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Actualités - OPINION

Commentaire De véritables négociations ou une confrontation avec l’Iran ? Par Joschka FISCHER*

Depuis deux semaines, il semble que le régime iranien ait finalement compris que la poursuite de son programme nucléaire risquait de conduire à une confrontation militaire. Des signes venus de Téhéran, ainsi que des déclarations inédites jusqu’à présent des responsables iraniens montrent une plus grande volonté de leur part de démarrer des négociations sur leur programme nucléaire et les problèmes de sécurité de la région. La décision américaine d’envoyer le sous-secrétaire d’État Williams Burns rencontrer le principal négociateur iranien du nucléaire donne l’impression que ces signes ont été pris au sérieux. Mais la récente démonstration de force iranienne avec l’essai de fusées et le rejet d’un compromis par le président Mahmoud Ahmedinejad et son ministre des Affaires étrangères montrent que les dirigeants iraniens sont divisés quant à la ligne stratégique à suivre. Ils croient à tort que les menaces israéliennes contre leurs installations nucléaires sont liées aux difficultés intérieures du gouvernement du Premier ministre Ehud Olmert. C’est on ne peut plus inexact. Le gouvernement Olmert est effectivement en proie à de sérieuses difficultés, mais ce n’est pas pour cela que la situation entre Israël et l’Iran s’approche d’une conclusion. Bien au contraire, il y a un consensus de l’ensemble des formations politiques israéliennes quant à la manière de faire face au possible armement nucléaire de l’Iran et à son hégémonie régionale. Ils sont tous d’avis qu’en l’absence de solution diplomatique, au moment voulu il faudra empêcher par tous les moyens l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. Ce point de vue est d’ailleurs partagé en privé par l’Arabie saoudite et d’autres pays arabes. Mais si l’Iran adopte une approche plus réaliste, il y a un véritable espoir pour une solution diplomatique. L’offre la plus récente du groupe des 5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne) a été bien accueillie par Téhéran. En plus d’une coopération politique et économique d’envergure, l’offre comporte une promesse de coopération dans le domaine nucléaire, avec notamment la construction en Iran du réacteur à eau légère le plus moderne et son approvisionnement, ainsi que l’autorisation donnée à l’Iran de poursuivre et de développer le nucléaire – tout cela à condition qu’il y ait un règlement négocié. La réponse positive de l’Iran à la procédure proposée par le groupe des 5+1 est un élément tout à fait nouveau. Dans la phase de prénégociation, l’Iran accepterait de ne pas installer de nouvelles centrifugeuses (nécessaires pour accroître la quantité d’uranium qui est enrichi), tandis que le groupe des 5+1 s’abstiendrait d’appeler à de nouvelles sanctions au niveau du Conseil de sécurité. Une fois les négociations engagées, sous le contrôle de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, l’Iran suspendrait pendant 6 mois l’enrichissement de l’uranium et toutes les activités qui lui sont liées – ce que le gouvernement iranien refusait même de discuter au cours des quatre dernières années. Ces négociations auraient pour but un accord global entre l’Iran et le groupe des 5+1 qui mettrait fin à la crise sur le nucléaire et traiterait les problèmes régionaux de sécurité (l’Irak, le conflit israélo-palestinien, le Liban, le Golfe persique, l’Afghanistan), tout en ouvrant la voie à une coopération internationale et régionale très étendue. Des signes émanant de l’Iran laissent entendre qu’ayant maîtrisé la technologie de l’enrichissement de l’uranium, il pourrait envisager d’y procéder dans un pays tiers, ceci dans le cadre d’un consortium avec l’Occident. Il y a peu, l’Iran avait rejeté sans grande cérémonie une proposition similaire faite par la Russie. Enfin, si l’Iran n’a pas la volonté d’accepter l’hégémonie israélienne, son ton à l’égard d’Israël commence à changer. L’antisémitisme inqualifiable d’Ahmadinejad a été critiqué récemment de manière indirecte, mais très évidente, par l’un des plus proches confidents du guide religieux suprême, l’ancien ministre des Affaires étrangères Ali Akbar Velayati. Selon des porte-parole iraniens, les milieux dirigeants sont conscients de l’importance d’Israël pour parvenir à une solution d’ensemble des crises de la région et il n’est plus inconcevable que l’Iran fasse du commerce avec Israël. On n’avait pas entendu ce type de langage depuis qu’Ahmadinejad est au pouvoir. L’Iran est-il vraiment sérieux ou bien s’agit-il d’une vieille défense tactique ? Le gouvernement veut-il une fois de plus gagner du temps, pour geler la situation jusqu’à l’élection présidentielle américaine ? Étant donné les contradictions étalées au grand jour dans la conduite des dirigeants iraniens, la position de l’Iran est-elle vraiment fiable et si c’est le cas, qui la représente ? C’est le test des négociations, cette fois-ci avec la participation directe des Américains, qui apportera la réponse à ces questions cruciales. Si l’Iran est sérieux, il pourrait en résulter rien de moins que le « grand accord » attendu de longue date – une conciliation régionale des intérêts de l’Iran avec ceux de l’Amérique et de ses alliés régionaux ainsi que de l’Europe. Mais si l’Iran cherche simplement à gagner du temps, sa conduite est à courte vue et insensée. Le conflit, et par conséquent le risque d’une confrontation militaire, ne disparaîtra pas avec le prochain gouvernement américain. Bien au contraire, si les négociations échouent, la confrontation refera rapidement surface et sera beaucoup plus dangereuse. Ni John McCain ni Barack Obama n’adopteront une attitude plus conciliante que le gouvernement Bush sur la question de l’hégémonie régionale de l’Iran et sur son programme nucléaire. En cas d’échec de la voie diplomatique, ils réagiront probablement avec davantage de vigueur. Il est donc impératif de donner toutes ses chances à une solution diplomatique qui semble possible pour l’heure. Si Téhéran réalise qu’il est bien plus intelligent et bien davantage dans l’intérêt de l’Iran de consolider les succès de sa politique étrangère des dernières années et de renforcer le régime que de risquer tout dans une confrontation militaire aux conséquences imprévisibles, il y a alors une véritable chance pour une solution diplomatique. Sinon, la région plongera dans une crise aiguë. Il y a une sagesse à laquelle les dirigeants iraniens devraient prêter attention dans le vieil adage selon lequel « un tien vaut mieux que deux tu l’auras ». *Joschka Fischer a été ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier de l’Allemagne entre 1998 et 2005. Il a également été un dirigeant des Verts allemands pendant près de 20 ans. © Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2008. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Depuis deux semaines, il semble que le régime iranien ait finalement compris que la poursuite de son programme nucléaire risquait de conduire à une confrontation militaire. Des signes venus de Téhéran, ainsi que des déclarations inédites jusqu’à présent des responsables iraniens montrent une plus grande volonté de leur part de démarrer des négociations sur leur programme...