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Saignées du Grand Froid

Il est lugubre, le Grand Froid. Un long fleuve en sommeil, bien loin d’être tranquille. Laissé en paix, pourtant. Longtemps. Trop longtemps. L’exode, les conditions malsaines, le provisoire qui dure, institutionnel, implacable, sans droits ni avenir, politique de l’autruche oblige. La rancœur progressivement alors, puis la haine. Contre le Liban, pourtant terre d’asile. Faute de mieux. Par impuissance. Et un cortège de mouvements à l’influence néfaste. D’abord OLP, FPLP, FPLP-GC, FDPLP, canaux historiques ou « révolutionnaires ». Puis les barbus dits d’el-Qaëda ou d’ailleurs. Armés jusqu’aux dents. Haineux jusqu’à la lie. Préparés comme jamais. Dont la volonté de destruction débordante n’est pourtant pas dirigée contre ceux qu’ils prétendent combattre. Car Jérusalem est plus au sud que Tripoli, que l’on sache. Et les intérêts du Satan occidental ne sont pas légion au nord du Liban. Plutôt téléguidés, formatés, lobotomisés, que tenant d’une cause. Criminels de surcroît. Racketteurs, trafiquants, braqueurs de banque, assassins. De petits malfrats en somme, manipulés par des puissances régionales larvées, qui les gardent sous le coude. Pour autant qu’elles auraient besoin de leurs services un jour, dans leur quête continue de pouvoir, d’instruments de chantage et de trafics d’influence de toutes sortes. Et c’est la pauvre armée libanaise, la vaillante armée libanaise, déjà fort meurtrie il y a moins d’un an au terme d’une agression israélienne sans précédent, qui doit payer les pots cassés (sans oublier la Croix-Rouge libanaise et tous les secouristes et bénévoles des associations humanitaires). Se battre au nom du Liban, mais aussi par procuration au nom de tant d’autres : Américains, Britanniques, Européens, Arabes cossus du Golfe. Ces « autres » qui, de leur côté, n’entendent pas se mouiller, n’accordant à notre pays que leur bien dérisoire soutien « moral ». Un soutien qui a tant tardé à se manifester au cours de l’été 2006 pourtant, lorsque Israël avait décidé de mettre à sac le Liban. Histoire peut-être, justement, de lui en donner le temps. Silence coupable ou impudence (et impunité) façon John Bolton, peu importe ; les « amis » du Liban ne le sont que quand cela les arrange. Et tant que cela n’implique de leur part aucune aide concrète. Les sacrifices, c’est à l’armée libanaise de les faire. Avec les moyens du bord. Pas d’armes, ou si peu, pas d’appui logistique, pas d’argent. Vous êtes dans votre bon droit, disent les bien-pensants occidentaux aux Libanais, mais débrouillez-vous pour le faire valoir. Le sort de notre armée a donc été de faire face. De régler les problèmes des autres, créés par les autres, hypertrophiés par la négligence des autres, sur son territoire. Payer pour (l’absence de) la Palestine, payer pour l’impuissance des Arabes, payer pour l’Occident. Payer pour le terrorisme mais aussi pour la guerre contre le terrorisme. Se battre. Contre le fanatisme religieux. Contre l’hégémonie des voisins du Liban et leur courroux sans cesse renouvelé par les relations pour le moins houleuses qu’ils entretiennent avec ces mêmes « autres » qui n’osent plus les attaquer que par Liban interposé. Tampon, le Liban, mais interdit de neutralité. Du haut de la tristesse de ce destin bien noir qu’on nous a infligé, il faut pourtant saluer bien bas l’héroïsme de notre armée nationale. Face à ce camp de l’horreur surgi de nulle part, face aux suicidaires ceints des bombes de la vengeance – mais contre quoi ? –, face à des techniques d’une sophistication et d’une sauvagerie insoupçonnées, face aux munitions et aux provisions inépuisables, face aux labyrinthes de la mort et autres tunnels sans horizon, nos soldats et nos officiers ont eu le dernier mot. Ils ont eu le dessus dans cette lutte – en légitime défense – contre la barbarie. Dans la dignité, dans le respect des lois et conventions. Sans envisager un seul instant de reprendre à leur compte les méthodes exécrables de leurs ennemis. Une armée, en bonne et due forme, bien loin des milices d’autrefois. Dans ce combat pétri de détermination, de stoïcisme et d’abnégation, l’armée libanaise a réussi à unifier toute une nation derrière elle, par-delà les clivages politiques et confessionnels, et malgré, en filigrane, une division politique aussi profonde qu’une plaie ouverte au sécateur – par les Libanais eux-mêmes soit dit en passant, en masochistes. À chaque perte humaine, à chaque mutilation, à chaque meurtrissure, à chaque bruissement de palmes de l’un de ces funestes hélicoptères transportant les blessés, l’épiderme de la nation entière a frémi, le peuple a compati, prié et serré les dents en silence. Les Libanais étaient là, avec leur armée, derrière leur armée, arborant cette détermination magnifique et digne dont font parfois preuve les démunis, ceux qui n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Sur les lieux de travail, sur les routes, dans les maisons, dans les écoles, les Libanais se sont nourris des nouvelles de l’armée nationale, anxieux, inquiets et pourtant si confiants, tristes, vidés, et pourtant si sereins. Leur cœur a battu au rythme des combats. Les récits des faits d’armes se muaient de rumeurs en clameurs. En chants patriotiques exaltés. Les Libanais ont humé à pleins poumons l’air estival humide de leur pays, fiers de le partager avec des soldats si valeureux. Reconnaissants aussi, au terme de leur humble hommage, de pouvoir respirer cet air en toute liberté grâce aux sacrifices consentis par ces militaires, qui ont donné jusqu’à leurs vies pour que le Liban puisse caresser le rêve de vivre en paix. Elles sont leçon, dissuasion et démonstration, les saignées du Grand Froid. Leçon pour le peuple libanais d’abord. Au moment où il s’incline unanimement devant les dépouilles de ses martyrs, il est grand temps pour lui de proclamer à l’unisson sa foi en la civilisation – contre la menace du désert, son refus catégorique de l’insécurité, des États dans l’État, des milices, de la violence, de l’intégrisme sanguinaire, des ingérences étrangères. Sa foi en un Liban institutionnel, unitaire, fort. Dissuasion, ensuite, pour les criminels, terroristes et ennemis du Liban en tout genre (libanais ou non). Car il est interdit de permettre une réédition de la subversion, au Grand Froid ou ailleurs. La victoire de l’armée doit servir d’exemple. C’est pour cela qu’il ne faut rien tolérer qui puisse l’altérer, la vicier, ou en remettre en cause l’intégr(al)ité. Pas de tractations dans les coulisses, pas de compromis, pas de Munich. Pas de « deals » de dessous de table. Pas d’évasions concertées. Les rumeurs qu’on entend ici et là sur des assassins qu’on évacuerait, par la grande porte, doivent non seulement être démenties, mais surtout être fausses (dans la réalité, s’entend). Il ne faut pas qu’elles soient vaines, les saignées du Grand Froid. Il est interdit de trahir ces morts, ces invalides, ces veuves, ces mères, ces pupilles de la nation. Interdit de nous trahir nous-mêmes, en tuant dans l’œuf la patrie renaissante. Démonstration, enfin, de l’existence du Liban, tout simplement. L’assaut contre le Grand Froid, c’était l’acte positif de (re)création de la nation libanaise. La victoire sur le Grand Froid, c’est la preuve de la pérennité, de l’immortalité, de l’éternelle jeunesse du Liban. Élias R. CHEDID Avocat
Il est lugubre, le Grand Froid. Un long fleuve en sommeil, bien loin d’être tranquille. Laissé en paix, pourtant. Longtemps. Trop longtemps. L’exode, les conditions malsaines, le provisoire qui dure, institutionnel, implacable, sans droits ni avenir, politique de l’autruche oblige. La rancœur progressivement alors, puis la haine. Contre le Liban, pourtant terre d’asile. Faute de mieux....