Gastronomie Gros plan sur une star allemande : la saucisse au curry

Des livres et des chansons lui sont consacrés, bientôt un musée. La « currywurst », saucisse à la sauce tomate et au curry qui fait les délices de millions d’Allemands, a désormais son film. À première vue, L’invention de la saucisse au curry, un drame historico-sentimental qui relate les amours d’une jeune femme et d’un marin dans le Hambourg (Nord) dévasté de 1945, n’a pas grand-chose à voir avec la charcuterie. Mais le film de Ulla Wagner, et avant lui le livre dont il est tiré, raconte dans ses dernières scènes comment une jeune Allemande « invente » par hasard la recette de la fameuse saucisse en renversant du curry sur de la sauce tomate. L’éditeur a flairé que dans un pays où 800 millions de « currywurst » sont ingurgitées chaque année, soit dix par habitant, cette « invention » pouvait faire un titre accrocheur. Le secret de cette gourmandise peu diététique, dont l’ex-chancelier Gerhard Schröder est grand amateur, est dans la sauce : une simple mais inoubliable combinaison de sauce tomate et de curry en poudre, généreusement versée sur toute la longueur d’une saucisse par ailleurs fort ordinaire. L’omniprésence souvent graillonneuse du « steak du pauvre » dans les rues de Berlin, Hambourg, ou dans la région industrielle de la Ruhr (Ouest) doit se voir consacrée l’an prochain par un musée dans la capitale. Les promoteurs du projet assurent vouloir rendre hommage à « une part de l’histoire culturelle et sociale allemande », qui se consomme partout et à toute heure, servi en rondelles dans une simple barquette en carton. Or, de la Forêt-Noire à la mer Baltique et du Rhin à l’Elbe, une question taraude des millions d’amateurs : qui a vraiment inventé la « currywurst » ? Le débat est d’autant plus sensible qu’il se nourrit en partie de rivalités régionales. La thèse du long métrage sorti la semaine dernière, celle d’une naissance accidentelle à Hambourg en 1945, a de quoi mettre du baume au cœur aux habitants du grand port du nord. Et pourtant, même l’éditeur du roman dont est tiré le film reconnaît que cette version relève de la fiction. Les Berlinois, eux, revendiquent la paternité de la sauce rouge et or, affirmant qu’elle a été inventée par une certaine Herta Heuwer, un jour de septembre 1949, dans l’ancien Berlin-Ouest. Une plaque commémorative sur la Stuttgarter Platz atteste encore de ce grand jour. Pour autant, certains Hambourgeois n’en démordent pas : selon eux, le personnage du film, Lena Brücker, a bel et bien existé. D’ailleurs l’auteur du roman, Uwe Timm, aurait raconté avoir mangé une saucisse au curry pendant son enfance à Hambourg en 1947, soit deux ans avant sa prétendue invention à Berlin. À Hambourg, une poignée de passionnés de la saucisse sont allés jusqu’à se constituer en association, le « Currywurst Club Hamburg » (CCH), pour défendre ce « symbole de l’identité allemande » contre les « fétichistes de la santé » et les « pourfendeurs extrémistes de la graisse ». Et bien sûr, contre les tenants de son origine « berlinoise ». « Ces faussaires sont nombreux, véhéments et influents, mais en aucune façon sérieux », vitupèrent sur leur site Internet les croisés hambourgeois de la saucisse.