Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

OPINION Le règne des généraux

Par Carlos EDDÉ, Amid du Bloc national Il ne faut jamais dire jamais, surtout en politique libanaise ! Pendant plus de deux ans, le 14 Mars uni proclamait haut et fort que la Constitution ne serait jamais amendée et que l’arrivée à la présidence d’un commandant en chef de l’armée ne serait plus possible. Mieux encore, l’actuel chef de l’armée était perçu comme le candidat préféré de Damas. Or un beau jour, le Libanais se réveille et apprend en lisant son journal que cette conception est dépassée et que le général en question est devenu le candidat préféré de la majorité du 14 Mars ! Et pour ne rien vous cacher, certains « leaders » du 14 Mars l’ont appris de la même façon. Faut vraiment le faire ! Le Bloc national libanais a toujours cru qu’un État se construisait à l’aide de certaines constantes, et parmi celles-ci son opposition à l’arrivée au pouvoir, d’une façon ou d’une autre, des commandants en chef de l’armée à la présidence de la République, aussi bons soient-ils. Cette position de principe n’a jamais été dirigée contre un général en particulier ; elle émane d’une conviction profonde, d’une logique politique sans faille, et elle s’appuie sur la notion de conflit d’intérêts. Il est dangereux de créer des précédents, ou plutôt de répéter des précédents qui permettent à un commandant en chef de l’armée de rêver d’accéder au plus haut poste de l’État car d’office, et parallèlement à ses responsabilités d’assurer la défense du pays, il viserait naturellement à se positionner, dès le premier jour de ses fonctions, comme le candidat favori à la présidence de la République, et il jouirait de moyens exceptionnels pour lui faciliter la tâche. En premier lieu, il aurait l’appui des militaires, car l’armée est une corporation fermée qui nourrit l’esprit de corps. Cette qualité indispensable à l’activité guerrière peut avoir des retombées négatives en politique. Comme on peut l’observer dans toutes les armées du tiers-monde, la plupart des militaires se considèrent plus patriotes que les politiciens qu’ils considèrent avec dédain. En d’autres temps, aux élections législatives, le commandement de l’armée a pu mobiliser des dizaines de milliers d’électeurs, ex-militaires à la retraite et leurs familles. Cela, sans compter les innombrables services abusifs que l’armée a pu rendre à la collectivité pendant six (ou neuf ?) ans au profit du candidat militaire en raison de sympathies électorales. En fait, l’armée est très probablement aujourd’hui le plus grand électeur du pays et ce phénomène pourrait affecter le libre arbitre et le déroulement de toute consultation électorale. Plus dangereuse encore est la transformation du service de renseignements de l’armée en instrument politique au service du président général. Au cours d’une conversation à Paris il y a trois ans, le général Aoun, lui-même ancien commandant en chef de l’armée et ayant l’expérience du renseignement, m’avait mis en garde contre les « services ». Il m’avait dit que le Deuxième Bureau suivait de près tous les opposants et tous ceux qui pourraient constituer un danger, dans le but de déceler en eux des faiblesses qu’ils utiliseraient un jour contre eux. Les écoutes et les filatures permettent d’anticiper l’action d’un politicien ou de la contrecarrer. De plus, les militaires actifs et à la retraite, ainsi que leurs familles, peuvent constituer un réseau d’agents d’informateurs à l’écoute de la société ou de formateurs d’opinion. Tous ces moyens à la disposition d’un général candidat à la plus haute magistrature de l’État font de l’armée un outil complet remarquable s’il est employé en politique. Cet instrument, qui ne coûte rien à son utilisateur, est financé par tous les contribuables, y compris les autres politiciens. Ainsi, les militaires en politique jouissent non seulement de leurs salaires et de leurs allocations, mais de tous les équipements et infrastructures, gratuitement, pour faire la concurrence aux civils. Pire encore, ils estiment que ces moyens et leur utilisation leur reviennent de droit. Clemenceau disait : « La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. » Tout litige avec un militaire, même sur le plan civil, est traité devant un tribunal militaire dont les juges sont souvent trop conciliants vis-à-vis de l’uniforme. Et lorsqu’un commandant en chef de l’armée devient président de la République, le contrôle civil de ce tribunal n’en devient que plus précaire. Or nul ne devrait, de fait et pas seulement en théorie, être au-dessus de la loi et des instruments de contrôle des institutions. L’argument qui pousse à accepter qu’un commandant en chef de l’armée devienne chef de l’État ou du gouvernement est d’ordre sécuritaire. Certains pensent que l’armée au pouvoir en période de crise est la seule garantie de relèvement pour le pays. Mais on le voit bien dans la plupart des pays du tiers-monde, tous les militaires qui accèdent à la magistrature suprême promettent de respecter les institutions et d’organiser des élections le plus rapidement possible. Mais lorsque ces élections ont lieu, tout l’appareil sécuritaire est mis à profit pour s’assurer que le résultat soit favorable au maintien du président militaire au pouvoir. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’état des libertés, du respect des institutions et de l’indépendance des pouvoirs entre les pays gouvernés par des civils et ceux gouvernés par des généraux. De même on note dans la plupart des cas où des généraux sont arrivés au pouvoir une transformation dans leur attitude et leur personnalité. Aujourd’hui donc, certains pensent au Liban que seule l’arrivée du commandant en chef de l’armée permettrait de préserver la sécurité et de sortir le pays de la crise politique. Or, n’oublions pas que durant les neuf dernières années, le président de la République était lui-même un ancien commandant en chef de l’armée. Et que l’actuel commandant en chef de l’armée occupe cette fonction depuis neuf ans. Donc la formule a été testée. Mais fonctionne-t-elle ? Sommes-nous mieux protégés qu’avant ? En fait si la sécurité qui nous fait défaut jusqu’à ce jour passe obligatoirement par l’élection du commandant en chef de l’armée à la présidence de la République, ne sommes-nous pas en droit de nous poser la question : pourquoi réussirait-il à empêcher les assassinats en étant à la tête de l’État, alors qu’il n’a pas réussi à le faire en étant à la tête de l’armée ? La présidence serait-elle le prix qui ferait changer un homme d’allégeance ? Mais la logique politique au Liban cède la place à l’improvisation pour ne pas dire à l’opportunisme. Les présidents de la République sont décidés à l’avance pour éviter que les députés se chargent d’en élire un. Tout compte fait, ne vaudrait-il pas mieux éliminer carrément Parlement et gouvernement, et faire gérer ce pays par un directoire ? En y incluant, bien sûr, de forts éléments militaires, étrangers et ecclésiastiques ! Comme le disait encore Clemenceau : « Une dictature est un pays dans lequel on n’a pas besoin de passer toute une nuit devant son poste pour apprendre le résultat des élections. »
Par Carlos EDDÉ, Amid du Bloc national

Il ne faut jamais dire jamais, surtout en politique libanaise ! Pendant plus de deux ans, le 14 Mars uni proclamait haut et fort que la Constitution ne serait jamais amendée et que l’arrivée à la présidence d’un commandant en chef de l’armée ne serait plus possible. Mieux encore, l’actuel chef de l’armée était perçu comme le candidat...