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Actualités - OPINION

Force d’inertie

Réveil pénible dans la pénombre. Le générateur de quartier ne marche pas. Encore une douche à l’eau froide. Si mes réservoirs sont remplis. Si mes voisins n’ont pas transformé les réserves de l’immeuble en baignoires, bacs, seaux, ou autres récipients en prévision de la prochaine sécheresse. Liban, terre d’accueil, terre d’écueils. Ah les… Le Libanais est trop fier pour être concierge. Le Libanais s’inquiète trop de ce que l’autre chômeur pourrait penser. Blâmer les autres pour son malheur est une activité de groupe qu’on exerce à plein temps. En voiture pour rattraper l’heure. Éviter le trou. Éviter le taxi sauvage. Espèce qu’il faudra bien apprivoiser… Éviter le trou. Encore un trou. Oh?! Un piéton. Qu’est-ce qu’il fait là ? Il court. Il s’arrête. Je suis à deux doigts de me transformer en criminel. Je l’insulte, il me le rend bien. Les trottoirs, c’est finalement fait pour les chiens… Plus loin, un mini-van a repéré une proie. Une centaine de voitures l’attendent. Il tente de l’arracher au pseudotaxi qui négocie. Tempête d’insultes et de klaxons. Mille – Non : mille cinq cents. Faut-il souffrir pour une si maigre pâture?? Passe un convoi, sirènes hurlantes. La garde disperse l’embouteillage où je moisis. Ces responsables irresponsables ne partagent pas le sort du citoyen. Trop occupés à dîner du fruit de ses efforts : c’est bien connu, au Liban le contribuable contribue au bien-être de ceux qu’il a élus. Au bureau. Pas la peine de m’excuser pour le retard, je suis le premier arrivé. Matinée tranquille, tout le monde récupère du voyage matinal. Midi. Déjeuner d’équipe. Éviter le débat. Débat stérile où je vais vite me retrouver étiqueté en bleu ou jaune. Je ne me joins pas aux insultes. Ce qu’ils ont dit ? Ce qu’on leur a répondu ? Je me dis que c’est très bien de dire et je demande ce qu’ils ont fait. On me répond qu’ils ne peuvent rien faire et qu’ils l’ont bien dit hier soir. C’est aux autres de faire. Blâmer les autres pour son malheur est une activité de groupe qu’on exerce à plein temps. Chaque chaîne a son talk-show, ses analystes, ses experts en géopolitique, ses anges et ses démons. Je reste là. Désabusé pendant que le débat s’échauffe. Dans 20 minutes, on reprendra le travail. On oubliera les insultes et les accusations. Les mots comme « voleur, voyou, meurtrier, terroriste, vendu, traître » n’ont plus de valeur. Dans quatre heures, je serai sur la route. La route. Le soir en m’endormant j’imagine les fils qui nous mettent en mouvement. Des marionnettes, actionnées par d’autres marionnettes. Un chef d’orchestre. Un but. Empêcher la réflexion. Perpétuer l’ignorance, la bêtise. Détruire les rêves et les ambitions. Plonger le peuple dans la dépression et la schizophrénie pour le sucer jusqu’à la moelle et rester impuni. Mais quelque part, je rêve, à demi éveillé, que tout n’est pas perdu. Je rêve de justice et de liberté. Je rêve qu’on saura faire le bon choix, qu’on changera, qu’on apprendra. Que demain, l’eau sera chaude… et je m’endors. Demain l’eau sera froide. Rabih NASSAR
Réveil pénible dans la pénombre. Le générateur de quartier ne marche pas. Encore une douche à l’eau froide. Si mes réservoirs sont remplis. Si mes voisins n’ont pas transformé les réserves de l’immeuble en baignoires, bacs, seaux, ou autres récipients en prévision de la prochaine sécheresse. Liban, terre d’accueil, terre d’écueils.
Ah les… Le Libanais est...