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THÉÂTRE - «?Not for Public?» de Hicham Jaber, au Masrah el-Madina les 11, 12 et 13 septembre, à 21h00 Divertissant zapping Maya GHANDOUR HERT

Cette pièce a été écrite pour tous ceux qui trouvent qu’au théâtre il ne se passe rien, ou toujours la même chose... Cette fois, vous serez surpris parce que tout peut arriver sur la scène du théâtre al-Madina, les 11, 12 et 13 septembre. Farce truculente et outrancière, « Not for Public » nous plonge dans l’ordinaire haut en couleur de petites gens mesquines. Dans une société sclérosée où tout le monde veut être (célèbre) et paraître (beau), les convoitises vont bon train et le couple insolite formé par un Ricardo et une Rania n’a qu’une obsession : éliminer le concurrent respectif afin d’empocher les 5?000 euros promis au lauréat. Humour caustique, langage imagé et méchanceté jubilatoire : bienvenue dans l’univers de Hicham Jaber. Le principal défi de cette pièce est de transposer une ambiance série-téléréalité au théâtre.?Qui dit série, dit épisodes. Le metteur en scène a alors découpé sa pièce en trois séances d’une heure chaque jour. Et qui dit téléréalité, dit une liste d’ingrédients savamment dosés?: candidats «?nominés?», vote du public, éliminations, confessions, séance de sport, séquence téléphonique… Ils cherchaient la célébrité, ils ont signé pour passer à la télé, ils vont en baver. Premier épisode, première soirée?: duel entre deux candidats, entre un homme hirsute et une femme au chignon bien tiré. Lui?: le look seventies et un prénom, Ricardo, qui lui colle à la peau tel son costard blanc à paillettes (assorti à des chaussures rouges pointues). Il zozote, mais possède un bagout que lui envieraient les candidats en pleine campagne électorale. Elle?: une robe moulante rutilante (également à paillettes), des escarpins blancs à strass et un sourire à faire grimper le baromètre des votes. Deuxième épisode, deuxième soirée?: Rania est enceinte?! Il faut la licencier. Mais elle veut rester. Aller jusqu’au bout de son défi. Le réalisateur de l’émission (nous l’appellerons Big Brother) lui propose un ultimatum. Troisième épisode?: la bataille est déclarée entre le M16 et le kalachnikov, entre pro-USA et anti-USA, entre les partisans du 14 Mars et ceux du 8 Mars. La cerise sur le gâteau?? À chaque dilemme, c’est au public de trancher. C’est donc nous qui choisissons si la candidate est meilleure actrice que son rival ou pas, si ce qu’elle raconte à propos d’une histoire de viol est véridique ou pas, si (et là les choses se corsent) elle doit avorter ou pas, ou encore si l’on plébiscite la mitraillette russe ou le fusil d’assaut de l’armée américaine… En effet, c’est aussi cru, cruel, noir (et... extrêmement drôle?!) que ça en a l’air. Grinçante et féroce, donc, cette pièce nous permet de (re)découvrir un jeune auteur dont l’œuvre n’a jamais cessé de jouer la carte de la provocation. Dans Not for Public, Jaber épingle la société de consommation, le désir excessif de possession et égratigne les courants politiques divers. Avec une liberté tout à fait jouissive, il manie allègrement le verbe, multiplie les répliques sarcastiques, pousse les situations jusqu’à l’extrême et n’hésite pas à conjuguer poésie et scatologie. Ici, on ne flirte pas avec le mauvais goût, on y plonge la tête la première, mais avec une telle délectation que cela en devient un manifeste. On parle sans ambages de virginité refaite à coups d’agrafeuse, de vomi, pour mieux montrer, sans doute, la vulgarité de ce monde. Dans un décor high-tech, avec tapis de course (treadmill), chaise de confessions au look de chaise électrique, écrans de projections, projecteurs tantôt braqués sur les acteurs, tantôt sur le public, les personnages se détestent, se disputent et se déchirent, pour accéder à la célébrité ou gagner quelques pièces. Pourtant, malgré les ignominies de chacun, on ne peut s’empêcher d’éprouver pour eux une certaine tendresse. D’une part, parce qu’ils sont servis par des acteurs d’une grande sympathie, d’autre part, parce qu’au milieu de toute cette noirceur, il y a parfois une lueur d’humanité qui pointe. Bien qu’enfoncés jusqu’au cou dans leurs vies dérisoires, ces êtres ont néanmoins des maigres rêves de bonheur qui ont la particularité de s’exprimer devant un public. Trafic de théâtre Ce théâtre-là n’entre dans aucune catégorie, il s’agit d’abord de théâtre. Un théâtre avec des acteurs qui ne sont pas tous des comédiens (on vise le public), un théâtre qui «?trafique?» l’ordre des causes et des effets, l’ordonnancement du temps, les échelles et les points de vue du regard pour confondre la réalité et nous emmener dans une pensée à rebrousse-poil. ?Not for Public nous met au cœur d’une humanité malade d’anonymat, d’autant plus malade que jamais nous n’avons disposé d’autant de moyens d’être connus?; plus nous multiplions les moyens de communication, plus l’anonymat et l’isolement sont confusément vécus comme une injustice cruelle. Nos moyens de communication ne parviennent pas à relier, à faire religion, au sens étymologique. Désormais, sur l’agora de là-d’où-l’on-est-vu-de-partout, l’on vient donner sa mort en hostie. Au moins, selon le mot de Warhol, guérira-t-on de l’anonymat, ne serait-ce que pendant une poignée de minutes. Jeux du cirque médiatique où le bourreau se fait artiste et offre à la curiosité malsaine de la société le spectacle de son crime. Interrogatoire poussé, sévices psychologiques de détraqué, folie et sexualité... Tour à tour inquisiteur et tortionnaire, le réalisateur invente ses victimes et fabrique l’?« alibi?» nécessaire à ses pulsions. Dans cette parodie de justice, ce grand cirque du pouvoir, des rapports de force, ressemblant à notre monde qui confond communication et relation, émotion et tremblement, parade et échange, nous allons parader. Impressionnant, effrayant et délirant, même si, selon les sensibilités de chacun face au petit écran, certaines scènes apparaissent comme moins divertissantes, on ne peut donc que saluer la performance de la troupe. Car contrairement au zapping que l’on pratique habituellement et qui trahit un ennui, un sentiment désabusé face au spectacle de la télévision, celui que les trois comédiens proposent est jubilatoire : peut-être parce qu’il dédramatise par l’humour la passivité face au petit écran… Quoi qu’il en soit, le spectateur passe un bon moment?: pas de temps mort au cours du spectacle, les scènes s’enchaînent les unes aux autres, tout juste interrompues (ou, devrait-on dire, zappées) par une succession de coupures publicitaires. Le public se laisse aller à la fascination morbide, à la curiosité malsaine. Et il en redemande. L’humour dévastateur, qui sous-tend en permanence cette histoire poignante, ajoute encore à la cruauté de la pièce, car il rend risible le désarroi des personnages, pourtant douloureusement pathétiques. Voilà un portrait grinçant de la «?libanitude?» qui mêle comédie truculente et démontage critique, sketchs malins et satire politique. Petit traité de la manipulation à l’usage des honnêtes gens. Les sombres prophéties de George Orwell, l’auteur de 1984, le roman qui a inventé le personnage de Big Brother, sont-elles en voie de se réaliser ? La télé qui imite la vie. Où serait-ce le contraire??
Cette pièce a été écrite pour tous ceux qui trouvent qu’au théâtre il ne se passe rien, ou toujours la même chose... Cette fois, vous serez surpris parce que tout peut arriver sur la scène du théâtre al-Madina, les 11, 12 et 13 septembre. Farce truculente et outrancière, « Not for Public » nous plonge dans l’ordinaire haut en couleur de petites gens mesquines. Dans une...