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Rencontre - Pour Béatrice Khadige, le journalisme est un mélange de neutralité et de pudeur Un devoir de réserve qui n’exclut pas le droit à l’émotion Carla HENOUD

Elle se cache derrière ses mots, comme un photographe derrière son objectif, pour pouvoir, même après vingt-cinq ans de bons et loyaux services à l’AFP, « retenir son émotion et faire son métier au mieux », c’est-à-dire avec neutralité. Dans ses reportages sur la triste guerre de juillet, Béatrice Khadige a offert au monde des témoignages où sa sensibilité totalement maîtrisée n’a en rien altéré son professionnalisme. Béatrice Khadige parle comme elle écrit. Avec des mots brefs, directs et clairs, comme en majuscule. C’est dans ses silences et entre ses lignes qu’il faut aller chercher l’émotion, la saisir et la respecter. Son métier de reporter pour l’Agence France-Presse lui a appris à construire un mur derrière lequel se terrent sa subjectivité et ses sentiments. En attendant de pouvoir, dans le privé, faire son deuil de tous ces conflits et toutes ces guerres dont elle est le témoin et la plume. Son devoir de réserve peut alors devenir un droit à l’émotion... Les nombreux « instantanés » de vie et de survie qu’elle a transmis au monde, à travers l’AFP, durant sa longue carrière et, plus récemment, lors de l’attaque israélienne contre le Liban, demeurent l’expression juste d’un moment, d’une semaine, de 33 jours. Les Libanais l’ont lue, au gré d’attaques de plus en plus meurtrières, voyant dans cette inconnue une complice des mauvais jours, avec une distance et une objectivité en plus. Mettre enfin un visage à cette signature était, des mois plus tard, une envie légitime. Son bref passage parmi nous a permis la rencontre. « Le principe, dit-elle d’une voix assurée, est de dire ce qui se passe à travers ce que l’on voit et que l’on entend. Mais il faut aussi vérifier en confrontant avec d’autres sources. Avant d’avouer, hors-« texte » : « La guerre de l’été dernier m’a broyé les intestins. Le Liban est à nouveau blessé dans sa chair, après 15 années d’efforts, pas toujours fructueux, qui se sont évanouis. Pourquoi ? » Une identité plurielle «Le spectacle de la guerre est pareil dans tous les pays du monde, » précise Béatrice Khadige. Mi-européenne, mi-arabe, elle se décrit comme très ouverte. « J’appartiens à différents mondes culturels et religieux. Ce qui me donne un recul par rapport à certaines valeurs acquises. » Après avoir vécu de nombreuses années au Liban, elle part à la veille de la guerre d’octobre 73. « Je suis rentrée en France. » Son métier, comme une mission, outre le devoir de réserve, impose un devoir de témoignage. « Notre méthode de travail correspond aux besoins de toutes sortes de médias. Nous avons des centaines de clients dans le monde. Nous n’avons aucun objectif politique... Notre devoir est de couvrir les événements et non de les vivre. » Au cours de ses nombreux voyages qui l’ont menée aux États-Unis, en Afrique, en Pologne, au Moyen-Orient et au Japon, elle ramène des articles, mais aussi des souvenirs, des rencontres et des leçons de vie. « Il n’y a pas une vérité absolue, mais des vérités, poursuit-elle. Des valeurs relatives, des visions relatives. Au milieu de tout cela, il y a des faits. Au-delà, il reste toujours un événement. » Ces faits et ces événements, elle se charge au quotidien de les capter et de les retenir dans le filet de ses mots. Lorsqu’elle parle, elle laisse aller sa révolte, sa colère et son admiration pour certains peuples, causes et personnages. Son exemple demeure Nelson Mandela. « Il possède une sagesse, une tolérance qui devraient être un modèle pour nous tous. » « Quand je prendrai ma retraite, je voudrais travailler à fondre les différences culturelles et religieuses. Et puis, conclut-elle, oubliant enfin et pour un cours instant son devoir de réserve, je voudrais mourir au Liban. C’est un pays dont la raison d’être correspond parfaitement à la mienne. »
Elle se cache derrière ses mots, comme un photographe derrière son objectif, pour pouvoir, même après vingt-cinq ans de bons et loyaux services à l’AFP, « retenir son émotion et faire son métier au mieux », c’est-à-dire avec neutralité. Dans ses reportages sur la triste guerre de juillet, Béatrice Khadige a offert au monde des témoignages où sa sensibilité totalement...