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Beydoun : « Nous avons raté, une fois de plus, l’occasion de conclure un pacte de coexistence »

Le Liban encourt aujourd’hui le plus grand danger, à savoir une confrontation sunnito-chiite qui risque de mener une fois de plus à l’effondrement du pays. C’est ce que constate le sociologue et chercheur Ahmad Beydoun, qui relève que l’émergence de ce nouveau front est en contradiction avec le contentieux qui avait caractérisé pendant longtemps les rapports intercommunautaires libanais, traditionnellement cristallisés sur une ligne de démarcation chrétiens-musulmans. Malgré l’existence d’intermèdes de « rapprochements », notamment autour de questions socio-économiques et revendicatives qui camouflaient un tant soit peu cette frontière politico-confessionnelle, les Libanais n’ont jamais réussi au cours de leur expérience de coexistence à définir une identité commune capable de les unir autour des intérêts suprêmes de la nation. Dans un exposé exhaustif sur le développement des relations entre les différentes communautés en présence, le professeur Beydoun passe en revue les principales phases historiques qui ont caractérisé – au cours leur évolution – les rapports d’adversité ou de proximité qu’ont entretenus les confessions libanaises entre elles depuis la création du Liban. Analysant les enjeux conjoncturels, politiques, socio-économiques et religieux en présence, le sociologue parvient à dégager les grands thèmes qui ont marqué l’une ou l’autre période analysée, pour faire ressortir autant de constantes que de variables qui ont ponctué cette période. Rappelant la phase de « modération et de rapprochement » entre sunnites et chiites, notamment à l’époque d’un nationalisme arabe fédérateur – et par la suite ce qu’il appelle « le front commun pour l’expression des griefs » où les deux communautés musulmanes se sont unies au lendemain d’une entente sunnito-maronite autour du partage du pouvoir –, le sociologue explique comment la période de la guerre civile a été, surtout à partir de 1982, « un test difficile pour les relations sunnito-chiites », rendu encore plus complexe avec la présence syrienne et palestinienne sur le territoire national. La situation a drastiquement changé aujourd’hui, constate M. Beydoun, avec l’avènement de nouvelles lignes de confrontation qui se sont dessinées peu à peu, mettant face à face chiites et sunnites, dans un bras de fer qui ne saurait être séparé des changements régionaux et internationaux majeurs. Ces derniers ont culminé avec le retrait forcé du tuteur syrien précédé de l’assassinat de Rafic Hariri, deux acteurs-clés qui avaient imprégné de manière notoire la vie politique libanaise pendant toute une décennie. Si les bouleversements aux plans régional et international ont nettement influé sur le cours des récents développements sur la scène libanaise, il n’en est pas moins vrai que l’émergence de ce que certains appellent communément « l’État du Hezbollah » et l’avènement du « haririsme politico-financier » à l’ombre de la tutelle syrienne ont donné l’impulsion à une nouvelle dynamique dont les effets continuent à se produire à ce jour. Durant la période d’après-guerre, le partage d’influence s’est fait entre les Syriens et l’ancien Premier ministre, qui avait notamment une emprise exclusive sur le dossier socio-économique, affirme en substance M. Beydoun. « Les efforts de reconstruction déployés par Rafic Hariri n’auraient pu se concrétiser sans l’apport de tout un réseau de relations internationales que ce dernier a réussi à tisser, mettant ainsi des limites au monopole syrien de la vie politique locale », explique-t-il. Comptabilisant sur un projet de pacification globale dans la région, l’ancien chef de gouvernement – fragilisé par une dette publique qui s’amplifiait – a fini par devenir la cible d’une campagne de dénigrement inspirée et orchestrée par les Syriens. Le clivage toutefois a commencé par s’approfondir au lendemain des élections parlementaires de 2000, lorsque Rafic Hariri « s’est trouvé “redevable” envers la rue sunnite et les chrétiens antisyriens, leur offrant une victoire électorale qui a achevé de transformer la guerre larvée menée contre lui en un début de confrontation avec l’ensemble de la communauté sunnite qu’il parrainait », soutient le professeur Beydoun. « Son assassinat a pris par la suite la forme d’une agression déclarée contre le sunnisme libanais », fait remarquer Ahmad Beydoun. Le retrait des troupes de Damas, qu’avait précédé la formation d’un front antisyrien dirigé par une rébellion sunnite, n’a fait qu’accentuer les nouveaux clivages qui se dessinaient à l’horizon. Et l’analyste de faire remarquer au passage que l’attachement du secrétaire général du Hezbollah – « qui n’a jamais lésiné à mettre en valeur ses bonnes relations avec l’ancien Premier ministre assassiné » – à éloigner le spectre d’un conflit sunnito-chiite était déjà un indice précurseur de ce qui allait advenir. « Tout éventuel apaisement de la tension naissante était alors conditionné par une prise de distance de chacun des pôles en présence, par rapport aux camps externes qui soutenaient la cause défendue par l’un ou l’autre camp », dit-il en allusion à la confrontation entre l’axe occidental et l’axe irano-syrien. « Le retrait des troupes syriennes a ainsi laissé la place à un vide politique et ouvert une belligérance déclarée sur la scène locale », dit-il. L’escalade entre, d’une part, le pôle chiite fort de son arsenal irano-syrien et, d’autre part, la rue sunnite qui a formé un bloc serré après la décapitation de la communauté était devenue d’autant plus inévitable que les deux pôles communautaires en présence ont tourné le dos à la décision historique qu’imposaient de telles circonstances. Celle-ci consistait, pour le Hezbollah, « à faire preuve de sa disposition à renoncer aux armes « qui n’avaient auparavant été tolérées que parce que le parti chiite ne revendiquait pas une part du pouvoir », rappelle Ahmad Beydoun. À ce propos, l’analyste fait remarquer que tant que le Hezbollah n’avait réclamé aucune participation au pouvoir, faisant pendant plusieurs années profil bas sur ce plan, « la Résistance était tolérée » par les autres protagonistes, dont les sunnites. Or, dit-il, dès le moment où le parti chiite a commencé à revendiquer l’équilibre au sein du pouvoir, « la signification du port d’armes par le Hezbollah a changé, de même que celle de sa relation avec l’Iran ou la Syrie ». Côté sunnite, le Courant du futur aurait dû pour sa part renoncer à monopoliser la question de l’investigation internationale sur l’assassinat de son leader « en invitant toutes les parties libanaises à prendre leur part de responsabilité » dans un processus de deuil qui, en définitive, a déteint sur l’ensemble du pays et non sur une seule communauté. « Mais cela n’a pas eu lieu », déplore le sociologue. « Le Hezbollah est apparu comme incapable de se définir un avenir acceptable ou garanti en dehors du port d’armes et de sa mission de résistance qui, soutient Ahmad Beydoun, a culminé avec la guerre de juillet dernier que le parti chiite a cherché à rentabiliser. » Parallèlement, la rue sunnite s’est avérée de son côté incapable de soustraire « l’icône » de l’ancien Premier ministre assassiné, à un « haririsme politique de plus en plus exacerbé ». Dicté notamment par ses pourvoyeurs en armes (le tandem syro-iranien), le refus du parti chiite de renoncer à sa mission militaire a cumulé avec une campagne antisyrienne acharnée orchestrée par le sunnisme politique, atteste le sociologue. D’après lui, les acteurs en présence ont sans doute raté l’occasion de conclure un « pacte d’entente » qui aurait également dû bénéficier d’un acte de soutien patriotique – chose rare au Liban – de la part des autres communautés en lice ainsi que d’un appui international soutenu visant à combler le fossé entre les deux communautés au lieu de l’approfondir. Ce contrat entre les différentes confessions, s’il avait eu lieu, aurait pu soustraire les deux communautés principales musulmanes à « l’expertise » qu’elles se sont respectivement attribuée : celle de la « résistance armée » que la communauté chiite a monopolisée, et celle de la reconstruction et de la gestion des finances dont les sunnites se sont faits les promoteurs des années durant, a indiqué M. Beydoun. Une répartition de rôles devenue aujourd’hui source de conflit et un motif de crainte de part et d’autre, éloignant un peu plus le schéma idyllique de la coexistence. « Les Libanais se sont réveillés un jour pour découvrir une communauté numériquement majoritaire passer de l’autre côté de la barrière, sachant que les autres communautés n’ont pas manqué de la pousser un peu plus dans cette direction », constate le professeur. Il serait toutefois « injuste » de décrire le drame libanais comme s’il était la résultante de la seule volonté des décideurs libanais, soutient le sociologue, qui rappelle le rôle déterminant des tutelles et ingérences extérieures. « Quoi qu’il en soit, il est peu probable aujourd’hui que le semblant d’équilibre entre sunnites et chiites auquel nous assistons puisse se maintenir », conclut l’analyste, qui met en garde contre l’ébullition latente qui agite la rue sunnite laquelle regorge de mouvements salafistes clandestins et de cellules dormantes qui risquent de s’éveiller d’un coup si les institutions politiques et sécuritaires achèvent de s’effondrer. Je. J.
Le Liban encourt aujourd’hui le plus grand danger, à savoir une confrontation sunnito-chiite qui risque de mener une fois de plus à l’effondrement du pays. C’est ce que constate le sociologue et chercheur Ahmad Beydoun, qui relève que l’émergence de ce nouveau front est en contradiction avec le contentieux qui avait caractérisé pendant longtemps les rapports intercommunautaires...