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Actualités - REPORTAGE

La viabilité de l’équation nationale de nouveau remise en question Sociologie de la crise libanaise II : les lignes de démarcation communautaires ont désormais changé Jeanine JALKH

De crise en crise, de rupture en rupture, le Liban n’en finit pas de se débattre avec ses dysfonctionnements internes que viennent raviver, à intervalles réguliers, des conjonctures régionales et internationales souvent défavorables à l’unité du pays. Vu de loin, le pays aux 18 communautés semble éternellement condamné à trouver des formules de réajustement et des modus vivendi en vue d’éloigner, à chaque tournant de décennie, le spectre d’un conflit civil qui menace, à chaque fois, l’existence d’un État en perpétuel devenir. Une fois de plus, les problématiques communautaires ressurgissent, remettant en question la viabilité d’une formule que l’on ne lésine pas à dénoncer toutes les fois qu’il y a blocage. Depuis pratiquement sa naissance, le Liban n’existe qu’en termes de survie pour avoir eu, tout au long de sa jeune histoire, à affronter des contentieux de types politique, stratégique et confessionnel, inversement proportionnels à sa taille. Si les conjonctures, les alliances ou les acteurs en présence se sont continuellement modifiés, les problèmes fondamentaux inhérents à la constitution de la nation sont pratiquement restés les mêmes : communautarisme exacerbé, absence d’un État de droit, clientélisme et féodalisme étroitement maintenus, carence au niveau des politiques publiques et socio-économiques, et surtout dépendance extrême d’alliés extérieurs. Bref, autant d’ingrédients explosifs qui se trouvent à nouveau réunis aujourd’hui à l’ombre d’un contexte géopolitique des plus inquiétants. Face à la guerre larvée que mènent les États-Unis contre l’axe dit des « pays du mal », principalement incarné par la Syrie et l’Iran, le Liban, laminé de l’intérieur par ses conflits communautaires, se transforme une fois de plus en caisse de résonance des grandes (?) causes qui agitent ce monde. Les nouvelles alliances récemment concoctées au pays du Cèdre se sont notamment définies en fonction des conflits géostratégiques qui agitent la région, soit la lutte que mènent les régimes conservateurs sunnites, appuyés par l’Occident et les régimes révolutionnaires incarnés par l’Iran (voir la première partie du dossier publié dans l’édition du 13 août de « L’Orient-Le Jour ». Armé de l’expérience pénible des vingt années de guerre, le pays du Cèdre saura-t-il se soustraire cette fois-ci du bruit de bottes qui se fait entendre à ses portes ? Le conflit civil qui a déchiré le pays deux décennies durant pourra-t-il être évité à l’ombre de la menace d’un conflit sunnito-chiite qui gronde par-delà la frontière irakienne ? La réponse n’est pas simple, et les enjeux d’autant plus complexes que les lignes de démarcation, au Liban notamment, ont drastiquement changé au cours des dernières années. Si les frontières du conflit civil des années 70 et 80 étaient fixées entre le camp chrétien d’une part et le camp musulman de l’autre, elles sont aujourd’hui d’autant plus difficiles à percevoir qu’elles ont remis en cause des vérités qu’on croyait acquises et des alliances que l’on pensait immuables. Dans le cas d’un nouveau conflit civil, s’il a lieu, les lignes de démarcation « passeront désormais dans les chambres à coucher », dira pertinemment le sociologue Ahmad Beydoun. Une des raisons principales qui laissent espérer qu’une nouvelle guerre pourrait quand même être évitée, estime cet intellectuel, est précisément « l’horreur » que laisserait entrevoir un nouveau conflit interlibanais, tant les alliances et contre-alliances sont hétéroclites et imbriquées. Certes, reconnaît le professeur Beydoun, il existe une ligne de confrontation qui se définit de plus en plus clairement de nos jours entre sunnites et chiites et qui va à contresens de l’histoire de ces deux communautés. Elle est d’autant plus inquiétante aujourd’hui que la rue sunnite regorge notamment de mouvements salafistes – clandestins pour la plupart – aux allégeances et affinités hétéroclites. Bref, une véhémence potentielle qui risque de se transformer en une force de confrontation avec les chiites, notamment dans le cas d’un affaiblissement général des institutions politiques et sécuritaires. Pessimiste mais non moins réaliste, le sociologue estime que les Libanais, globalement représentés aujourd’hui par les deux grandes communautés sunnite et chiite, ont raté leur chance de conclure – immédiatement après le retrait syrien – un pacte rassembleur portant sur les questions litigieuses, qui aurait pu atténuer les clivages et éviter une affrontement même politique entre les deux grandes communautés musulmanes. Une sorte de contrat intercommunautaire qui aurait également dû être avalisé par les autres communautés, dans le cadre d’un acte patriotique à la hauteur de la situation. Écartelée entre sa mission d’origine, à savoir la poursuite de la défense stratégique du pays, et celle de s’affirmer sur la scène interne comme une force participative au pouvoir, la résistance chiite du Hezbollah est consciente du danger suprême que représente une guerre sunnito-chiite au Liban. Le parti chiite joue ainsi à l’équilibriste : non à toute confrontation interne et à un éventuel conflit intermusulman ; oui à un partenariat politique qui s’impose d’autant plus que le jeu des grandes puissances dans la région inquiète au plus haut point le parti de Dieu. Le Hezbollah persiste et signe : la réclamation d’un partenariat équitable s’inscrit dans le cadre de la recherche d’un règlement juste et équitable dans lequel la communauté chiite aura sa place et son mot à dire sur un échiquier politique que se disputent les grands décideurs régionaux. C’est dans ce sens que s’inscrit d’ailleurs l’analyse du directeur du Centre de consultation, d’études et de documentation, Ali Fayad. Ce dernier va encore plus loin en précisant que la question de justice est entendue au sens large par le parti, c’est-à-dire en terme de « représentation de toutes les parties en présence », une condition sine qua non selon lui pour « parvenir à une stabilité sociale et politique qui puisse garantir les intérêts des citoyens ». La crise libanaise se résume par cette formule, dit-il, à savoir qu’elle a commencé par un conflit autour de la stratégie de l’État pour se transformer en une crise de participation au sens politique du terme et non dans l’esprit d’une remise en question du régime à proprement parler. Ci-dessous, les avis des deux experts, qui nous communiquent chacun sa vision de la crise libanaise.
De crise en crise, de rupture en rupture, le Liban n’en finit pas de se débattre avec ses dysfonctionnements internes que viennent raviver, à intervalles réguliers, des conjonctures régionales et internationales souvent défavorables à l’unité du pays. Vu de loin, le pays aux 18 communautés semble éternellement condamné à trouver des formules de réajustement et des modus vivendi en...