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Ali Fayad : « Les Libanais ont le droit de discuter de la stratégie des armes »

Le directeur du Centre de recherches, d’études et de documentation au sein du Hezbollah, Ali Fayad, passe en revue les questions litigieuses qui, depuis pratiquement l’assassinat de Rafic Hariri, se sont exacerbées en aggravant le fossé entre les deux pôles principaux sur la scène politique libanaise. Pour mieux comprendre les enjeux en présence, l’analyste propose de distinguer clairement entre les questions qu’il appelle les constantes du système, qui doivent « rester immunisées contre toute altération », et celles qui, selon lui, « peuvent prêter à discussion » dans un cadre national. Dans la première catégorie, Ali Fayad place la question de l’accord de Taëf, qui, contrairement aux rumeurs répandues, est considérée comme une constante dans la ligne politique du parti. Le respect de la Constitution de la IIe République suppose également que le principe de la démocratie consensuelle, une autre constante du système, ne soit plus remis en question. Encore faut-il que Taëf soit appliqué à la lettre, ce qui n’a jamais été le cas à ce jour, précise-t-il. La seconde catégorie comprend tous les autres sujets dits « contestables », notamment la question des armes du parti chiite, ou encore la relation avec la Syrie et l’Iran, des points d’achoppement à l’origine de l’impasse qui perdure. C’est dans ce cadre d’ailleurs que s’inscrit la demande incessante de partenariat formulée par l’opposition dirigée par le Hezbollah. Cette requête doit se concrétiser, aux yeux du parti chiite, par la formation d’un gouvernement d’union nationale qui assurerait à l’opposition une participation à la prise de décision, non seulement au niveau des questions touchant à la gestion des affaires publiques mais également, et principalement, concernant les sujets liés à « la stratégie de l’État », à l’heure où la région du Proche-Orient prête son flanc, plus que jamais auparavant, aux conflits d’intérêts qui opposent les grands acteurs internationaux. Par conséquent, estime M. Fayad, les discussions portant sur les questions problématiques ne peuvent se dérouler dans des cadres éphémères comme celui de l’initiative française de Saint-Cloud, ou par le biais des multiples médiations internationales qui se sont succédé au cours des derniers mois. Quand bien même ces tentatives se sont avérées nécessaires et urgentes au regard de la précarité de la situation, elles restent « ponctuelles et ne permettent pas de s’attaquer au fond du problème », dit-il. Car, tant que les raisons fondamentales à l’origine de la crise actuelle n’ont pas été abordées à travers une réflexion profonde, et de manière soutenue, il est extrêmement difficile de trouver un règlement radical à l’instabilité politique qui prévaut et au bon fonctionnement des institutions. C’est ce type d’exercice collectif qu’ont d’ailleurs tenté de faire les chercheurs, analystes et intellectuels libanais représentant la société politique en Suisse où ils ont été conviés récemment. Réunis à l’initiative du gouvernement helvétique, les participants ont été priés de passer outre les implications institutionnelles de la crise actuelle, pour favoriser une approche analytique en vue de la recherche de solutions « à long terme » afin « d’éviter les récidives toutes les fois qu’une crise s’annonce à l’horizon », indique Ali Fayad. En d’autres termes, il s’agissait d’évoquer pour mieux les comprendre, les malaises profonds qui agitent le système communautaire libanais et les motifs de dysfonctionnement d’un régime branlant. Procédant par élimination, le responsable du Hezbollah soutient qu’il faut commencer par s’entendre sur le fait que la Constitution de Taëf, notamment dans ses clauses relatives à la démocratie consensuelle, est, au regard du parti chiite, « intouchable » ou du moins non contestable. À ce propos, l’analyste relève que les récents débats menés autour de cette question ont révélé des « contradictions profondes au sein de l’équipe au pouvoir qui se dit tantôt en faveur du principe de l’entente nationale au plan du fonctionnement des institutions, tantôt pour une majorité parlementaire qui donne l’aval au gouvernement qui en est issu pour diriger le pays ». « Lorsque le secrétaire général du Hezbollah avait appelé à la tenue d’un référendum, les forces de la majorité avaient mis le holà en affirmant que le pays ne peut fonctionner que par le biais d’un système consensuel. Par la suite, rappelle M. Fayad, l’élite au pouvoir s’est rétractée en recourant à la terminologie de la majorité et de la minorité, lors des démonstrations populaires où ont été évoquées successivement la question numérique de la démocratie quantitative et qualitative. » « Lorsque le Hezbollah a de nouveau exprimé son attachement à l’idée de démocratie consensuelle, le pouvoir a rétorqué en se fondant sur la majorité parlementaire », rappelle-t-il encore. L’analyste, qui a pris part à la table de dialogue tenue en Suisse, avance l’exemple du Conseil fédéral suisse formé de 7 membres dont devrait s’inspirer le Liban. « Bien qu’il soit habilité à prendre ses décisions sur base d’une majorité de 4 voix sur 7, les membres du Conseil n’ont jamais usé de cette règle par respect du système consensuel », relève-t-il. Certes, reconnaît M. Fayad, ce système comporte des lacunes, notamment au plan des mécanismes de la prise de décision qui se trouve ralentie, voire paralysée dans certains cas. « Toutefois, dit-il, il est préférable de sacrifier la rapidité et l’efficacité de la prise de décision au profit de la stabilité politique et sociale qui s’impose d’elle-même dans les sociétés plurielles. » C’est dans cet esprit que s’inscrit d’ailleurs la requête de « participation » des forces politiques chiites notamment, et le concept du tiers de blocage ou de garantie, selon qu’on l’entend dans un sens positif ou négatif. Des assurances que le Hezbollah sollicite au niveau des droits politiques et économiques, du droit au développement, mais aussi au plan de la stratégie de sécurité et de défense du pays, et ce « en l’absence d’un État qui a renoncé à ses devoirs dans ces deux secteurs précis ». Le volet de défense stratégique, qui prime désormais sur les questions socio-économiques sans les occulter pour autant, pose avec acuité, après la guerre de juillet dernier notamment, la problématique des armes détenues par le parti de Dieu. Une question sur laquelle le Hezbollah s’est dit à plusieurs reprises, et une fois de plus en Suisse, « prêt à discuter avec ses partenaires dans la nation. La logique de l’entente suppose que l’on construise ensemble une vision commune pour résoudre cette question, d’autant qu’une partie des Libanais reste attachée aux armes pour assurer son autodéfense et la sécurité nationale face à Israël. Cela suppose que l’on reconnaisse également l’existence d’une autre partie de Libanais qui craint que ces armes ne soient employées dans un conflit confessionnel, ou dans le cadre de projets régionaux qui seraient contradictoires avec les intérêts du Liban ». Pour le responsable chiite, cela revient à dire que le problème « n’est pas tant la disponibilité des armes que les objectifs visés par cet arsenal ». « Le processus rationnel suppose donc que l’on examine les garanties nécessaires et les engagements de part et d’autre. Les Libanais ont le droit de discuter de la stratégie des armes et de convenir d’une formule viable servant l’intérêt du pays », dit-il, en précisant qu’une telle formule pourrait être envisageable dans le cadre de l’institution militaire. Autre point de litige qui découle naturellement de la question des armes, les relations libano-syriennes et la question de « l’inféodation » présumée du parti chiite à l’Iran. Sur le premier point, M. Fayad rappelle la position de son parti qui « prône des relations avec la Syrie sur base de l’accord de Taëf et des accords bilatéraux conclus entre les deux pays ». Il insiste cependant sur « l’attachement du Hezbollah à l’indépendance du Liban et son refus de toute tutelle imposée par un pays tiers ». Critiquant au passage le discours musclé dirigé par les élites au pouvoir contre la Syrie, l’analyste fait remarquer que « les relations entre deux pays dépassent les relations entre les personnes et les situations de crise qui peuvent surgir. Nous comprenons parfaitement les doutes portés sur la Syrie » qui, de l’avis de certains, serait derrière les assassinats politiques visant notamment un camp plutôt qu’un autre. « Cependant, dit-il, il n’est pas permis de définir des positions politiques sur base de sentiments ou d’émotions lorsqu’il s’agit de questions concernant l’intérêt supérieur de la nation. » « La réflexion qui nous est demandée aujourd’hui doit, certes, s’inspirer des drames qui endeuillent le pays, tout en s’inscrivant dans une optique constructive qui puisse nous ramener à la stabilité », ajoute-t-il. L’analyste cite au passage l’exemple des relations russo-finlandaises que gère désormais un protocole d’entente conclu entre Moscou et Helsinki, sur le respect mutuel de l’indépendance des deux pays. Un accord qui a achevé d’apaiser les craintes d’expansion ou d’ingérence de part et d’autre. Les craintes sont également justifiées chez ceux parmi les Libanais qui émettent des doutes sur les relations de « suivisme » entretenues avec l’Iran dont on accuse régulièrement le Hezbollah. Ainsi, dit-il, le « wilayet el-fakih » – qui n’est qu’une référence religieuse en termes d’éthique et de morale politico-sociale – « est devenu une arme politique » aux mains des pourfendeurs du parti chiite. « À l’instar du pape, le wali el-fakih (chef religieux suprême) détient l’autorité de la supervision religieuse et de l’orientation morale, spirituelle, à la différence près que dans le cas chiite, la dimension politique est plus présente. Quoi qu’il en soit, la relation entre le wali el-fakih et les fidèles n’est pas une relation imposée, mais d’engagement personnel qui reste libre », précise-t-il. Tout en admettant que c’est l’ensemble des membres du Hezbollah qui ont foi dans le principe du wali el-fakih, M. Fayad insiste pour dire que les orientations politiques prônées par ce dernier ne visent en aucun cas à s’immiscer dans les affaires intérieures du pays où résident les fidèles, « à la manière de l’exhortation apostolique qui inspire les chrétiens ». Quant aux aides financières accordées au parti de Dieu – excepté l’aide à la reconstruction du Liban-Sud –, « elles proviennent d’associations religieuses et non de l’État iranien », précise-t-il. Parmi les principes généraux édictés par le wali el-fakih, « l’importance de l’idée de l’unité des musulmans, un principe qui nous sert de garde-fou pour circonscrire toute velléité de conflit sunnito-chiite », conclut Ali Fayad. Je. J.
Le directeur du Centre de recherches, d’études et de documentation au sein du Hezbollah, Ali Fayad, passe en revue les questions litigieuses qui, depuis pratiquement l’assassinat de Rafic Hariri, se sont exacerbées en aggravant le fossé entre les deux pôles principaux sur la scène politique libanaise. Pour mieux comprendre les enjeux en présence, l’analyste propose de distinguer...