Rechercher
Rechercher

Actualités

Censure : les vérités qui dérangent... Michel HAJJI GEORGIOU

Mais quelle peut bien être encore l’utilité d’une censure, résidu d’un passé idyllique pour certains esprits obscurantistes, signe d’un monumental archaïsme, d’une ignorance extraordinaire, d’une bêtise magnifique... ? Cette question, il faut à tout prix la poser à ceux qui, dans les locaux de la Sûreté générale, continuent de recourir à cet instrument passéiste et vétuste pour préserver nos âmes et nos cerveaux de ce qui pourrait les souiller. Ainsi, le dernier numéro de L’Express, daté du 12 juin, n’a pas échappé à l’œil particulièrement bienveillant de nos Gardiens du Temple. Cette fois, il ne s’agissait pas de Persépolis et d’une « atteinte à un pays-frère », d’un livre qui puisse pousser une Église deux fois millénaire à la disparition, du discours d’un rabbin juif qui puisse nous révéler l’existence d’une réalité qui s’appelle Israël à nos frontières, ou encore d’une actrice se baladant en tenue d’Ève avant de découvrir, avec son bel étalon de partenaire, les joies insondables du plaisir (que nous ignorons, puisque nous sommes bien évidemment tous chastes, purs et innocents, et que nous n’avons jamais osé laisser nos yeux errer sur une femme ou un homme dans le plus simple appareil, voyons !). Il s’agit cette fois d’un sujet plus délicat, traité sous un angle socioculturel : l’affaire du mariage annulé en France pour non-virginité, et, plus globalement, de l’intégration des musulmans en France. L’article, intitulé « Islam : les vérités qui dérangent », a suscité le courroux des censeurs, puisque le feutre salvateur s’est abattu sur certains paragraphes pour nous préserver des idées qui pourraient contaminer nos esprits. On devra cependant reconnaître au censeur d’avoir eu la gentillesse de ne pas arracher la page, nous permettant d’identifier le thème damné sans avoir à recourir à cette machine diabolique dont il semble ignorer l’existence : l’ordinateur et le réseau Internet. Nous n’entrerons même pas dans le débat qui consiste à savoir si l’article est provocateur, s’il mérite d’être déchiré ou encensé, si le thème lui-même nécessite une quelconque surveillance, en raison de sa sensibilité. C’est un faux débat. L’accepter équivaut déjà à un renoncement à la liberté. Le seul interdit devrait être d’interdire. Il ne s’agit pas que d’une question de principe – à savoir que la liberté doit toujours l’emporter sur la censure, sans aucune exception, et que c’est à la justice de trancher en cas de litige. Il s’agit surtout d’une question d’évolution de la société. La censure, c’est l’absence de liberté. Or, sans liberté, il n’y a pas de responsabilité et pas de débat. Sans responsabilité, il n’y a plus de citoyenneté, et sans débat, plus de pluralisme. Sans pluralisme et sans citoyenneté, il n’y a plus de Liban. L’adoption de la censure a donc pour résultat le sabotage des fondements mêmes de la vie commune et publique, ce qui ne peut, au bout du compte, que produire un citoyen refermé sur lui-même, obtus, irresponsable, incapable d’accepter la différence, et violent. D’autant que le monde entier se nourrit aujourd’hui d’informations. Si un jeune ne trouve pas ce qu’il recherche dans L’Express, il fera tout ce qu’il peut pour retrouver l’information online, et l’on peut être sûr que rien ne l’arrêtera avant d’avoir satisfait sa soif de savoir. La seule censure acceptable devrait être une censure « positive », celle qui permettrait à l’individu de faire, seul, ses choix d’une manière responsable, en décidant ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il fait. Et, comme dans tous les pays développés, il y aurait des indications, des conseils lui expliquant à l’avance ce à quoi il s’expose. Le grand malheur, c’est de devoir encore et encore expliquer tout cela, au XXIe siècle, à des personnes qui se croient investies d’une mission hautement civilisatrice, et qui contribuent en fait à obstruer toute émergence d’une citoyenneté au Liban. Qui plus est dans un pays qui continue à se targuer d’être l’exception culturelle et le parangon des libertés dans la région !
Mais quelle peut bien être encore l’utilité d’une censure, résidu d’un passé idyllique pour certains esprits obscurantistes, signe d’un monumental archaïsme, d’une ignorance extraordinaire, d’une bêtise magnifique... ? Cette question, il faut à tout prix la poser à ceux qui, dans les locaux de la Sûreté générale, continuent de recourir à cet instrument passéiste et...