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Actualités - CHRONOLOGIE

L’ART DANS LA VILLE - Bref historique et micro-trottoir (1) Le monument aux Martyrs, un symbole fédérateur

Sans qu’on ne s’en rende vraiment compte, Beyrouth s’est transformé ces dernières années en un parcours ponctué de statues de martyrs. Trois sculptures, plus précisément – si on se limite au seul périmètre de la capitale –, rappellent le sang versé au tribut d’une certaine idée du Liban. En premier, le véritable, l’historique monument aux Martyrs qui, après une éclipse de dix ans, pour cause – entre autres ! – de restauration, a repris sa place au cœur de la ville, quelques mois avant la révolution du Cèdre. Puis, deux autres «?hommages en bronze?» à deux des plus célèbres figures de la triste liste des martyrs de la deuxième indépendance ont, tour à tour, pris leurs marques dans le paysage de la cité. Ainsi, l’effigie de Rafic Hariri trône depuis quelques mois en bord de mer à Aïn el-Mreisseh, sur les lieux même de l’attentat qui lui a coûté la vie, et celle de Samir Kassir, installée, il y a près de deux ans, dans un petit square qui porte son nom, à l’ombre du journal an-Nahar dont il était l’une des plus éminentes plumes, semble encore réfléchir à l’avenir qui attend ce pays. Trois statues dédiées aux martyrs de l’indépendance dans un périmètre si restreint, le symbolisme est éloquent. Il reste à savoir si le citoyen libanais en est conscient. Justement, comment ce dernier perçoit-il cette statutaire du souvenir ? Quelle relation a-t-il noué avec ces effigies sculptées qui dominent de manière écrasante le paysage artistique de la ville?? En connaît-il l’historique, l’artiste, la signification ? Autant de questions qui ont fait l’objet des reportages express sur le mode du micro-trottoir. Premier de la série : le monument aux Martyrs. S’il est une statue emblématique du martyr d’un pays, c’est bien cette altière sculpture qui trône au centre-ville de Beyrouth. Elle a été inaugurée le 6 mai 1960, pour remplacer la statue des Deux pleureuses* (chacune d’elles représentant une confession) de Youssef Hoayek, qui avait orné la place des Martyrs depuis le début des années trente jusqu’à ce qu’un déséquilibré la mutile dans les années cinquante. Œuvre d’un artiste italien, Mazacurati – celui-là même qui avait réalisé quelques années plus tôt l’effigie de Riad el-Solh –, elle avait créé à l’époque quelques remous autour du choix d’un sculpteur étranger et de ses figures qui, pour certains, n’étaient pas assez représentatives du type libanais. Encore moins des personnages qu’il était censé représenter. À savoir, le groupe d’intellectuels et de lettrés de toutes confessions que les Ottomans avaient pendus sur ce lieu même, alors place des Canons, avant qu’elle ne soit rebaptisée place des Martyrs. Stigmates de guerre Ces quatre magnifiques personnages finiront par s’inscrire dans le paysage et le cœur des Beyrouthins à l’image desquels ils subiront les avanies de la guerre civile et les outrages des balles des belligérants. Mais aussi l’invasion des ronces qui envahiront le centre-ville, avant d’être envoyés, en 1996, à l’atelier de restauration de l’USEK où, en collaboration avec un expert anglais, M. Rupert Harris, engagé par Solidere, les restaurateurs colmateront soixante pour cent des trous laissés par les impacts de balles, le reste ayant été laissé pour la mémoire des générations futures. Ces mêmes jeunes générations qui, interrogées – la plupart interpellées aux alentours de la statue –, ne semblent pas faire grand cas de ce monument. Encore moins de ses péripéties et de ses tourments. Il reste à leurs yeux le lieu de ralliement des manifestations de ces trois dernières années. Une adresse en somme, un site plus qu’un symbole. Pour Firas, 18 ans, et Joëlle, 14 ans : «?C’est une statue qui représente tous les martyrs, anciens et nouveaux.?» Jessica, 18 ans, qui étudie la comptabilité informatique, remarque, suite à notre question, «?son ancienneté et son côté esthétique très beau?», mais tous avouent ne pas s’être arrêtés jusque-là pour la contempler. Rana, 27 ans, employée de bureau, affirme, pour sa part, être attachée à ce «?symbole de notre patrimoine?», mais avoue ne pas connaître son historique ou son auteur. Chady, 33 ans, coiffeur, regrette que «?les politiques ne tiennent pas plus compte de sa valeur symbolique, de tous ces morts pour la patrie, la liberté et l’indépendance qu’il représente?». Il faudrait d’ailleurs, selon lui, réunir toutes les statues des nouveaux martyrs (Hariri, Kassir, Tuéni, etc.) sur un même lieu, «?autour de ce monument, parce que cette place leur appartient?». Une certaine idée du Liban Une certaine déférence qui revient dans les propos de Toni, 48 ans, employé dans une société d’assurances toute proche, qui revendique un aménagement digne de cette sculpture, symbole de notre mémoire. «?C’est une honte qu’elle soit laissée dans ce terre-plein aride et qu’elle soit devenue un lieu de rendez-vous des jeunes gens désœuvrés.?» Toni, lui, connaît par cœur l’historique et les péripéties de cette statue à laquelle il est visiblement fortement attaché. «?C’est un artiste italien qui l’a réalisée?», affirme-t-il, sans l’ombre d’une hésitation, signalant qu’ «?avant la guerre, elle était encore plus belle, avant que l’un des personnages ne perde son bras par un impact d’obus. Il n’a jamais pu être reconstitué?», regrette-t-il. Idem pour Roger, la cinquantaine, directeur dans une société étrangère, qui avoue un vif attachement à ce monument couplé à un sentiment de fierté. «?Cette sculpture évoque une idée, une certaine idée du Liban et en cela elle est beaucoup plus importante que les effigies des hommes politiques. Et puis, je la trouve très belle. Chaque fois que je passe dans les alentours, je la regarde avec bonheur. C’est un vestige de notre passé, même s’il me paraît un peu occidental. L’enlever équivaudrait à amputer une certaine partie de notre mémoire. D’ailleurs, personnellement, lorsqu’ils l’avaient enlevée un long moment, ça m’avait gêné !?» Témoignages éloquents d’un rapport plus affectif qu’esthétique, ce monument aux Martyrs, au-delà de sa symbolique patriotique, met également en évidence le clivage des générations… Des anciennes d’entre elles considérant que ces martyrs-là sont morts pour une seule et même idée du Liban, quelle que soit leur appartenance. Alors que, depuis la guerre de 1975, tous sont tombés chacun pour son Liban. Zéna ZALZAL * «?Les?Deux pleureuses?» se trouve depuis dans le jardin du musée Sursock.
Sans qu’on ne s’en rende vraiment compte, Beyrouth s’est transformé ces dernières années en un parcours ponctué de statues de martyrs. Trois sculptures, plus précisément – si on se limite au seul périmètre de la capitale –, rappellent le sang versé au tribut d’une certaine idée du Liban.


En premier, le véritable, l’historique monument aux Martyrs qui,...