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Actualités - REPORTAGE

Les miliciens du 8 Mars installent leurs permanences dans les quartiers de la capitale Malgré le calme, l’insécurité règne toujours à Beyrouth Patricia KHODER

Des miliciens en treillis militaire au coin des rues, des permanences de partis où l’on prend le narguilé assis sur le trottoir, des faire- part de décès collés aux murs de nombreux immeubles, des drapeaux jaunes (ceux du Hezbollah), verts (ceux du mouvement Amal) et noir et rouge (ceux du PSNS) plantés sur des mats au milieu de la chaussée, des artères ou des ruelles bloquées par des bennes à ordures, des monticules de sable ou encore par des blocs en plastique placés par l’armée… La troupe, avec ses chars, ses camions, ses jeeps et ses soldats, s’est déployée dans tout Beyrouth-Ouest, alors que des axes routiers, des artères entières de la capitale demeurent bloqués, le Hezbollah et ses alliés ayant décidé de poursuivre leur « mouvement de désobéissance civile ». Le calme a été donc rétabli à Beyrouth-Ouest et les habitants sont sortis soit pour évaluer les dégâts, soit pour se ravitailler. En fait, hier, ce sont les couleurs éclatantes des étalages des épiciers et des marchands de légumes, qui venaient de recevoir de la marchandise fraîche, qui donnaient la seule note de gaîté aux quartiers de la capitale qui vit depuis jeudi ses pires moments depuis plus de 20 ans. Malgré le déploiement de l’armée à Hamra, Raouché, Aïcha Bakkar ou à Mazraa, les habitants ne se sentent pas en sécurité, ils disent qu’à n’importe quel moment, les tirs peuvent recommencer en pleine ville et ils savent que les miliciens ne se sont pas retirés de la ville. D’ailleurs, dans un Beyrouth toujours en état de choc, à Hamra, Raouché, Aïcha Bakkar et Mazraa, les habitants livrent leurs impressions en chuchotant, de peur d’être entendus par les membres des milices qui ont investi la ville, qui se promènent dans les rues sans armes apparentes et qui ont installé diverses permanences. Dans les rues Hamra, Jeanne d’Arc et Makdessi, le PSNS a marqué sa présence en tamponnant sur les murs des immeubles son emblème rouge et en accrochant des drapeaux aux balcons des bâtiments, notamment à la rue Makdessi, où une permanence du parti a été installée, non loin ce qui était la Librairie de l’Étoile. Chez un marchand de légumes, des hommes et des femmes font leurs emplettes. Un homme indique que depuis 1958, le pays n’a vécu que des crises. « Le Liban ne vivra jamais en paix. Nous nous sommes habitués à la situation… Mais vous savez nous ne les (les miliciens du Hezbollah) avons pas provoqués, ils nous ont agressés, pourtant ils avaient promis qu’ils n’utiliseraient jamais leurs armes à l’intérieur », indique-t-il, soulignant qu’il est resté quatre jours sans mettre le nez dehors. Ahmad raconte qu’il a changé la disposition des meubles de la chambre de ses trois enfants. « J’ai éloigné les lits des fenêtres. On ne sait jamais quand ça pourrait recommencer. » Ahmad, qui a vécu 16 ans aux États-Unis, déteste les armes. Il est rentré au Liban il y une dizaine d’années, maintenant il pense quitter le pays, juste pour mettre en sécurité ses enfants. Tué par un franc-tireur Un homme qui veut conserver l’anonymat raconte que durant la guerre de juillet 2006, il participait à l’étranger aux quêtes effectuées pour le Liban-Sud. « Pour moi, le Hezbollah était une résistance, celle qui nous protégeait contre les Israéliens. J’ai aidé leurs veuves, leurs femmes enceintes, leurs orphelins… Si ça se répète, je le ferai probablement. Il faut penser sur le plan humain… Mais je n’ai jamais cru qu’ils utiliseraient leurs armes contre nous. Pourtant, beaucoup de mes amis m’avaient prévenu », raconte-t-il, se demandant comment il pourra regarder désormais du même œil ses voisins chiites. Son ami renchérit : « C’est une armée organisée. Leur plan de l’invasion de Beyrouth existait déjà. Je les ai vus comment ils étaient à un croisement de la rue Jeanne d’Arc, armés jusqu’aux dents en train de communiquer avec des signaux de la tête et des mains d’un trottoir à l’autre pour entrer dans le secteur. Ils connaissent très bien les lieux. » Un peu plus loin, dans la même zone, un homme vide son fonds de commerce. Il a peur des vols et des actes de vandalisme. À la rue Sidani, des miliciens ont saccagé l’entreprise Laceco appartenant au président de l’ordre des ingénieurs et des architectes de Beyrouth Bilal Alayli, qui avait récemment remporté les élections, soutenu par les forces du 14 Mars. Dans le même secteur, chez un épicier, Mariam vient de lire un faire-part collé au mur. Elle est surprise. « Ah, le pauvre ! C’est le fils du boulanger, il a seize ans. » Ziad Ghalayini est né en octobre 1991, il a été tué vendredi matin par les balles d’un franc-tireur, non loin de chez lui. Au-dessus de la boulangerie de son père, la famille reçoit les condoléances. Son père Ramadan raconte : « Ziad a passé toute la nuit de jeudi à vendredi à travailler à la boulangerie avec moi. Puis à 6 heures 30 du matin, quand tout s’était calmé, il est sorti avec son ami Ali Mohammadié, un Palestinien sunnite, pour s’enquérir d’amis et de membres de la famille à la rue Caracas, notamment ses grands-parents. Alors qu’ils marchaient vers la rue Caracas, Ziad et Ali ont été surpris par des tirs et se sont réfugiés dans un immeuble. Puis, lorsque tout s’est calmé, Ali Mohammadié, traversant la rue, a été criblé de balles, 7 balles exactement. Ziad a couru pour protéger son copain et un franc-tireur l’a visé à la tête. » « Mon fils est de Ras-Beyrouth. Il est mort chez lui. Ceux qui l’ont tué ne sont pas originaires de la zone. Ils sont venus nous envahir… Mon fils n’a jamais porté des armes. Il préparait son brevet et il travaillait avec moi à la boulangerie », indique Ramadan. « Le Hezbollah prétend qu’il porte les armes contre Israël. Est-ce que nous sommes des Juifs ?» se demande-t-il. Ramadan tient à dire une phrase encore : « Je veux féliciter le Hezbollah pour cette victoire. En occupant Beyrouth, il a libéré la Palestine. Le Hezbollah a tué Rafic Hariri deux fois, le 14 février 2005 et jeudi dernier. » Ramadan n’a pas les larmes aux yeux. Il raconte son histoire en vous regardant en face, d’un air de défi, sans se lamenter sur son fils, sans aucune hésitation dans la voix. Son regard est sombre et glacé comme la haine. Ramadan n’est pas le seul homme à Beyrouth à parler de cette manière d’un proche tombé dans la rue jeudi dernier. À Aïcha Bakkar, Bilal parle de son frère, Nabil Aboul-Aynaïn, tué jeudi soir dans le secteur de Raouché. « Nabil a été tué par les sionistes », dit-il, racontant que son frère a quitté la maison jeudi vers 21 heures pour s’enquérir d’amis blessés à Raouché. « La Croix-Rouge l’a retrouvé en voiture, atteint d’une roquette B7 à la tête. » « Mon frère avait 20 ans, il était ouvrier. Il a passé sa jeunesse à l’association Makassed… Il a été tué, je n’y peux rien… Dieu le vengera », dit-il. La maison des Aboul-Aynaïn est accessible uniquement à pied. C’est que non loin de là, le mouvement Amal a installé sa permanence. Portant treillis militaire et tongs, les partisans du mouvement Amal sont assis sur des chaises en plastique fumant tranquillement leur narguilé en regardant les passants. Ici, non loin de Dar el-Fatwa, et jusqu’à samedi soir, des drapeaux du mouvement Amal ont été plantés. Rues et artères toujours bloquées Nour, un habitant du quartier, voit la partie pleine du verre. « Au début des événements, de jeudi à samedi, il y avait beaucoup d’étrangers au quartier, des miliciens venus d’autres zones de Beyrouth. Ils étaient partout. Puis, dès ce matin, ce sont les partisans d’Amal originaires de Aïcha Bakkar qui ont ouvert une permanence non loin de là. Ils sont gentils. Ils habitent depuis longtemps dans le quartier. Nous avons grandi ensemble. Nous les connaissons tous », dit-il. Un homme dans la même rue raconte que jusqu’à samedi soir, les miliciens d’Amal ont interdit l’entrée et la vente de pain dans le quartier. Puis, comme parlant à lui-même : « Au moins ici, ils ont été plus corrects, alors qu’au secteur Mounla, ils avaient des listes de noms de personnes appartenant au Courant du futur…Ils sont entrés chez eux. » Il évoque aussi les barrages des miliciens, les routes qui ont été occupées dans le quartier et les drapeaux verts du parti plantés non loin de Dar el-Fatwa. « Mais une altercation verbale allait dégénérer samedi soir. Ils ont donc ôté tous les drapeaux du secteur pour éviter les frictions », dit-il. À Aïcha Bakkar comme au secteur Mounla, les portraits de Rafic Hariri et de son fils, le chef du Courant du futur, Saad, ont été déchirés, notamment au niveau des yeux. Un peu plus loin, la rue de l’Indépendance, à proximité de la résidence de l’ancien président du Conseil Sélim Hoss, est entièrement plantée de drapeaux du mouvement Amal. La rue Mar Élias est bloquée par un monticule de sable au niveau de son accès à Mazraa. C’est sur ce monticule que des miliciens portant des casquettes d’Amal et du Hezbollah ont placé des chaises pour faire le guet. La route longeant le pont Sélim Salam est jonchée de bennes d’ordures. C’est l’une des rares voies donnant accès à Mazraa, bloquée à divers niveaux, notamment à Barbour. Dans le secteur de Ras el-Nabeh, des dizaines d’immeubles sont criblés de balles, des portraits de Imad Moghniyé, des présidents syriens Bachar et Hafez el-Assad ont poussé. Ici, les miliciens ont installé diverses permanences. L’une d’elles se trouve à quelques dizaines de mètres de la rue de Damas, ancienne ligne de démarcation. Comme toutes les autres, on la reconnaît aux drapeaux du Hezbollah et du mouvement Amal, aux militants en tongs, affalés dans des chaises en plastique fumant le narguilé et regardant les voitures et les piétons qui passent. Certains d’entre eux portent toujours des pochettes de munitions. L’avenue Béchara el-Khoury, le ring Fouad Chéhab et le pont Charles Hélou sont toujours fermés. Les rues et les avenues de Beyrouth sont devenues des labyrinthes où beaucoup éviteront de s’aventurer. Il faut du temps et de la patience pour que Beyrouth récupère son cachet de ville vivante et insouciante. Elle est passée par le pire. Elle s’en remettra.
Des miliciens en treillis militaire au coin des rues, des permanences de partis où l’on prend le narguilé assis sur le trottoir, des faire- part de décès collés aux murs de nombreux immeubles, des drapeaux jaunes (ceux du Hezbollah), verts (ceux du mouvement Amal) et noir et rouge (ceux du PSNS) plantés sur des mats au milieu de la chaussée, des artères ou des ruelles bloquées par des...