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Actualités - OPINION

Lorsque Damas marginalise les sunnites en s’appuyant sur les chiites

Dans le cadre de cette confrontation permanente sur la scène libanaise entre les deux modèles étatiques oriental et occidental, le régime syrien (représentant l’État oriental) s’est d’abord appuyé sur les sunnites et les druzes ainsi que sur les organisations armées palestiniennes pour déstructurer l’État libanais « occidental », avant de s’ancrer ensuite sur Téhéran en marginalisant les sunnites au profit des chiites. Joseph Khoury expose sa vision historique d’un tel processus. « La création d’Israël, comme le “Liban des Anglais”, à l’endroit des anciens États francs, trente ans après la chute du dernier empire d’Orient (ottoman), a provoqué la résurgence de la demande d’empire parmi les Arabes pour contrer l’Occident, souligne-t-il. Le Caire, Damas et Bagdad, les anciennes capitales califales, se sont disputé le commandement de cet empire, qui n’a finalement pas réussi à s’imposer en raison de son échec face à Israël. Le renoncement du Caire à l’empire (paix avec Israël) s’est fait au moment où s’installait en Iran un régime prétendant prendre le relais des Arabes sunnites pour refonder l’empire d’Orient sous commandement chiite. Mais cette ambition iranienne a été perçue comme une menace par les monarchies arabes sunnites voisines. Bagdad, dominé par les sunnites, s’est alors engagé dans une guerre pour endiguer Téhéran. En réaction, Damas, dominé par les alaouites, s’est allié à l’Iran pour contrer l’Irak et empêcher une victoire contre Téhéran qui légitimerait l’aspiration de Bagdad au commandement arabe. » « Jusque-là, Damas s’était appuyé sur les sunnites et les druzes ainsi que sur les organisations armées palestiniennes (sunnites) pour déstructurer l’État libanais “occidental”. Son amarrage à Téhéran va se traduire par une vaste stratégie de marginalisation des sunnites au Liban au profit des chiites. Damas s’est d’abord débarrassé des organisations palestiniennes (il laisse Israël détruire leur machinerie militaire en 1982). Parallèlement, il militarise et endoctrine les chiites avec l’aide de l’Iran, dont il fait son principal relais dans son dispositif militaire avec lequel il engage une contre-offensive générale. Dans une première phase, il sabote la refondation de l’État “occidental”, refoule les forces expéditionnaires occidentales venues soutenir cette refondation, et repousse les maronites à l’intérieur du réduit qu’il assiège. Puis, dans une deuxième phase, Damas organise le chaos dans les régions conquises pour recomposer son dispositif ethnostratégique : à travers les chiites, il exclut les druzes de Beyrouth et les relègue au rang d’auxiliaires cantonnés au sud du Mont-Liban, mate les organisations sunnites nationalistes arabes, et achève les organisations palestiniennes repliées à Tripoli. » Le Hezbollah et Aoun Dans un tel contexte, l’invasion du Koweït par l’Irak a-t-elle changé la donne ? « Ayant réussi à contenir l’Iran, l’Irak se retourne vers ses arrières arabes pour réclamer le commandement, souligne Joseph Khoury. Face au refus des monarchies du Golfe, il envahit le Koweït. Son passage du statut d’agent de protection contre l’expansionnisme iranien à celui d’agent de menace des monarchies arabes permet à son rival syrien de passer lui-même du statut d’agent de menace à celui de “gendarme”, ce qui lui permet d’envahir le réduit chrétien où Michel Aoun mimait le rôle de “rebelle suicidaire”. » « Cette conjonction d’intérêts entre Damas et la principale monarchie sunnite s’est traduite par l’association du représentant de cette dernière (Rafic Hariri) au système étatique de type oriental mis en place par Damas à partir de 1990. Mais dans ce système, Damas verrouille la primauté chiite et la subordination sunnite établie durant la bataille de conquête. Dans le système étatique oriental, la fonction militaire (armée et services de sécurité) domine les fonctions politique et religieuse et rackette la fonction économique. » « Ainsi, le Hezbollah passe du statut d’auxiliaire iranien à celui d’armée quasi nationale chargée du front avec Israël. L’armée libanaise héritée du cycle occidental, détruite durant le “phénomène Aoun”, est reconstituée à partir du noyau chiite comme auxiliaire des services de sécurité syriens et elle est éloignée de la frontière pour être dédiée au maintien de l’ordre intérieur, c’est-à-dire la répression de l’opposition maronite. Quant aux sunnites, ils sont cantonnés à la fonction économique, chargés de drainer les aides financières des monarchies sunnites et des crédits occidentaux. » La succession à Damas Quels sont les facteurs qui pourraient expliquer la rupture de cet équilibre ? « Des facteurs internes au régime syrien et des facteurs régionaux, indique Joseph Khoury. Pour imposer sa succession par son fils, Hafez el-Assad écarte les barons sunnites du régime syrien, réfractaires à cette succession dynastique alaouite. Pour imposer Bachar au Liban, Assad devait aussi y affaiblir les sunnites et les druzes, liés à ces barons et aussi réfractaires qu’eux. L’installation du commandant de l’armée, Émile Lahoud, à la présidence de la République, totalement marginalisée depuis 1990, visait à élargir la fonction de l’armée et des services de sécurité de la répression de la résistance maronite à la répression de l’insubordination des sunnites et des druzes. Ce qui a eu pour effet de rapprocher ces derniers des maronites. La rupture totale entre les sunnites libanais et Damas est liée à l’Irak qui était la cause de leur rapprochement en 1990. La chute du régime sunnite irakien au profit d’un régime à dominance chiite sous influence iranienne a bouleversé l’équation régionale. Pour les monarchies sunnites (et l’Occident), la Syrie perdait son rôle de contrepoids à la menace expansionniste irakienne et devenait complice/instrument de l’expansionnisme de l’Iran et de ses ambitions impériales. L’insubordination sunnite silencieuse devenait ouverte. L’assassinat de Rafic Hariri visait à l’étouffer. Il a eu l’effet inverse en provoquant une révolte populaire généralisée des maronites, des sunnites et des druzes, qui a contraint Damas à retirer son armée du Liban. » Propos recueillis par M.H.G.
Dans le cadre de cette confrontation permanente sur la scène libanaise entre les deux modèles étatiques oriental et occidental, le régime syrien (représentant l’État oriental) s’est d’abord appuyé sur les sunnites et les druzes ainsi que sur les organisations armées palestiniennes pour déstructurer l’État libanais « occidental », avant de s’ancrer ensuite sur Téhéran en...