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Actualités - REPORTAGE

Quand Charles Yacoub a détourné un bus pour sauver le Liban

Vient de paraître Charles Yacoub (photo), pour attirer l'attention des médias sur la tragédie libanaise, détourne un bus américain vers le siège du Parlement canadien à Ottawa en 1989. Un geste fou parti d'une bonne intention. Le récit d'une aventure racontée par Nicolas Nasr. Suzanne Baaklini Ce fut un geste fou, désespéré, risqué, controversé, mais sans nul doute passionné. Une opération de détournement de bus que même les otages n’ont pas accepté de qualifier de « terroriste », pour secouer l’indifférence de l’Occident concernant la guerre subie par les Libanais en 1989. Cette opération avait été menée par un émigré libanais de longue date au Canada, Charles Yacoub, révolté que les souffrances de son peuple rencontrent si peu d’écho dans les médias et les consciences de son pays d’adoption. C’est cette histoire que relate aujourd’hui l’écrivain Nicolas Nasr dans un livre paru en arabe, J’ai risqué ma vie pour toi, mon Liban !. Ceux d’entre nous qui ont toujours en mémoire les derniers épisodes de la guerre du Liban, notamment « la guerre de libération » qu’avait menée le Premier ministre par intérim d’alors, le général Michel Aoun, contre la Syrie, seront intéressés de se souvenir d’une aventure vécue par un Libanais à des milliers de lieues de là, afin d’attirer l’attention du Canada et du monde sur les bombardements intensifs des régions qui étaient connues en ce temps-là comme « l’Est chrétien ». Le 7 avril 1989, Charles Yacoub embrasse sa femme et ses deux enfants avant de sortir de sa maison à Montréal, sans avertir personne, déterminé à mener une action de grand éclat pour attirer l’attention du monde sur la tragédie de son pays. Ce commerçant libanais, né en 1956 et ayant émigré au Canada en 1976, était jusque-là sans histoires. Il est marié à Louise Bergeron, fonctionnaire au ministère de la Justice, et père de deux enfants qui avaient, au moment des faits, 4 et 8 ans. Les facteurs qui ont motivé son geste de désespoir étaient autant personnels que patriotiques : lui qui aimait ses parents jusqu’à l’adoration, comme dira sa femme plus tard, avait reçu deux jours plus tôt une cassette sur laquelle ils avaient enregistré leur version de l’enfer vécu à Aïn el-Remmané. D’autre part, il avait été enthousiasmé par le soutien populaire à cette guerre de libération. Enfin, il avait participé quelques jours plus tôt à une manifestation de soutien organisée par des Libanais de tous bords et de toutes confessions au Canada, et constaté que cet événement n’avait nullement intéressé les médias. Dans son livre paru aux éditions de Dar al-Mourad, Nicolas Nasr revient sur les moindres détails de l’opération du 7 avril 1989, menée par son beau-frère Charles. En résumé, cet émigré libanais avait alors détourné un bus américain, qui allait de Montréal à New York, vers le siège du Parlement à Ottawa. Le bus avait, à son bord, des passagers de nationalités différentes. Charles Yacoub a eu, dès les premiers instants, le souci d’expliquer aux passagers que malgré le revolver dans sa main, son geste n’avait d’autre but que d’éveiller les consciences. Ce qui explique la clémence des otages, plus tard, lors de leurs témoignages. Devant le Parlement, la police canadienne s’est déployée en force, dirigeant ses armes contre le bus, craignant un attentat à l’explosif. Le livre revient aussi sur les critiques acerbes de la presse contre les différents services de sécurité canadiens, accusés d’avoir fait preuve de manque de coordination et d’inefficacité. L’aventure se termine bien, Charles Yacoub se rend et explique les raisons de son geste. Plus tard, il évitera les peines trop lourdes qui auraient pu résulter des deux chefs d’accusation les plus graves retenus contre lui : prise d’otages et mise en danger du Parlement canadien. Il sera condamné à six ans de prison, mais n’en passera finalement que deux derrière les barreaux en raison de sa bonne conduite. L’impression que dégage ce récit est que Charles Yacoub n’a jamais regretté son geste, même dans les pires moments du procès, convaincu qu’il avait, pour la première fois, contribué à éveiller les consciences sur la tragédie en cours au Liban. Le récit de Nicolas Nasr est écrit dans une langue sobre et neutre, n’omettant aucun détail de cette période, reflétant les différents points de vue (celui de Charles lui-même, celui de la presse…), laissant, comme le dit l’auteur lui-même dans son introduction, le lecteur juger par lui-même. Le livre est extrêmement bien documenté (articles de presse, lettres, documentation du procès…) et a été fait avec le concours du principal intéressé. Nicolas Nasr est lui-même l’auteur de plusieurs livres, dont trois sur la guerre du Liban. Charles tenait en main l’un d’eux, La faillite syrienne au Liban, le jour où il a détourné le bus. Cette opération avait suscité, en son temps, autant de compassion que de critiques. Certaines personnalités avaient solidement soutenu Charles lors du procès, comme le sénateur canadien d’origine libanaise Pierre Debbané, qui signe d’ailleurs la préface du livre. L’ouvrage – qui, bien qu’écrit en arabe, comporte 35 pages en français – reprend la lettre du frère Jacques Toussaint Bélanger au ministre canadien de la Justice de l’époque, Doug Lewis. Touché par le désarroi du Libanais, l’ecclésiastique avait alors écrit : « À cause de la présente situation au Liban, je trouverais absolument inacceptable et hypocrite une condamnation de Yacoub. C’est pourquoi, si jamais cet homme était condamné à la prison pour avoir pris ce moyen, je demande à prendre sa place. » À signaler que Charles Yacoub avait également reçu le soutien des chefs des différentes communautés religieuses libanaises au Canada, ce qui lui avait permis de payer sa caution et de retrouver momentanément sa liberté au cours de son procès. Parmi les documents aussi, le touchant témoignage de sa femme, Louise Bergeron, qui le soutiendra jusqu’au bout. Elle écrit : « J’étais à mille lieues d’imaginer ce qui allait se produire. Ce matin-là, tout allait basculer. On dira de Charles qu’il était fou, Oui… un geste fou… fou de son pays… fou de rage… fou de la situation que vivait sa famille à l’étranger. Un geste qui lui ressemble, éclatant entièrement dans ses amours (…) J’ai vécu cette période difficilement. J’ai ressenti un sentiment de culpabilité immense. (…) À mes yeux, Charles deviendra un éveilleur de consciences, car il avait brisé le silence. La souffrance des Libanais criait enfin au monde entier. » Parmi les coupures de presse, se trouve l’information qu’avait alors fait paraître L’Orient-Le Jour : « Le jeune Canadien d’origine libanaise Charles Yacoub (…) a comparu hier soir devant un juge, qui a demandé que l’inculpé subisse un examen psychiatrique afin de déterminer s’il avait agi en pleine possession de toutes ses facultés mentales. En sortant du tribunal, le jeune homme avait eu le temps de lancer aux journalistes : “Allez dire au monde entier que le Liban appartient à tous les Libanais”. »
Vient de paraître Charles Yacoub (photo), pour attirer l'attention des médias sur la tragédie libanaise, détourne un bus américain vers le siège du Parlement canadien à Ottawa en 1989. Un geste fou parti d'une bonne intention. Le récit d'une aventure racontée par Nicolas Nasr.

Suzanne Baaklini

Ce fut un geste fou, désespéré, risqué, controversé, mais sans nul...