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Actualités - REPORTAGE

Un amoureux fou du Liban?: Ali Fayek Berjaoui, exilé en France et aujourd’hui disparu

«Pour moi, le Liban est art, lumière et vie.?» Ali Fayek Berjaoui, grand peintre et homme de lettres méconnu, exilé en France depuis 1959 et décédé il y a dix ans, s’exprimait ainsi en parlant de son pays. Fervent patriote, il a souvent dénoncé la guerre des 15 ans au Liban?: «?J’aime ma patrie, mais je demande à mon peuple pourquoi il commet des massacres?!?» Installé à Sceaux dans la banlieue parisienne avec sa femme française et ses quatre enfants, il nous recevait souvent en 1986. Il avait alors 70 ans et portait les stigmates de la guerre qui l’avait terrassé à des milliers de kilomètres. Il dénonçait de plus la négligence du gouvernement libanais qui délaisse les artistes. «?Ce qui se passe au Liban est un crime véritable. Peu m’importe les criminels, je suis accroché au Liban, à mon pinceau… Je ne peins pas d’autre sujet. Je veux avec mon art sauver une famille?», disait-il souvent. Son visage serein et son accueil enthousiaste ont marqué nos visites régulières dans sa maison fleurie. Il venait d’être décoré par Jacques Chirac et était un invité de choix dans les soirées mondaines parisiennes. Sa santé fragile freinait déjà son énergie, mais n’altérait en rien sa fougue et son amour pour le Liban qu’il chérissait plus que tout autre. Il nous montrait ses peintures et nous conseillait sur l’avenir du Liban et le futur de notre action culturelle que nous venions d’engager pour notre pays à travers l’association RJLiban. Il s’amusait à nous souligner l’importance de l’étude des langues pour bien connaître l’histoire du Liban, dont la langue turque, «?indispensable, car la bibliothèque d’Istanbul regorge d’ouvrages écrits lors de la domination ottomane de la région qui a duré cinq cents ans?». Il avait lui-même publié en 1946 une thèse en turc sous le titre Socialisme en islam. Originaire de Barja, grosse bourgade sunnite sur le littoral du Chouf, à l’entrée nord de Saïda, Ali Fayek Berjaoui avait sillonné la planète, étudiant les lettres et les beaux-arts à Paris, Istanbul et New York, avec des passages en Allemagne, en Italie et en Grande-Bretagne. Il avait d’ailleurs écrit, juste avant la Seconde Guerre mondiale, un recueil de poèmes en anglais intitulé Why??. Parmi ses autres écrits, citons les traductions en turc des Confessions et de la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, du Roman d’un jeune homme pauvre d’Octave Feuillet, de plusieurs contes et nouvelles d’Anton Tchekov,?ainsi que des nouvelles de l’écrivain libanais Toufic Awad. Interrogé sur son ascendance, il dit?: «?Je suis né à Beyrouth en 1916. Mon père, Toufic Berjaoui, qui était membre de la Cour de cassation, est mort deux ans plus tard, à Damas, à 35 ans, où il s’était installé, fuyant la guerre. Mes parents s’étaient mariés à Jérusalem, où mon grand-père maternel, Omar Loutfi, était administrateur des Lieux saints et professeur à l’École supérieure de théologie sous le mandat ottoman.?» Ali Fayek Berjaoui a exposé régulièrement à Paris, New York, Istanbul, Beyrouth, Izmir… Parmi les acquéreurs de ses tableaux, figurent des personnalités célèbres. L’écrivain Jacques Nantet, fasciné par ses œuvres, s’était exclamé?: «?Quel talent et quel Liban?! » Pour sa part, Lucien Bitterlin, président de l’Association franco-arabe, écrivait?: «?Vous savez combien nous vous aimons, car vous exprimez tellement bien l’âme du monde arabe écorché, mais tellement vibrante d’amour et de vie.?» Ami du poète turc Nazim Hikmat dont il a réalisé un portrait en 1934 en lui dédiant un livre traduit en arabe, Ali Fayek Berjaoui a également côtoyé de grands peintres libanais, comme Moustapha Farroukh, Omar el-Ounsi et Rachid Wehbé. «?Moustapha Farroukh était un ami de la famille. C’était un homme exemplaire, le plus grand artiste libanais. Il a reflété l’âme libanaise jusqu’à son dernier souffle. Le Liban était son poème. Moustapha était mon ami et partageait mes sentiments. Nous avons voulu refléter ensemble les sources intarissables de la beauté dans notre pays. Il était authentique?: ses couleurs étaient imprégnées du sang de la terre et il les a fertilisées avec les villages libanais meurtris. L’important est la culture de notre pays.?» «?Omar el-Ounsi était mon voisin quand j’habitais à Ramlet el-Baïda à Beyrouth. C’était une des personnes les plus aimables que j’aie connues dans ma vie. Il était sensible à la beauté de l’homme et de la nature. Il était empli des couleurs des prairies et des forêts du Liban. Quant à Rachid Wehbé, c’était un ami intime. Lorsque je venais à Beyrouth, je passais la plupart de mon temps dans son atelier près du bois. Cet artiste était resté dans son Liban berceau. Je me souviens avec fierté du timbre qu’il avait réalisé avec la photo de?al-Akhtal as-Saghir.?» Pleurant la tragédie libanaise, Ali Fayek Berjaoui a poursuivi?: «?Je suis engagé jusqu’à la mort dans la réflexion de l’image du Liban qu’ils tentent de faire disparaître.?» Et, se tournant vers sa femme et ses enfants, il leur a dit?: « J’adore le Liban, je le sens et je m’en inspire dans mes peintures. Je ne connais pas de langue pour exprimer mes sentiments, je voudrais que mes peintures soient une symphonie libanaise,?le pin des collines, âme du Liban… La beauté du Liban est telle qu’il doit être le lieu de la création de l’homme.?» Naji FARAH
«Pour moi, le Liban est art, lumière et vie.?» Ali Fayek Berjaoui, grand peintre et homme de lettres méconnu, exilé en France depuis 1959 et décédé il y a dix ans, s’exprimait ainsi en parlant de son pays. Fervent patriote, il a souvent dénoncé la guerre des 15 ans au Liban?: «?J’aime ma patrie, mais je demande à mon peuple pourquoi il commet des massacres?!?»...