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La charge a ciblé des soldats rentrant de leur permission et rejoignant leurs postes au Liban-Sud Quinze morts et une cinquantaine de blessés dans un attentat visant l’armée à Tripoli Patricia KHODER

Quinze morts dont neuf soldats de l’armée et 51 blessés, des militaires pour la plupart, tel était en soirée le dernier bilan de l’explosion de Tripoli. L’attentat, qui a eu lieu à la rue des banques dans le quartier el-Tell, a visé un point de rassemblement de bus privés empruntés en majorité par les soldats. Selon les premiers éléments de l’enquête, la charge pesant 1 500 grammes de TNT, cachée dans une valise et reliée à des billes métalliques, a été placée sur la chaussée à quelques mètres de deux bus qui devaient démarrer en direction du Liban-Sud. Actionnée à distance, la charge a explosé à une heure où des dizaines de soldats se rassemblent pour prendre les bus partant de Tripoli entre 8 h et 8 h 30. Il était environ 7 h 45, quand l’explosion a secoué la ville, transformant un tronçon de la rue des banques en champ de bataille. Hier, quelques heures après l’explosion, non loin des lieux de l’attentat, plusieurs témoins oculaires étaient toujours en état de choc. Parmi eux, un bon nombre de soldats. Élevés dans une tradition de retenue dans les grandes émotions, les hommes, civils et militaires, présents dans le quartier el-Tell au moment de l’explosion faisaient peine à voir. Le visage pâle, le regard fuyant, ils se contentaient d’indiquer : « J’étais là quand tout a sauté. J’ai aidé à transporter les blessés… J’ai tout vu. » Mais, ils évitaient de décrire l’atroce carnage. Hier, des restes humains ont été retrouvés sur les toits des immeubles limitrophes de l’explosion et nombre de blessés ont perdu les membres inférieurs, broyés par les billes métalliques, alors que les corps de plusieurs victimes tombées dans l’attentat ont été déchiquetés. « J’avais mis mon sac à dos dans le bus, je suis redescendu pour parler à des amis. Puis, tout a sauté, j’ai été propulsé en l’air… Bon nombre de mes camarades ont été blessés », explique un jeune soldat entouré de ses amis dans une ruelle de Tripoli. Dans l’un des bureaux de l’entreprise de transports Kotob, Abdallah, chauffeur de bus, raconte : « Deux chauffeurs de bus ont été blessés, Kasser Chebli et Assaad Darwich. Ce sont mes amis. Ils sont tous deux originaires de Akkar el-Atika. Ils transportent depuis des années des soldats de Tripoli jusqu’à Fayadiyeh, la Békaa et le Liban-Sud. Dans cette zone, où l’attentat a eu lieu, tous les matins il y a quelques centaines de soldats. Ils rentrent de leur permission au Liban-Nord pour rejoindre leurs postes au Liban-Sud. » Suivre le chemin des soldats En fait, les chauffeurs des bus blessés suivent les soldats et leurs déplacements. Ainsi Chebli et Darwich ont changé leur itinéraire, il y a deux ans, avec le déploiement des 6e, 10e et 11e brigades vers le Liban-Sud. Dix bus en tout, appartenant à des chauffeurs civils, suivent l’itinéraire des soldats. Il y a ceux qui vont à Fayadiyeh, ceux qui partent au Sud, ou dans la Békaa. Tous les matins, les bus partent du Akkar, s’arrêtent dans quelques localités, notamment Halba, avant d’effectuer une longue halte à Tripoli, à la rue des banques, où l’attentat a eu lieu. Non loin des lieux de l’attentat, ceux qui fréquentent l’endroit, notamment des hommes qui tiennent de petits restaurants populaires et d’autres commerces, évoquent ceux qui sont tombés. Pas les militaires, mais ceux qui vivotent dans la rue grâce aux passagers des bus : le vieux marchand de galettes, le vendeur de limonade et le petit garçon cireur de chaussures. Tous les trois sont morts dans l’attentat. Des heures après l’explosion, les services anthropométriques prélevaient toujours des indices et des restes humains, alors que la zone était entièrement bouclée par l’armée. Les morts et les blessés ont été transférés dans divers hôpitaux de la ville, notamment l’Hôpital islamique, l’hôpital Ninni, l’hôpital al-Mounla, l’Hôpital gouvernemental, l’hôpital Mazloum et l’hôpital al-Salam. Voici les noms des tués : Fawaz Khalaf, Mohammad Abou Bakr, Ziad Abdelkarim, Mohammad Merhi, Imad Abdelnour, Abdelrahman Zreika, Habib Élias el-Batch, Mohammad Omari, Moustapha Achi, Hussein Zohby, Haytham Kassem, Khaled Abdallah, Ahmad Hassan, Mohammad Mohammad ainsi qu’un jeune garçon de la famille Kanjo. Hier, dans tous les établissements hospitaliers de Tripoli, la même scène se répétait : des familles qui attendent devant les blocs opératoires et dans les couloirs, des sanglots qu’on étrangle, des visages livides, et des soldats, beaucoup de soldats accourus au chevet de leurs camarades. Il y avait aussi des militaires venus recueillir le témoignage des blessés ou s’informer auprès des bureaux administratifs des hôpitaux faisant le décompte des victimes. Le deuxième étage de l’Hôpital islamique accueille une dizaine de blessés. Un soldat, sorti indemne de l’explosion, originaire de Akkar el-Atika, raconte : « J’étais dans le petit bus qui appartient à mon beau-frère Assaad Darwich. Assaad était en train de prendre le café. Puis tout a basculé, je me suis couvert le visage des deux mains pour me protéger. Je suis descendu du bus. J’ai vu mon beau-frère blessé aux jambes. Je l’ai porté, j’ai couru pour l’emmener à l’hôpital puis j’ai rebroussé chemin, pris une autre route… C’est que je ne pouvais plus avancer, la chaussée était couverte de blessés, de cadavres et de restes humains. » Des proches des victimes de Nahr el-Bared Tous les matins, Assaad se rendait avec les soldats de la 10e brigade jusqu’à Chebaa. Il effectuait plusieurs haltes avant d’arriver à destination, la plus importante était celle de Tripoli. Le père d’Assaad, portant le costume traditionnel du Akkar, éclate en sanglots en quittant la chambre de son fils, grièvement atteint aux jambes. Toujours dans le couloir de l’hôpital, une jeune femme, portant une croix autour du cou, est venue au chevet de son mari Toufic Harb, militaire de la 10e brigade. Il est originaire de Rahbé. À côté d’elle, une femme plus âgée, tout habillée de noir, porte autour du coup un pendentif où le portrait d’un jeune soldat a été collé. C’est la tante de Toufic. Son fils Louis est tombé l’année dernière à Nahr el-Bared. Elle regarde autour d’elle, s’asseoit dans une salle d’attente pleine à craquer de soldats et de familles de militaires accourus au chevet de leurs blessés. Quelques instants plus tard, la femme en noir s’effondre, éclate en sanglots, crie sa douleur, parle de son fils tué, de son neveu blessé dans l’attentat et des soldats qui luttent pour le Liban… À la porte de l’hôpital, une jeune fille tient le sac à dos d’un militaire blessé en séchant ses larmes. L’hôpital Mounla a reçu une douzaine de blessés. Parmi eux Kasser Chebli, l’un des chauffeurs des deux bus. Il a perdu l’une de ses jambes dans l’attentat. « Je travaille depuis neuf ans avec les militaires. Mon bus a une capacité de 35 personnes. Il y a quelques années, je desservais Fayadiyeh. Mais depuis deux ans, avec le déploiement de la 6e et de la 11e brigade au Liban-Sud, je vais tous les jours avec les soldats jusqu’à Bint Jbeil », explique-t-il. « Nous sommes dix propriétaires et chauffeurs de bus à suivre l’itinéraire des soldats. Hier, comme tous les matins, j’ai effectué une halte à Halba, puis je me suis arrêté à Tripoli comme d’habitude. Je prenais le café… Je n’ai rien vu, rien entendu, et voilà que je me réveille à l’hôpital avec la jambe amputée », raconte-t-il. Devant le bureau d’admission de l’hôpital, un soldat répond à une infirmière : « Je ne sais pas ce que vous devez faire du sac à dos… C’est celui d’un soldat tué ou blessé ? Gardez-le avec vous pour le moment, il faut régler d’autres problèmes plus importants. » Toujours dans le même hôpital, un homme en civil, la cinquantaine, le visage livide, parle avec des militaires. De leurs gestes, on comprend que la requête du quinquagénaire a été refusée. L’homme aux cheveux blancs téléphone et donne un ordre d’une voix blanche : « Arrêtez l’impression des faire-part. » Cet homme, Moustapha Merhi, vient de perdre son fils Mohammad, militaire âgé de 29 ans. Moustapha, le regard absent et la voix glacée, répond machinalement aux questions qu’on lui pose. « Nous sommes originaires de Tripoli. Mohammad est marié, il est père d’un garçon de 6 ans. Son épouse est enceinte. Mohammad avait une permission de trois jours. Il devait rentrer aujourd’hui au Liban-Sud », dit-il. Parlant de la discussion qu’il vient d’avoir avec les militaires, il affirme : « Ils ne veulent pas me donner le corps. Il semble que des examens doivent être effectués par le médecin légiste. » Hier, l’armée a publié un communiqué soulignant que l’attentat porte atteinte à l’institution militaire et à la paix civile. De son côté, le directeur général des FSI, le général Achraf Rifi, a indiqué au site d’informations www.nowlebanon.com que la police a arrêté un suspect. L’enquête est en cours. En l’espace de huit mois, l’armée et les FSI ont été à trois reprises la cible d’attentats. Le 12 décembre dernier, une explosion avait tué le chef des opérations militaires François el-Hajj à Baabda. Le 25 janvier dernier, le capitaine Wissam Eid, chef du département technique des services de renseignements des FSI, a été tué dans une explosion dans le secteur de Chevrolet. Ce n’est pas la première fois, depuis 2005, que des billes métalliques sont reliées à des charges explosives. C’était notamment le cas de l’explosion de Aïn Alak, le 13 février 2007, qui avait visé deux bus de passagers civils, ainsi que de l’explosion de Dora, qui avait pour cible un convoi de l’ambassade des États-Unis, le 15 janvier 2008. Retour à Tripoli, au quartier el-Tell à 14 h 45, hier. Non loin des lieux de l’attentat, de jeunes militaires, portant leurs sacs à dos, descendent d’un bus. Ils passent devant le périmètre bouclé par la troupe. Ils viennent de rentrer du Liban-Sud. Ils sont en permission… Un peu plus loin, de l’autre côté de la rue, près de la route bloquée. Deux soldats portant leur sac à dos sont debout sur la chaussée… Ils servent à Tripoli. Ils sont en permission et rentrent chez eux ; l’un habite Beyrouth, l’autre la Békaa. Ils attendent un bus…
Quinze morts dont neuf soldats de l’armée et 51 blessés, des militaires pour la plupart, tel était en soirée le dernier bilan de l’explosion de Tripoli. L’attentat, qui a eu lieu à la rue des banques dans le quartier el-Tell, a visé un point de rassemblement de bus privés empruntés en majorité par les soldats. Selon les premiers éléments de l’enquête, la charge pesant 1 500...