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Actualités - OPINION

Éclairage Qui joue la carte el-Qaëda au Liban ? Jeanine JALKH

Le déclenchement des combats de Nahr el-Bared et ses multiples répercussions sur le terrain sécuritaire sont venus alimenter le débat sur l’identité du parrain réel de Fateh el-Islam et les objectifs d’une guerre aussi acharnée contre l’armée libanaise. Une fois de plus, et comme à l’occasion de chaque événement sécuritaire, les accusations de la majorité se sont immédiatement dirigées contre la Syrie, qui serait, à ses yeux, « derrière toute velléité de déstabilisation au Liban », quels que soient les moyens ou les agents mis en œuvre. L’opposition, elle, n’a pas hésité à réagir, comme d’habitude, pointant du doigt le mouvement el-Qaëda. Elle ira même jusqu’à accuser le sunnisme politique au pouvoir d’avoir encouragé et soutenu Fateh el-Islam ainsi que d’autres mouvements salafistes et jihadistes au Liban. L’attentat qui a visé, dimanche dernier, le contingent espagnol au Liban-Sud, précédé par le lancement de katiouchas sur le nord d’Israël, est venu raviver la guerre des accusations entre majorité et opposition et ajouté un élément de complexité supplémentaire sur la scène politico-sécuritaire. Le Liban-Sud, qui était jusque-là épargné par le cyclone, semble être désormais une nouvelle terre d’élection pour ceux qui œuvrent à semer le chaos, quelles que soient leurs identités. Or, si l’on admet que le Liban a de tout temps servi d’arène privilégiée à la « guerre des autres », l’on comprend mieux aujourd’hui que les facteurs régionaux et internationaux priment plus que jamais sur les clivages internes. Il est ainsi difficile de pointer du doigt telle ou telle partie en lui imputant la responsabilité des explosions, attentats, assassinats politiques et affrontements en tous genres. Si l’investigation internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri – sur laquelle planchent près de deux cents experts, depuis deux ans – s’est autant prolongée, c’est qu’il y a là un signe clair que les choses ne sont pas aussi simples que l’on croit dans cette partie d’Orient. Certes, les tentations sont grandes et les présomptions de preuves relativement importantes de part et d’autre pour croire, en même temps, aux deux thèses avancées par la majorité et par l’opposition : qui de la Syrie ou d’el-Qaëda a intérêt à semer la terreur au pays du Cèdre ? Ne sommes-nous pas plutôt devant un scénario plus complexe où les auteurs des attentats et incidents sécuritaires ne seraient pas nécessairement les commanditaires et pourraient même ignorer pour le compte de quelle partie ils opèrent ? Cette thèse nous rappelle d’ailleurs la déclaration faite, il y a quelque temps, par l’ancien chef des enquêteurs, Detlev Mehlis, qui avait parlé d’une chaîne de commandement formée de maillons humains liés dans le cadre d’une structure générale, mais qui opèrent indépendamment sans nécessairement savoir qui se trouve à la tête de la chaîne. L’on sait par exemple que le successeur de M. Mehlis, Serge Brammertz, a sérieusement planché ces derniers temps sur la piste islamiste sans pour autant « écarter d’autres hypothèses », notamment celle de la Syrie. Cette logique s’appliquerait également à Fateh el-Islam, voire aux fauteurs de troubles au Liban-Sud, qui tout en étant indiscutablement islamistes, salafistes ou jihadistes n’en seraient pas moins infiltrés par des agents « étrangers », voire syriens, saoudiens, israéliens ou même américains. La liste est longue tant il est vrai que nombreux sont les États et parties opérant sur un terrain on ne peut plus fertile. Autant d’acteurs-fantômes qui cherchent à profiter non seulement du vacuum sécuritaire, mais également de la fragmentation de la scène politique, les deux protagonistes libanais majeurs contribuant, par leurs propos et prises de position, à noyer la vérité dans les dédales de leur conflit. Or, la vérité se trouverait peut-être quelque part entre les deux, à savoir une implication plurielle de plusieurs acteurs, groupuscules et États, qui opéreraient chacun selon son agenda propre, manipulant à tour de rôle mercenaires ou jihadistes aux affiliations idéologico-politiques complexes, qui ne perçoivent au sein de ce schéma que leurs cibles directes, ignorant souvent à quelle autre partie profite leur crime. Ainsi, tout en admettant la théorie avancée, au départ, par Seymour Hersh sur la manipulation de la carte sunnite islamiste par l’Administration Bush et son allié saoudien Bandar ben Sultan, il serait en même temps naïf d’ignorer le rôle de la Syrie dans tout ce qui se passe au Liban. Rompu à l’art de l’exploitation judicieuse des islamistes – on l’a déjà vu à l’œuvre en Irak –, Damas ne saurait être étranger aux soubresauts que connaît le Liban depuis l’assassinat de Rafic Hariri. Comment pourrait-on sinon expliquer les contacts que l’Italie tente de nouer avec Bachar el-Assad pour obtenir des garanties sur la sécurité de ses troupes au Liban-Sud ? Les propos tenus depuis quelques semaines par le ministre italien des Affaires étrangères, Massimo d’Alema, à Damas et les informations qui ont circulé sur la teneur de ses entretiens avec le chef de l’État syrien ne sont pas passés inaperçus à Rome où ils ont suscité une polémique entre les tenants d’une « soft diplomacy » avec la Syrie et l’Iran, et ceux qui prônent, à l’instar de George Bush, la politique du bâton. Le quotidien La Repubblica avait d’ailleurs soulevé, depuis deux semaines, le débat sur la pertinence de la politique italienne d’apprivoisement de la Syrie, moyennant l’obtention de sa bienveillance au Liban-Sud, où siègent les forces onusiennes de maintien de la paix. L’attentat survenu quelques jours plus tard contre les unités espagnoles – qu’il ait été ou non exécuté par des éléments d’el-Qaëda – est ainsi apparu comme étant un message supplémentaire adressé non seulement à l’Italie, mais également à toute la communauté européenne. L’objectif étant de forcer un peu plus cette dernière à emprunter le chemin du dialogue avec la Syrie et non celui de la confrontation, procédé favori de l’axe américain dans la région. L’inverse pourrait être tout aussi vrai, notent certains analystes. À savoir que, si l’on prend en compte les accusations de certaines parties sur une éventuelle implication d’agents israéliens ou israélo-américains, on ne pourrait comprendre cet attentat que dans le cadre d’une tentative de dissuader l’Europe, et plus précisément l’Italie de Romano Prodi, de poursuivre sa politique de relative complaisance avec « l’axe du mal » en vue de l’inciter à adopter une option plus musclée, face à Damas notamment. Quelle que soit l’analyse adoptée, et en attendant la fin des investigations en cours, il serait peut-être plus sage pour l’instant, de la part des parties libanaises, de commencer par reconnaître l’ampleur du danger qui menace leur pays en privilégiant la réunification et le renforcement des organismes sécuritaires sur la politique des accusations stériles. Car il faut bien le constater : l’armée ne peut continuer à porter seule le fardeau d’un pays déchiré et d’un peuple divisé.
Le déclenchement des combats de Nahr el-Bared et ses multiples répercussions sur le terrain sécuritaire sont venus alimenter le débat sur l’identité du parrain réel de Fateh el-Islam et les objectifs d’une guerre aussi acharnée contre l’armée libanaise. Une fois de plus, et comme à l’occasion de chaque événement sécuritaire, les accusations de la majorité se sont...