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Actualités - OPINION

L’opportunité maronite

Nabih Berry a soutenu l’initiative de Bkerké et le Hezbollah a réaffirmé, malgré le violent discours de Hassan Nasrallah durant la « Journée du martyr », sa volonté de s’aligner sur un candidat à la présidence qui ferait l’objet d’un accord interchrétien. Le bloc chiite (Amal et Hezbollah) a ainsi définitivement envoyé la balle dans le camp de ses concitoyens chrétiens, en particulier les maronites. C’est là que le bât blesse, les maronites ayant montré une incapacité chronique à s’entendre sur un homme chaque fois que les événements les y invitaient. Une mesure qui est la leur, qui encourage le pluralisme et la démocratie même intracommunautaires, qui fait qu’un groupe ne s’emprisonne pas dans le monolithisme, mais qui révèle aussi une grande faiblesse, plaçant en période de crise des ambitions personnelles démesurées au-dessus d’intérêts plus généraux. Les parties du 8 et du 14 Mars ont établi des limites en deçà desquelles elles refusent d’aller, et leurs prétentions se sont avérées jusqu’à maintenant, malgré toutes les médiations, les réunions bilatérales et des rounds d’entretiens successifs, incompatibles. L’inévitable enchevêtrement des intérêts internationaux au Proche-Orient et le fait que les positions intérieures demeurent inconciliables poussent désormais à considérer la crise libanaise dans sa fatalité et donc dans la durée, comme si l’aporie était devenue la règle au pays du Cèdre et qu’il valait mieux dorénavant, à la manière du président Sarkis, gérer la crise plutôt que tenter de la résoudre. Chaque fois que les frères ennemis libanais, depuis la question d’Orient au XIXe siècle, ont mêlé des considérations régionales à leurs dissensions, c’est le Liban entier qui en a pâti, faute aussi d’arbitrages institutionnels cohérents. Une sombre vérité rappelée il y a plus de dix ans par Walid Joumblatt lorsqu’il affirmait : « Au Liban, il n’y a point de Constitution, il n’y a que la politique. » Peut-être le Hezbollah, dans sa connotation guerrière, ne se fait-il pas du modèle libanais la même idée que les anciennes forces du printemps de Beyrouth. Mais s’il revient aux chrétiens, sous l’égide de Bkerké, de désigner leurs candidats au choix des députés au Parlement, on ne peut dire, au-delà des inclinations de chacun et des calculs partisans, que les projets du CPL, des FL, des Kataëb ou du Bloc national sont si différents. Il n’y a finalement, à part les ambitions personnelles, des slogans creux ici ou là et les leurres du populisme aounien, aucun projet. Face à des adversaires obstinés dans leur politique du pire, le gouvernement Siniora a pu assurer l’essentiel, c’est-à-dire la continuité de l’État. Mais il n’a cessé d’étaler des insuffisances et d’offrir des cadeaux à l’opposition. En l’espace de quelques mois et durant la saignée qui rongeait les rangs de la majorité, certains ministres ont largement eu le temps de commettre des fautes graves, non dénuées pour la plupart d’une mauvaise intention ; pourquoi a-t-on voulu supprimer le vendredi saint du calendrier des fêtes nationales, pourquoi Rana Koleilat a-t-elle bénéficié d’un non-lieu, pourquoi a-t-on entouré la procédure de passation du marché de l’ADSL d’un baume si suspect ?... Si elle n’est pas résolue, la crise actuelle non seulement achèverait de diviser le pays en deux, déplaçant les anciennes lignes de clivage de la guerre à l’intérieur de chaque village, voire de chaque famille chrétienne, elle mettrait, de plus, fin surtout au rôle historique pilote des maronites. Cette communauté qui a entraîné les autres communautés, souvent à leurs corps défendant, dans l’aventure libanaise, qui a initié l’éveil d’une conscience typiquement libanaise et qui a fait que le Mont-Liban, simple « expression géographique » depuis l’émirat, débouche sur le Liban en tant qu’entité politique définitive. Et dire que l’on doit à la conversion à petits pas de Sami el-Solh et Kheireddine el-Ahdab, entre autres, l’évolution de la rue sunnite vers l’idée d’un Liban indépendant. A-t-elle vécu avec l’assassinat de Rafic Hariri ? En tout cas, cet homme a entraîné par sa mort la dynamique du printemps de Beyrouth et la libération du pays. En dépit de nettes divergences, nous avons perçu son assassinat comme une offense. Nous le tenons pour cela en politique quitte de tout le reste alors qu’il assume une grande part de responsabilité dans la faillite économique de l’État. Michel Aoun, désormais aussi bien candidat à un putsch (selon ses propres termes) qu’à une élection en bonne et due forme, est-il conscient des dangers de ce second gouvernement dont il menace ? Il revendique le pouvoir par tous les moyens, oublie pour autant que les moyens conditionnent aussi la fin et se départit des seuls arguments qui le maintiennent encore dans la course à la magistrature suprême. Maintenant qu’il appelle à prendre d’assaut le Sérail ainsi que d’autres établissements publics, alors qu’il a refusé la simple démission d’Émile Lahoud, pouvons-nous encore lui faire confiance ? Au lieu de s’aliéner l’ensemble du personnel politique, à commencer par ses propres alliés, et une partie de l’opinion qui avait voté en faveur de son parti en 2005, il accompagnerait bien Bkerké dans sa dernière tentative de conciliation entre les différentes parties maronites avant que la pendule de la catastrophe ne sonne ses trois coups. Le cahier des charges du futur président est excessivement lourd ; s’engager à organiser des législatives anticipées sur la base d’une loi électorale juste et représentative, négocier l’inclusion des armes du Hezbollah dans celles de l’armée, démanteler les milices palestiniennes, asseoir le statut de neutralité régionale du Liban, accroître les capacités de l’armée, faire respecter les résolutions internationales, dont celle instituant le tribunal international, enfin engager les réformes nécessaires des institutions politiques et les réformes économiques…Il va sans dire que Michel Aoun n’est pas totalement opposé à un tel programme. Une entente donc avec Samir Geagea est encore envisageable. Les deux hommes doivent au moins cela à leur communauté, pour se faire pardonner de l’avoir conduite au bord de l’abîme il y a plus de quinze ans, au nom justement des ambitions personnelles. On comprend mieux alors pourquoi le patriarche a si longtemps hésité à intervenir. Il y a un pas entre le religieux et le politique qu’il ne voulait pas franchir. Maintenant qu’il l’a franchi, comme en 1988, les leaders maronites le suivront-ils ? Étrange aussi cette requête française, celle d’un pays foncièrement laïc, que de demander à la plus haute autorité religieuse maronite d’intervenir directement. À l’heure des premiers balbutiements de la République libanaise, il a fallu un consensus autour de Charles Debbas pour sauver le nouvel État. Les maronites ont eu confiance en l’homme qui avait défendu leurs revendications au Congrès de Versailles, les autres communautés acceptaient sa modération et toléraient mieux un grec-orthodoxe au pouvoir. Près de cent ans plus tard, la République libanaise n’a décidément pas écarté le risque d’implosion. Plus qu’un consensus entre le 8 et le 14 Mars autour d’un nom, il s’agit d’une prise de conscience et d’une entente des leaders maronites autour de valeurs qu’ils ont longuement défendues, celles de la souveraineté de l’État et de la dignité humaine face à l’idéologie et à la dictature de groupe. C’est en cela que réside le véritable pacte présidentiel, avant les ambitions personnelles. Amine ASSOUAD
Nabih Berry a soutenu l’initiative de Bkerké et le Hezbollah a réaffirmé, malgré le violent discours de Hassan Nasrallah durant la « Journée du martyr », sa volonté de s’aligner sur un candidat à la présidence qui ferait l’objet d’un accord interchrétien. Le bloc chiite (Amal et Hezbollah) a ainsi définitivement envoyé la balle dans le camp de ses concitoyens chrétiens, en...