EFFEUILLAGE Pour ce bonheur-là Lamia EL-SAAD

Il ne saurait se passer de moi. Je lui ai fait découvrir il y a quelques semaines une sensation nouvelle, et depuis… il ne peut plus s’en passer. Pourtant, rien ne le prédisposait à me rencontrer. Ses parents ont toujours souhaité lui offrir ce que le monde a de meilleur, je ne faisais pas partie de leurs projets. Je ne suis qu’un accident de parcours, mais je ne suis pas de ceux dont on se remet facilement ; bien souvent j’en dessine la ligne d’arrivée. Nous nous sommes rencontrés grâce à un ami commun qui lui a dit le plus grand bien de moi. Cet ami musicien qui joue de la batterie pour s’entourer de bruit et s’assurer de n’entendre aucune voix raisonnable m’a présentée à un jeune joueur de clarinette aux cheveux longs et au visage angélique ; j’ai toujours eu un penchant pour les artistes. Nous vivons, croit-il, une curieuse histoire d’amour. Il m’aime malgré le mal que je lui cause ; d’un amour masochiste. Ne sait-il pas que j’ai brisé tous ceux qui m’ont approchée ? Il me recherche par besoin et par envie ; je lui apporte un plaisir fugace pour lequel il paye le prix fort. À cause de moi, il vit au-dessus de ses moyens ; je ruine son portefeuille mais aussi sa santé. À vrai dire, il s’éteint à petit feu. Avant de me rencontrer, il avait une vie assez monotone en somme, heureuse mais monotone ; il ne pouvait que céder au grand frisson. Avant de me fréquenter, il avait l’impression d’être encore un petit garçon ; avec moi il se sent fort, courageux, adulte, viril. En conséquence, il ferait n’importe quoi pour me garder : il a déjà volé pour moi et je sais qu’il tuerait si je le lui demandais. Il ne conçoit plus sa vie sans moi et je ne conçois pas de le laisser vivre longtemps. Alors, comme un homme heureux qui se cache pour protéger son trésor, comme un animal blessé qui se cache pour lécher sa blessure, il rejette son entourage et s’isole pour être seul avec moi. Je transperce sa peau, juste sous le biceps ; et vide mon venin dans une veine bleue. Et pour ce bonheur-là, pour ce bonheur qui l’entraîne vers une mort certaine, il sacrifie tous les bonheurs que la vie aurait pu lui apporter.