Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Résident de la République

« Ils veulent un Premier ministre consensuel ? Parfait. Que l’on élise en même temps un président de la Chambre consensuel. » Samir Geagea Pendant près de cinq ans, l’homme qui trottinait gentiment derrière Rafic Hariri, l’homme qui confondait la gestion économique du pays avec celle d’une banque privée, l’homme qui avait le charisme d’un pois chiche, cet homme-là était la cible de toutes les critiques – jusque dans ces mêmes colonnes. Sa littérale transfiguration a appris à beaucoup de gens l’humilité : celle du mea culpa – jusque dans ces mêmes colonnes. Il n’y a d’ailleurs plus rien à dire sur cette métamorphose : Fouad Siniora est, jusqu’à nouvel ordre, l’un des (trop) rares hommes d’État au Liban. Cette pénurie est malheureuse, cette espèce en voie d’extinction est dangereuse ; mais c’est comme ça. Le Premier ministre agace. Même au sein de son propre camp – cette majorité sans le soutien de laquelle, pourtant, il ne ferait rien. Il agace tous ceux, étiquetés 14 Mars, qui voudraient prendre sa place ; il agace ses camarades de combat par sa frilosité, parfois, son intransigeance, souvent. Sa discutable conception du rapport aux autres. Il agace parce qu’il a eu une chance inouïe : bénéficier de circonstances exceptionnelles, d’un terreau superfécond à l’éclosion de l’homme d’État, et, surtout, parce qu’il a parfaitement su saisir cette chance-là. Il agace parce que tout en restant, bien plus que quiconque, le gardien du temple Rafic Hariri, il a su transcender l’héritage, s’arrogeant un indiscutable droit d’inventaire et posant, l’une après l’autre, des jurisprudences politiques inestimables pour ce pays et dont ses successeurs, un jour, devraient penser faire bon usage. Il agace parce que, malgré ses innombrables défauts, il a appris et réussi à incarner, entre ses larmes contre toutes les armes et sa pugnacité face à tous les culots, une idée certaine d’un Liban fier. Il agace parce que, tout en étant parfaitement remplaçable (Adnane Kassar, Bahige Tabbarah, Khaled Kabbani, Nagib Mikati, Misbah Ahdab surtout, feraient de très bons Premiers ministres), le collectif n’a aucune envie de le remplacer… Le Premier ministre agace aussi ses adversaires politiques. Naturellement. Prodigieusement. Ne serait-ce que parce qu’il leur a enseigné, montré, une résistance de bien loin supérieure à celle dont ils se prévalent et dont ils revendiquent le monopole. La résistance était à réinventer et Fouad Siniora et son équipe l’ont fait – une résistance inimaginable : celle qui fait face aux coups de boutoir aussi bien externes, syro-israéliens, qu’internes, ceux de l’opposition. Il les agace parce qu’il s’est imposé comme le dernier rempart contre la vampirisation de l’État. Il les agace parce qu’il était, à la fois, Walid Joumblatt, Samir Geagea et Saad Hariri, parce qu’il était devenu, évidemment par la force des choses, cette espèce de Jeanne d’Arc technocrate portant haut, fort et loin, jusqu’aux plus petites capitales de la communauté internationale, l’étendard d’un Liban souverain, indépendant, orgueilleux surtout. Il les agace parce qu’il a été l’anti-Émile Lahoud : celui qui avance, qui construit, quand l’autre faisait stagner, paralysait. Il les agace enfin parce que, scientifiquement, concrètement, il leur est impossible à tous, de Hassan Nasrallah à Michel Aoun en passant par Nabih Berry, Sleimane Frangié, Omar Karamé, Talal Arslane et consorts, de rivaliser avec lui. Pour la simple et seule raison que Fouad Siniora, même habillé de mille abayas, est et restera l’antithèse absolue de ce qu’ils sont, de ce qu’ils seront, de ce que sont aussi, d’ailleurs, les Hariri, Joumblatt, Gemayel et autres Geagea : un zaïm. Hasard ? Coïncidence ? Heureux présage ? Cette réalité (ce privilège ?), Fouad Siniora la partage avec un autre homme. Celui avec lequel il sera amené à cohabiter en principe jusqu’aux prochaines législatives – on ne sait jamais : ce pays, où le fer de lance de l’opposition est une milice armée et arrogante, est un espace de putsch idéal… Il n’empêche : Michel Sleimane et Fouad Siniora, qui, tous deux, chacun à sa façon, n’ont rien du zaïm, forment un tandem prometteur, malgré toutes les réserves du monde. D’autant plus que leurs déclarations d’intentions respectives sont absolument interchangeables. Extraordinaire cas de figure (sauf que cela est censé se passer ainsi dans toutes les démocraties civilisées du monde) où les deux pôles de l’Exécutif ont en théorie, sur le papier, les mêmes options, les mêmes lignes directrices, les mêmes aspirations. Le même respect du sacré : la République. L’exacte même volonté de bâtir, de tendre la main à tous pour que, ensemble, tous bâtissent. Combien de temps tiendront ces deux hommes face, encore une fois, aux coups de boutoir de dedans, entamés pendant les consultations parlementaires par un 8 Mars hezbollahi-aouniste déterminé à participer au gouvernement pour s’y opposer de l’intérieur ? C’est inouï. On ne devient pas républicain : on l’est. Ou pas. Ziyad MAKHOUL
« Ils veulent un Premier ministre consensuel ? Parfait.
Que l’on élise en même temps un président de la Chambre consensuel. »
Samir Geagea

Pendant près de cinq ans, l’homme qui trottinait gentiment derrière Rafic Hariri, l’homme qui confondait la gestion économique du pays avec celle d’une banque privée, l’homme qui avait le charisme d’un pois chiche, cet homme-là...