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Dewey Cornell, psychologue et professeur à l’Université de Virginie, explique à « L’Orient-Le Jour » l’ampleur du phénomène Les fusillades aux États-Unis, un véritable fait de société Karine JAMMAL

En février dernier, cinq fusillades ont eu lieu dans des établissements scolaires américains. Au total, dix personnes ont été tuées. Ces fusillades ne sont pas des incidents isolés, mais des crimes qui s’inscrivent dans un phénomène de société bien plus large. En 2007, plus de 25 000 personnes ont été tuées aux États-Unis par des armes à feu. Soixante-huit personnes chaque jour. Un problème qui renvoie à la question de l’autorisation du port d’armes garantie par la Constitution américaine. Dewey Cornell, psychologue clinique, professeur à l’Université de Virginie et directeur du « Virginia Youth Violence Project », analyse ce phénomène de société. 16 avril 2007, un étudiant de 23 ans, lourdement armé, ouvre le feu sur le campus de Virignia Tech. Il tue 32 personnes avant de se donner la mort. 8 février 2008, une étudiante tue deux personnes dans un institut technique en Louisiane avant de retourner son arme contre elle. 14 février 2008, un jeune homme de 27 ans tire sur une centaine d’étudiants dans une université de l’Illinois. Six personnes sont tuées, l’auteur de la fusillade se suicide. Qui sont ces jeunes qui, un jour, décident de remplacer, dans leur sac, les livres et cahiers par un Glock ou un fusil d’assaut ? Quelles sont les motivations qui les poussent à tuer leurs camarades ? « Les jeunes tireurs ne sont pas tous les mêmes et n’ont pas les mêmes motivations », explique Dewey Cornell, psychologue clinique. Certains souffrent de maladies mentales, de dépression voire d’hallucinations. D’autres sont en colère et amers, ils veulent prendre leur revanche sur la société ou sur les personnes dont ils estiment qu’elles leur ont fait du tort. « Ils sont emprisonnés dans leurs convictions », souligne le professeur. Certains sont timides et deviennent si nerveux et déprimés qu’ils tentent le tout pour le tout. « Il ne faut pas non plus ignorer l’impact de l’énorme publicité que font les médias à ces fusillades. Ceci peut aussi les influencer pour le passage à l’acte. Nous savons que quand les médias s’intéressent à plusieurs événements similaires, cela peut inciter certaines personnes à reproduire ce qu’ils voient, souligne le psychologue. On pourrait parler d’effet boule de neige, mais ceci est valable pour n’importe quel pays. » Le prisme des médias est toutefois légèrement déformant. Selon l’expert, l’ampleur de la couverture médiatique donne l’impression qu’il y a beaucoup de fusillades dans les écoles et les universités aux États-Unis. Or, le nombre de fusillades perpétrées dans les établissements scolaires est en baisse depuis une quinzaine d’années. « En 1992-1993, il y a eu plus de 40 fusillades mortelles dans les écoles américaines. L’année dernière, on en a “seulement” recensé 11 », souligne Dewey Cornell. Le problème est plus général et concerne les fusillades en général à travers les États-Unis. « Il y a beaucoup de fusillades à travers les États-Unis, près de 30 000 personnes meurent, chaque année, à cause d’armes à feu, que ce soit par suicide, homicide ou par accident. On recense plus de 80 coups de feu mortels tous les jours. En comparaison à ce total national, le nombre de fusillades dans les établissements scolaires est bien bas », explique le psychologue. En fait, « les écoles et les universités sont l’un des endroits les plus sûrs où vous pouvez vous trouver aux Etats-Unis », ajoute-t-il. Les fusillades ont plus de chance de se produire à la maison, au travail et dans des endroits publics que dans des établissements scolaires. La violence par les armes est le réel phénomène de société aux États-Unis « et non les fusillades dans les établissements scolaires », insiste-t-il. L’accès aux armes Un phénomène qui pose la question de l’accès aux armes et du IIe amendement de la Constitution américaine. Adopté le 15 décembre 1791, dans le cadre de la Déclaration des droits (Bill of Rights), celui-ci stipule qu’« une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ». Un amendement interprété par certains comme le droit pour chaque citoyen américain de posséder une arme à titre privé. En raison de la façon dont le gouvernement américain a interprété ce deuxième amendement, « il y a peu de restrictions concernant le port d’armes à feu et principalement les pistolets », souligne M. Cornell. Mais ceci ne s’applique pas à toutes les armes. Selon les estimations, 200 millions de revolvers sont en possession de citoyens aux États-Unis. « Nous avons un taux élevé de violence armée aux États-Unis comparé aux autres pays. Ce qui incite beaucoup de personnes et d’organisations à militer pour plus de réglementation sur les armes à feu et spécialement sur les pistolets », poursuit le professeur. Pour les partisans de la limitation ou de l’interdiction du port d’armes, ainsi que pour de nombreux constitutionnalistes, le IIe amendement visait essentiellement, lors de son adoption, à empêcher le gouvernement fédéral de démanteler les milices citoyennes comme celles qui ont combattu les troupes britanniques au début de la révolution américaine. « Cependant, il y a d’autres personnes et groupes militants très influents, comme la National Rifle Association (NRA), qui estiment que les citoyens doivent posséder une arme pour pouvoir se défendre », affirme le spécialiste. Il est « difficile, d’un point de vue scientifique, d’établir comment l’accès aux armes affecte le niveau de violence, bien que l’énorme différence entre notre taux de violence armée et le taux des autres pays semble appuyer la thèse qu’une réglementation du port d’armes pourrait réduire le nombre de crimes », estime le professeur. Si une régulation sur le port d’armes ne mettrait assurément pas fin à la violence, elle aurait au moins le mérite de la réduire, ajoute-t-il. Cependant, « on ne peut pas faire une expérience scientifique stricte pour prouver les effets des armes sur la société. Par conséquent, les associations qui militent pour le port d’armes vont toujours contester le besoin d’une réglementation sur les armes », poursuit le scientifique. Et ils sont prêts à tout pour empêcher une quelconque réforme. Si un politicien « fait part d’une réforme pour la réglementation des armes à feu, la NRA fera campagne contre lui et tentera de l’évincer de son poste. L’association et certains lobbies ont déjà plusieurs fois réussi à faire tomber des politiciens et il est extrêmement difficile pour un(e) politicien(ne) de soutenir une réforme », s’indigne M. Cornell. Aujourd’hui, une grande partie de la passion, qui entoure le débat sur les armes et qui pousse des millions d’Américains à rejoindre les rangs de la NRA, vient d’une « réaction libertaire “tu ne me diras pas ce que je peux faire” vis-à-vis du gouvernement », explique William Vizzard, professeur de justice criminelle à l’Université de Californie, dans une interview accordée à l’AFP. De plus, « ces dernières années, il y a aussi tout simplement le consumérisme. Chaque culture développe ses propres intérêts et, dans la société de consommation américaine, les armes sont juste une partie du mouvement », ajoute le professeur, ancien agent des services de contrôle des armes à feu.
En février dernier, cinq fusillades ont eu lieu dans des établissements scolaires américains. Au total, dix personnes ont été tuées. Ces fusillades ne sont pas des incidents isolés, mais des crimes qui s’inscrivent dans un phénomène de société bien plus large. En 2007, plus de 25 000 personnes ont été tuées aux États-Unis par des armes à feu. Soixante-huit personnes...