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Actualités - REPORTAGE

Social - Le programme bénéficie à 210 élèves dans trois régions démunies du pays Le projet « Études du soir » de Caritas-Liban : une manière de prévenir le travail des enfants

Au Lycée national libanais de Bourj Hammoud, les classes s’animent l’après-midi. Les locataires des lieux ne sont autres que des enfants, qui ne gardent de leur enfance que le nom. Issus de familles défavorisées, confrontés à des échecs scolaires répétés, mal encadrés par des parents analphabètes dans leur majorité, victimes de violence ou encore travailleurs, ils viennent suivre des cours de rattrapage que leur assurent des éducateurs et des éducatrices dans le cadre d’un programme d’études du soir lancé par Caritas-Liban, l’année dernière, dans la région de Bourj Hammoud et qui profite cette année aussi à des enfants de Zahlé et de Tripoli. Mario arpente les couloirs du deuxième étage du Lycée national libanais de Bourj Hammoud essayant de mémoriser sa poésie. Nidal fait des va-et-vient entre la salle d’études et les toilettes. Youssef fredonne, tente de résoudre un problème de maths, et Mohammad se penche sur des applications directes du subjonctif présent… Au premier abord, ces jeunes de 8 à 14 ans ressemblent à n’importe quel autre enfant de cet âge, dont le principal souci demeure celui de jouer, de s’amuser et de réussir son année scolaire. Mais, en réalité, ils sont confrontés à des problèmes plus graves que la misère dans laquelle ils vivent leur a imposés. « Le but de ce programme, implanté également depuis novembre dernier à Zahlé et à Tripoli, est de lutter contre le travail des enfants dans les quartiers défavorisés des grandes villes et cela en renforçant leur scolarisation pour éviter l’abandon scolaire, dont le taux est assez élevé dans ces régions, explique Myrna Chamieh, responsable administrative à Caritas-Liban. Au sein des familles vivant dans ces régions, les pères ont rarement une qualification professionnelle. La plupart d’entre eux sont en fait des travailleurs journaliers avec des rentrées minimes et irrégulières. Quant aux mères, elles sont en majorité analphabètes et ne peuvent pas, par conséquent, superviser leurs études. À cela s’ajoute le problème des logements qui sont exigus et insalubres. Tous ces facteurs réunis favorisent les échecs scolaires des enfants issus de ces familles et, par la suite, l’abandon précoce des études. Ce qui favorise leur exploitation sur le marché du travail et la délinquance, d’autant que, dans ces milieux, si l’enfant fait face à un échec scolaire, les parents préfèrent le retirer de l’école et lui trouver un travail, ce qui assure une rentrée supplémentaire au foyer. » Le Liban compte en effet près de 100 000 enfants travailleurs, selon un rapport de l’Unicef, qui souligne que les enfants âgés entre 10 et 14 ans constituent 0,6 % de la main-d’œuvre. Toujours selon l’Unicef, 3,75 % de ces enfants sont analphabètes, 11 % d’entre eux ont fini le cycle primaire et 38 % travaillent entre 10 et 14 heures par jour. Ainsi, dans une tentative de lutter contre le travail des enfants et de leur assurer une scolarisation, Caritas-Liban a mis en place le programme d’accompagnement scolaire qui bénéficie actuellement à 210 enfants dans les régions de Bourj Hammoud, Zahlé et Tripoli, dans les classes EB2 (dixième) à EB9 (troisième), toutes communautés et nationalités confondues. Ceux-ci sont encadrés par des éducateurs et éducatrices qui les aident dans leurs devoirs scolaires. Favoriser le dialogue Dans le cadre de ce programme, les enfants apprennent leurs leçons, mais aussi à organiser leur emploi de temps, à établir leurs priorités, à s’écouter les uns les autres… et certains d’entre eux à lire. « Nous avons des élèves en classe de sixième, qui ne savent pas lire », déplore Rita Hayek Nehmé, coordinatrice du projet à Bourj Hammoud et responsable du service social à Caritas-Liban, qui souligne que cela est principalement dû au système de réussite automatique jusqu’à la classe de sixième dans ces écoles. « Certains d’entre eux ne comprennent pas les consignes qu’ils lisent, surtout si elles sont en français, remarque-t-elle. Nous nous voyons ainsi dans l’obligation de leur assurer des cours de rattrapage en langue française. » Ces heures d’études supplémentaires, qui se déroulent du lundi au vendredi à raison de deux heures par jour, ne se passent pas sans heurts. La violence demeure le principal problème que rencontrent les éducateurs. « Certains enfants sont très agressifs et ont des réactions corporelles et un langage violents, souligne Rita Hayek Nehmé. Leurs problèmes se résolvent dans la rue, à la manière des bandes et des clans. C’est à ce niveau que j’interviens. J’essaie de les sensibiliser aux dangers de leurs comportements. J’engage des discussions avec eux, centrées sur les méfaits de l’agressivité, les risques de l’Internet, etc. Depuis près de deux semaines, j’organise des cercles de discussions et incite les enfants, chacun à son tour, à partager avec les autres un événement ou une situation qui l’a marqué. C’est une façon de les inciter à se confier et un exercice qui renforce la communication et le dialogue. » Mais le plus grand problème demeure le fait que les parents ont démissionné de leur rôle. « Nous invitons les parents à des réunions pour leur expliquer nos limites d’intervention, note Rita Hayek Nehmé. Nous essayons de les sensibiliser pour qu’ils soient des acteurs dans l’action éducative de leurs enfants et de leur expliquer que cette responsabilité ne nous incombe pas uniquement. Nous essayons aussi de coordonner avec l’école régulière que fréquentent ces élèves. » Également à travers ce programme, les responsables essaient de détecter les troubles d’apprentissage chez ces enfants. « Nous avons dans ce but organisé une session de formation à l’intention des éducateurs pour les initier aux méthodes de dépister ces troubles chez les enfants, note Myrna Chamieh. Nous orientons par la suite ces enfants vers nos centres médico-sociaux où nous leur assurons un suivi psychologique, orthophonique et psychomoteur. Des visites médicales seront également organisées pour prévenir et traiter d’autres problèmes. Également dans le cadre de ce programme, nous organisons des activités récréatives à l’intention de ces enfants et nous prévoyons des camps de jour durant les vacances d’été. » L’indifférence Sans l’intervention des ONG, ces régions seraient laissées à leur triste sort. Et le programme d’accompagnement scolaire de Caritas-Liban commence à porter ses fruits, puisque plusieurs de ces élèves ont effectué de nets progrès dans leurs études scolaires. « Le problème de ces élèves, c’est qu’ils fréquentent des écoles publiques ou semi-publiques dont le niveau pédagogique laisse à désirer, souligne de son côté Khalil Abboud, conseiller pédagogique à Caritas-Liban. Dans ces écoles, les enfants ne sont pas suivis sur le plan pédagogique. Il n’y a aucune coordination entre les enseignants. On n’évalue pas le travail de l’enfant. Ce qui est catastrophique. En effet, à plusieurs reprises, nous avons découvert dans le cadre de ce projet des enfants qui souffraient de dyslexie ou qui avaient des problèmes d’apprentissage. Et personne n’avait réalisé que ces enfants avaient un problème. » C’est l’une des raisons pour lesquelles Caritas-Liban a élargi le champ d’action dans le cadre de ce projet pour englober les régions de Zahlé et de Tripoli, sachant qu’à Tripoli « on observe 82 % d’échecs scolaires dans les écoles publiques ». « La question qui se pose est celle de savoir si le gouvernement a réellement la volonté de se mettre à l’œuvre pour opérer le grand changement et la grande restructuration dans l’ensemble des écoles publiques du Liban, se demande Khalil Abboud. Les discours ne servent à rien. Il faut agir, d’autant que c’est l’avenir de la jeunesse libanaise qui est en péril. L’indignation ne suffit pas. Un grand chantier doit être entamé sur le terrain. Les responsables doivent eux-mêmes se mettre en contact avec ces gens pour qu’ils comprennent vraiment le désespoir qu’ils ressentent et la misère dans laquelle ils vivent. Le site de Nabaa a souligné à plusieurs reprises que la violence existe. Des guerres de clans se déroulent devant les agents des Forces de la sécurité intérieure sans qu’ils n’interviennent. C’est choquant de constater que l’indifférence règne dans ce pays à tous les niveaux. Mais qu’on ait au moins la dignité de reconnaître que ces enfants ont des droits qu’il faudrait respecter. Il ne suffit pas de ratifier les déclarations et les conventions internationales. Il faut se décider à agir. » Nada MERHI
Au Lycée national libanais de Bourj Hammoud, les classes s’animent l’après-midi. Les locataires des lieux ne sont autres que des enfants, qui ne gardent de leur enfance que le nom. Issus de familles défavorisées, confrontés à des échecs scolaires répétés, mal encadrés par des parents analphabètes dans leur majorité, victimes de violence ou encore travailleurs, ils...