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Actualités - interview

Katryn Stoner-Weiss, chercheuse à l’Université de Stanford, analyse pour « L’Orient-Le Jour » les conséquences de la présidentielle russe Poutine quitte le Kremlin sans vraiment céder le pouvoir Propos recueillis par Rania MASSOUD

Sans surprise, Dmitri Medvedev a remporté l’élection présidentielle en Russie. Alors que le nouveau maître du Kremlin a, dès le début de sa campagne, déclaré son intention de nommer son prédécesseur, Vladimir Poutine, à la tête du prochain gouvernement, la question est de savoir comment va se réorganiser le pouvoir en Russie dans les prochains mois. Katryn Stoner-Weiss, chercheuse et responsable au Center on Democracy, Development, and Rule of Law à l’Université de Stanford, analyse pour « L’Orient-Le Jour » les conséquences de la présidentielle russe, notamment la viabilité du tandem Medvedev-Poutine et le rôle que cherchera à jouer l’ex-président sur la scène politique locale et internationale. «Il n’y a pas deux, trois ou cinq centres (du pouvoir en Russie). (…) La Russie ne peut être dirigée que par un pouvoir présidentiel fort. » « Le pouvoir exécutif suprême dans le pays, c’est le gouvernement russe et le chef du gouvernement. » Deux citations qui se contredisent : Dmitri Medvedev est l’auteur de la première, Vladimir Poutine, celui de la seconde. Ce dernier a affirmé, à de nombreuses occasions, qu’il ne compte pas jouer les seconds rôles à l’expiration de son mandat en mai prochain. Comment cet ancien agent du KGB peut-il devenir le subordonné du futur président, son cadet de 13 ans, après avoir été pendant huit ans l’homme le plus puissant de Russie ? Et comment M. Medvedev, considéré comme plus libéral que M. Poutine, gérera-t-il l’héritage de son « mentor », partisan des méthodes musclées et d’une rhétorique antioccidentale ? Si de nombreux analystes anticipent des risques de tiraillement, le président sortant a assuré qu’il connaît bien M. Medvedev et que leurs relations sont « harmonieuses ». « Il est peu probable qu’un conflit éclate au sein du “couple exécutif”. Pas au début du moins, explique Katryn Stoner-Weiss. Il est clair que Vladimir Poutine quitte la présidence de la Russie sans vraiment céder la totalité du pouvoir à son successeur, Dmitri Medvedev. » Medvedev dépendant de son « mentor » Cependant, l’éventualité d’un conflit personnel avec le président sortant ne semble pas inquiéter le nouveau maître du Kremlin. « Ne vous en faites pas. Les décisions seront prises conformément à la Constitution et le couple “président-Premier ministre” prouvera son efficacité », a assuré Medvedev dans une interview récente accordée au magazine russe Itogui. « Il ne fait aucun doute que le nouveau président de la Russie va rester fidèle à la politique de son prédécesseur », affirme Mme Stoner-Weiss. La chercheuse, qui est également l’auteure de nombreux articles et ouvrages sur la politique russe, explique que Medvedev « reste, pour le moment, totalement dépendant de son mentor ». « Il n’a pas encore une base de pouvoir indépendante au sein du Kremlin. Il est toutefois fort probable qu’il cherche, dans l’avenir, à gagner un plus grand soutien au sein de la Douma », ajoute-t-elle. Pour de nombreux observateurs, Medvedev pourrait incarner une version « light » et plus « libérale » de son mentor. Il est souvent décrit comme un « technocrate » pragmatique, pour qui l’idéologie est une « chose nuisible ». « Le discours du nouveau président semble en effet plus conciliant que celui de son prédécesseur, mais il ne faut pas s’attendre à des changements majeurs dans les politiques internes et étrangères de la Russie », affirme l’experte. Selon elle, les analystes à Moscou estiment que la distribution des rôles est clair : Medvedev joue le « bon flic » et Poutine le « mauvais flic ». « Mais l’essentiel est que les deux “flics” veuillent la même chose : une Russie forte et respectée sur le plan international », poursuit-elle. Un « come-back » de Poutine ? Concernant un éventuel amendement de la Constitution russe pour étendre le pouvoir du Premier ministre, Mme Stoner-Weiss estime que Poutine et Medvedev ne semblent pas avoir l’intention de recourir à une telle option, surtout que le président sortant, fort de sa popularité actuelle, aura suffisamment d’ascendants sur son successeur. « Poutine a, jusque-là, toujours réussi ingénieusement à éviter tout recours à l’amendement de la Constitution pour étendre ses pouvoirs, bien qu’il contrôle la Douma », souligne l’analyste. « Sous Boris Eltsine, par exemple, lorsque la Constitution russe actuelle a été adoptée, le président avait exactement les mêmes pouvoirs que sous Poutine. Cependant, Eltsine n’était en aucun cas aussi puissant que Poutine puisqu’il ne contrôlait pas la Douma comme le fait ce dernier », explique-t-elle. « C’est en effet assez surprenant que la Constitution russe n’ait pas été révisée une seule fois en 15 ans, c’est-à-dire depuis son adoption », poursuit Mme Stoner-Weiss. La chercheuse tient par ailleurs à souligner qu’il n’est pas dans l’intérêt de Vladimir Poutine d’étendre les pouvoirs du Premier ministre constitutionnellement, surtout qu’il a, plus d’une fois, laissé entendre qu’il pourrait se porter une nouvelle fois candidat à la présidence russe dans un futur proche. Selon l’experte en politique russe, Poutine entend rester encore longtemps impliqué dans les décisions politiques du pays. Il y a deux semaines, Vladimir Poutine a d’ailleurs présenté un programme économique pour la Russie qui s’étend jusqu’en 2020. Or, dans la Russie contemporaine, le discours sur une économie stable et florissante semble beaucoup plus séduire l’électorat que celui sur le rétablissement de la démocratie et de la liberté d’expression. « Les Russes sont nombreux aujourd’hui à jouir d’un meilleur niveau de vie et semblent prêts à abandonner en contrepartie un certain nombre de libertés », explique Mme Stoner-Weiss. Une partie de la classe politique, sinon de la société elle-même, pétrie de culture soviétique du parti unique, estime que la Russie doit suivre sa propre voie et celle-ci ne passe pas, pour l’heure, par une démocratie à l’occidentale. « On n’est pas encore complètement solide, c’est rassurant de tout contrôler », reconnaissait récemment un haut responsable russe sous le couvert de l’anonymat. En restant au pouvoir, Vladimir Poutine préserve aussi les intérêts de son clan qui occupe des postes-clés à l’administration présidentielle, au gouvernement ou à la tête des grands groupes publics. Mais dans un pays qui ne semble toujours pas libéré des démons de l’instabilité, le pari du président n’est pas sans risques, et l’avenir du tandem Poutine-Medvedev demeure jusqu’à présent l’une des grandes inconnues.
Sans surprise, Dmitri Medvedev a remporté l’élection présidentielle en Russie. Alors que le nouveau maître du Kremlin a, dès le début de sa campagne, déclaré son intention de nommer son prédécesseur, Vladimir Poutine, à la tête du prochain gouvernement, la question est de savoir comment va se réorganiser le pouvoir en Russie dans les prochains mois. Katryn Stoner-Weiss, chercheuse...