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Actualités - CHRONOLOGIE

ENVIRONNEMENT Les oliviers millénaires de Jeïta, un patrimoine national laissé à l’abandon Suzanne BAAKLINI

Leurs troncs entrelacés sont de véritables œuvres d’art, leur prestance antique n’a rien perdu de sa superbe : les oliviers de Jeïta (Kesrouan), qu’on dit millénaires, ne sont pas facilement repérables, mais quand on y arrive guidés par des habitants, le spectacle vaut le détour. Cependant, ces magnifiques géants qui ont réussi à survivre durant des siècles sont désormais à l’abandon, envahis par les ronces et les mauvaises herbes, quand leurs troncs creux ne sont pas remplis de cailloux ou de déchets. Des habitants et des écologistes plaident aujourd’hui pour qu’un projet visant à réhabiliter le terrain et à protéger ces oliviers soit adopté, sous peine de voir ce patrimoine national disparaître purement et simplement. Se promener dans cette grande oliveraie, d’un peu moins de 3 500 mètres carrés, ressemble en soi à une aventure dont vous ne sortirez pas sans avoir des ronces jusqu’aux genoux. De près, les arbres sont encore plus impressionnants, chacun s’étant développé d’une manière unique, comme seuls savent le faire les oliviers : vers le haut, vers le côté, avec un tronc coupé en deux… L’un de ces arbres a même été frappé par la foudre. Un habitant de la région affirme que selon les vieux du village, lorsque ces derniers étaient jeunes, ces arbres étaient similaires à ce qu’ils sont aujourd’hui, ce qui donne une idée de leur âge vénérable. Leurs troncs auraient sans peine inspiré des peintres, mais c’est de toute évidence la négligence qui est leur pain quotidien. En certains endroits gisent même des branches coupées. Cette négligence provoque la colère d’habitants de la région, qui ne comprennent pas pourquoi un tel patrimoine naturel national est laissé à l’abandon. L’un de ces habitants est Robert Akiki, propriétaire d’une pépinière à Jeïta, qui tente de sauver cette oliveraie depuis qu’il a pris connaissance de son existence, il y a une dizaine d’années. Il précise que le terrain – qui est le bien-fonds 576 de Jeïta, d’une superficie de 3 396 mètres carrés – est inscrit au nom du wakf de l’école al-Roumieh, du village de Kleïat. « Mais ce wakf est sous la tutelle et la supervision du patriarcat maronite, assure-t-il. Je peux l’affirmer parce que quand je me suis renseigné sur le terrain pour le réhabiliter, je me suis adressé à l’école al-Roumieh qui m’a référé au patriarcat. Or il est loué depuis des années à une personne qui le néglige. » Un autre habitant originaire du Kesrouan, Walid el-Khazen, déplore lui aussi cet état d’abandon. « Le terrain a été loué à une personne qui n’en prend pas soin, de toute évidence, dit-il. Dans les années 40, ces oliviers étaient encore en bonne santé, comme l’attestent des témoignages. Aujourd’hui, les troncs évidés par le temps sont remplis de cailloux, c’est un vrai saccage ! Ces oliviers ne sont pas seulement à l’abandon, du bois en est coupé régulièrement. » M. Khazen nous indique qu’il s’intéresse à l’affaire de ces oliviers depuis près d’un an, et qu’il a établi des contacts avec le responsable du bail qui est le patriarcat maronite, et plus spécifiquement avec l’économe du patriarcat, le père Joseph Boueiri, pour proposer d’initier un plan de réhabilitation de la vieille oliveraie. Ses démarches ont également englobé l’ordinaire du lieu qui est l’évêque Guy Njeim, responsable géographiquement de cette région du fait qu’il est l’archevêque maronite de Sarba. Ces contacts n’ont pas été fructueux, selon lui, parce que les responsables religieux se sont heurtés à un refus du locataire. « Je me suis pourtant entendu avec l’association de Jabal Moussa qui a accepté d’intégrer ce terrain dans son projet écologique », a-t-il précisé. Lorsque nous avons interrogé le père Boueiri, il s’est contenté de nous dire, après des atermoiements, que « le terrain n’appartient pas au patriarcat maronite ». Pour sa part, Mgr Njeim a précisé qu’il n’était pas à proprement parler concerné par ce terrain puisque celui-ci est sous la supervision du patriarcat, mais qu’il serait favorable à un plan de protection de ces oliviers qu’il a qualifiés de « patrimoine national ». « Nous avons essayé de parler à la personne qui a loué l’oliveraie du patriarcat maronite, mais nous trouvons une difficulté à le convaincre du fait que l’objectif d’un tel projet est simplement la préservation des arbres, dit-il. Je serais favorable à un projet de préservation sous la supervision d’une association écologique. » Des racines étendues dans le sol Pour M. Khazen, la préparation d’un plan de préservation des oliviers nécessitera certainement l’intervention d’experts, mais il est évident qu’il faudra construire une clôture, défricher le terrain et le débarrasser des herbes folles, élaguer les arbres de façon appropriée et protéger leurs racines. « Ces oliviers sont si vieux qu’ils racontent toute une histoire sur la population de cette région, habitée depuis des milliers d’années, insiste-t-il. Ils sont vraiment uniques et doivent être visités par le public qui sera ainsi sensibilisé sur son histoire. » M. Akiki, qui se qualifie lui-même comme un « passionné d’agriculture », nous confie également ses impressions. « Quand je l’ai découverte il y a une dizaine d’années, l’oliveraie était déjà dans ce même état de négligence, assure-t-il. J’estime que plusieurs arbres ont été irrémédiablement perdus, et les autres semblent survivre de force. Ces oliviers sont très vieux et très rares. Le clergé doit être soucieux de ce patrimoine qui se perd. Comment nous demande-t-il de rester attachés à notre terre quand lui-même néglige une telle richesse ? À Jérusalem, il y a des oliviers qui ne sont pas aussi majestueux que ceux-là et qui, a-t-on estimé, existent depuis l’époque du Christ. Ils sont considérés comme patrimoine national et sont devenus une attraction pour les touristes. » M. Akiki se déclare « prêt à se charger de la terre et à faire revivre ces oliviers gratuitement ». Et d’ajouter : « Pour les fonds nécessaires , nous pouvons les collecter, et les retombées morales seront énormes. » Il dit avoir essayé de faire parvenir les informations sur cette oliveraie aux hauts responsables du clergé, mais qu’il ne sait pas ce qui est advenu de sa requête. C’est lui qui a alerté les écologistes sur cette question. L’agriculteur estime que des oliviers aussi vieux ont besoin que leurs racines soient protégées, parce qu’elles sont très étendues le sol. Selon lui, il faudra aussi ajouter de la terre à leurs pieds et élaguer les branches mortes. « Je suis sûr qu’avec de tels soins, 100 % de ces oliviers vivront, malgré leur âge vénérable, mais il faut leur accorder le temps nécessaire et effectuer un suivi continu, utiliser les pesticides adéquats ou encore doser l’arrosage, ajoute-t-il. Or si on continue comme cela, on pourrait perdre jusqu’à deux de ces oliviers chaque année. » Affaire, donc, à suivre…
Leurs troncs entrelacés sont de véritables œuvres d’art, leur prestance antique n’a rien perdu de sa superbe : les oliviers de Jeïta (Kesrouan), qu’on dit millénaires, ne sont pas facilement repérables, mais quand on y arrive guidés par des habitants, le spectacle vaut le détour. Cependant, ces magnifiques géants qui ont réussi à survivre durant des siècles sont...