrant enthousiasme, persévérance et courage face aux défis, pour la plupart des gens réfléchis, c’est hélas le signe d’un manque de maturité dans le domaine tant social que civique et politique. Car il ne s’agit pas tellement de grouiller, de s’enflammer pour telle ou telle cause que d’œuvrer, dans la dignité et la force tranquille, afin de promouvoir, dans les choses quotidiennes de la vie, cette efficacité dont dépend tout développement humain. La spontanéité naturelle, lâchée sans bride, n’est que mouvement superficiel provoquant désordre, confusion et inefficacité. Qu’on n’aille pas se lamenter, après cela, de notre niveau défaillant dans la culture et dans la création alors que le monde entier (à commencer par les pays asiatiques traditionnellement en retard) avance à grands pas. Nous sommes toujours à la traîne des autres. Toujours entre deux conceptions du monde. Toujours à la limite de tout. Il nous faut tout importer, tout imiter, jusqu’aux attitudes et jusqu’aux vices. Jamais, hélas, en vue de réalisations personnifiées ou de projets véritablement ambitieux. Qu’est-ce qui est, curieusement, à l’origine de cette mortelle lacune ? Serait-ce notre nature orientale nourrie de sentimentalisme et de réactions primaires ? Ou bien l’influence d’un environnement tissé, depuis des siècles, de fanatisme religieux, de sectarisme, soumis à l’esprit de clan, au régime tribal, au terrorisme et à la tyrannie de dirigeants incultes aveuglés par le pouvoir ? Un peu tout cela à la fois, sans doute. À tel point que nous avons remplacé la logique par la ruse et le sens du progrès par un goût morbide pour les diktats, les exclusions et autres révélations divines. Résultat ? L’inertie dans les initiatives, la parlote prenant la relève de l’action et les mensonges relayant les promesses. L’inconscient collectif de nos sociétés aura irrigué l’état mental de tous les citoyens, fussent-ils musulmans ou chrétiens. Ce qui explique que nous nous retrouvions aujourd’hui, face à la modernité, en porte-à-faux par rapport aux problèmes du monde et complètement démunis devant cette « montée inexorable des consciences », qui est le propre de l’évolution de la matière elle-même. J’avais toujours pensé que la civilisation transmise par l’Ancien et le Nouveau Testament devait avoir façonné les relations entre humains sur base de la nécessaire solidarité entre eux, mystiquement surnommée « l’amour du prochain ». Il semble qu’il n’en fut rien ou qu’il n’en reste, en tout cas, pas grand-chose, ici comme ailleurs. Alors, au nom du droit à la parole et à la réflexion, et sans trop d’illusion sur la portée de mon discours, je tiens à m’adresser à mes coreligionnaires libanais pour attirer leur attention sur le devoir collectif qui se prépare à l’échelle nationale et qui est toujours lourd de conséquences : je veux parler des prochaines élections générales au Liban. Pour toute personne qui aura la fantaisie de me lire, je dirai ceci : pour l’amour du ciel, et pour la première fois dans ce pays, n’allez pas voter avec l’intention de voter « contre » quelqu’un. Rappelez-vous que l’on ne vote que pour une idée en vue du bien commun et que l’on « choisit » quelqu’un afin qu’il aide à l’appliquer. N’ayant pas encore atteint, chez nous, le genre de choix au niveau de partis déterminés affichant une politique précise et décidée, il ne nous reste qu’à prêter une attention particulière aux personnes qui demandent notre suffrage, abstraction faite du ou des partis auxquels ils prétendent, avec ou sans sincérité, appartenir. Voter pour les « plus indépendants » devrait être le seul slogan des honnêtes gens. Qui sont nombreux et... déterminants. Aussi, je demande à tout un chacun de laisser de côté telle ou telle sympathie gratuite ou clanique et, à plus forte raison, telle ou telle antipathie pour un leader donné. Il serait scandaleux de penser que nous ne sommes pas capables de trancher, au-delà des appartenances sociales, au-delà surtout de certains intérêts mesquins dont on attendrait quelque bénéfice. Auquel cas, d’ailleurs, nous ne ferions pas partie des « honnêtes gens » signalés plus haut. Je me refuse à croire que nous sommes comptés parmi les derniers des peuples civilisés. Il est donc urgent que les honteux marchés électoraux voient leurs tabous brisés une bonne fois pour toutes. Je souhaite que, dans l’électorat chrétien, l’on cesse d’ironiser au sujet des politiciens étiquetés 14 Mars, comme je souhaite que l’on cesse également de mépriser les partisans du général. Ces derniers seraient effectivement à critiquer si, partis sur leur lancée folklorique déjà ternie et fanée, ils s’obstinaient dans leur entêtement à vouloir « briser les reins de leurs concurrents » pour le simple plaisir d’espérer les supplanter ou, pire encore, de se venger de je ne sais quelle attitude offensante à leur égard en se référant à un triste passé dégradant pour tout le monde et sur tous les plans. Il devra en être de même, sans l’ombre d’une hésitation, pour la portion qui appuie le rassemblement dit du 14 Mars. Ceux-là doivent se souvenir que, parmi les députés du groupe Aoun, il existe d’excellents éléments, combatifs, jeunes, sincères dans leur patriotisme et, sans doute, pas tellement assujettis aux options affichées en public par rapport à l’alliance hezbollahie. Ici, que l’on me permette d’opposer un veto définitif à toute concession, à toute compromission au plan de la souveraineté nationale. L’attitude politique comme la stratégie du Hezbollah relèvent d’un mode de pensée totalement étranger à celui de la majorité des chrétiens, tous partis confondus. Ne sont admissibles ni l’hypocrisie des slogans affirmant l’opportunité apaisante d’une alliance contre nature ni l’excuse d’une tactique électorale passagère censée se dissoudre sans conséquences, dès la clôture du scrutin. En fait, le Liban se trouve à un tournant crucial de son existence. Que l’électorat chrétien, dans son ensemble, se réveille enfin d’une léthargie devenue impardonnable ! Si nos concitoyens, noyautés par un parti radical, d’essence religieuse donc sectaire, restent libres de faire le choix d’une politique générale d’inspiration monolithique inféodée à une vision dépassée du monde pensant, il deviendra criminel, de la part du reste des Libanais, particulièrement chrétiens, de soutenir de quelque façon la folle tentative d’une pareille expérience. Il y va de la pérennité des chrétiens d’Orient, déjà si mal en point. Le sursaut attendu par la nation libanaise dans ses éléments les plus sains ne peut provenir que d’une solidarité sans faille entre chrétiens de toutes confessions qui, à leur tour, ont pleinement le droit à une existence selon leur propre mode de pensée et leur philosophie de vie. Que l’on ne s’y trompe pas. Ce n’est pas à une vulgaire propagande électorale que je me livre ici. Mais à une révolte salutaire, et depuis longtemps attendue, de cette portion agissante qui est restée à la base de la naissance du Liban lui-même. Il est particulièrement heureux qu’une grande partie de non-chrétiens se soit déjà jointe à ce mouvement de fond à la suite de tant d’épreuves. Se laisser ramollir, céder aux vieux instincts, aux vieux démons de notre passé serait, ni plus ni moins, assimilable à une non-intervention en faveur d’un pays en danger de mort : un crime de lèse-patrie que l’histoire ne pardonnera pas. Que chacun de nous se le tienne pour dit. Je nous adjure, au nom de ce Liban béni, au nom de nos enfants et de leur avenir, de prendre conscience, dès aujourd’hui, de ce qui nous attend tous dans les neuf mois à venir. Si les chrétiens estimaient avoir fait le Liban, avec tout le respect dû à leurs frères en citoyenneté, ce serait aussi les chrétiens qui l’assassineraient s’ils ne devaient pas modifier de fond en comble leur démarche en matière d’élections. La conscience de chacun est seule juge. Je suis de ceux qui croient encore aux miracles ! Louis INGEA Architecte d’intérieur
Je n’ai pas l’habitude d’écrire pour moi tout seul.
Lorsque je prends la plume, c’est que je me sens mû par je ne sais quel instinct de communication pour apaiser, en général, un besoin précis de mise au point, à l’occasion d’un événement ou d’une situation de fait qui me met mal à l’aise.
Il y a longtemps que l’attitude de mes concitoyens de confession...