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Actualités - CHRONOLOGIE

Environnement - Une polémique qui s’est envenimée et des zones d’ombre qui persistent L’affaire des « déchets itinérants » du Normandy : terminus Sibline Suzanne BAAKLINI

Des déchets « orphelins » dont personne ne veut reconnaître la paternité qui se baladent dans les régions… Décidément, dans ce pays, on aura tout vu. L’affaire de ce qui est connu sous le nom des « déchets du Normandy » (un scandale itinérant entre les villes et les villages, se traduisant par un ballet, souvent nocturne, de camions chargés de détritus), a connu maints rebondissements ces dernières semaines. Et il semble que la destination finale de ces résidus (ou d’une grande partie, du moins) soit une carrière désaffectée de Sibline. La société Solidere elle-même, chargée de la réhabilitation de l’ancien dépotoir qui avait servi durant la guerre pour Beyrouth et sa région (et qui est situé dans son périmètre), a publié récemment plusieurs communiqués dans lesquels elle a finalement reconnu que les résidus du Normandy – qui ne représentent, selon elle, aucun danger parce que résultant du tri et du traitement – finiraient à Sibline. Mais elle nie énergiquement que d’autres déchets transportés ici ou là proviennent du Normandy. Il reste cependant que ce phénomène de « déchets itinérants » s’est propagé sur une grande partie du territoire libanais au cours des dernières semaines. Est-ce une simple coïncidence ? Au cas où ce le serait, d’où viendraient ces autres déchets retrouvés dans différentes régions de l’Iqlim el-Kharroub, ainsi qu’à Saïda, Batroun et ailleurs ? Pour commencer, Sibline, où les résidus du Normandy se retrouveront certainement dans la carrière désaffectée de la fameuse cimenterie de ce village d’Iqlim el-Kharroub (au sud de Beyrouth). Cette question n’est pas passée sous silence par les habitants de la région, et des protestations ont été signalées au niveau de la population locale et des responsables municipaux. La grogne a atteint le village de Barja tout proche et des manifestations populaires ont notamment eu lieu il y a plus de deux semaines. Depuis, les réunions se sont multipliées entre les responsables municipaux, les députés de la région et les ministères concernés pour satisfaire les conditions posées par les premiers, en vue d’assurer notamment une protection suffisante de ce site sous lequel coule une source souterraine. Sur le site, il est déjà possible de voir une couche isolante là où les résidus devraient être étalés. Selon les différentes sources interrogées, cent mille tonnes ont déjà été déversées à Sibline (sans susciter de protestations de la part de la municipalité), et elles sont bien visibles sur le versant de la gigantesque carrière. Près de 70 000 tonnes devraient également s’y déverser à l’avenir. Mais les responsables locaux et les habitants veulent s’assurer que les travaux sont effectués suivant les normes et que les nappes phréatiques sont protégées. Ayant eu des doutes sur la manière dont a été exécutée la première partie du travail, ils ont demandé que le transport des résidus soit interrompu le temps que les études et les analyses nécessaires soient terminées. Le transport des résidus a repris lundi dernier, après une autorisation donnée par le mohafez, « suivant les recommandations des autorités concernées ». Protestations populaires Tout cela n’a cependant pas tranquillisé les habitants de la région au sujet de la composition de ces déchets. Salam Saad, président de la municipalité de Barja, estime que « l’entrepreneur s’est probablement trouvé pressé par le temps, et n’a plus voulu traiter le dépotoir au même rythme qu’avant, préférant envoyer les déchets plus loin ». M. Saad révèle que « les premières propositions d’accueillir ces résidus nous avaient été faites par des chauffeurs de camion de la région, qui avaient parlé de simples remblais, et j’avais moi-même accepté qu’ils soient transportés dans notre village ». Mais, selon lui, l’affaire s’est révélée être bien différente. « Quand les habitants de l’Iqlim el-Kharroub ont commencé à pousser les hauts cris, nous avons réalisé qu’il ne s’agissait pas de remblais inoffensifs, poursuit-il. Toutes les municipalités de la fédération ont alors décidé d’interdire l’arrivée de ces camions sur leur territoire. Mais notre belle unité n’a pas vécu longtemps, et Sibline (aux confins de Barja et de Jadra) a fini par être choisie comme destination finale. » Pour lui, « ces remblais sont suspects en soi, ils proviennent d’un ancien dépotoir où toutes sortes d’ordures étaient jetées ». Il fait référence à des tests effectués par l’AUB à la demande des autorités et qui, selon lui, montrent qu’il y a des métaux lourds. Il souligne à cet égard ne pas en connaître les taux. Interrogé sur la question, Akram Chéhayeb, président de la commission parlementaire de l’Environnement, nous fournit lui-même les résultats du rapport de l’AUB tels que fournis par le ministère de l’Environnement. Selon lui, « ces analyses montrent que la majeure partie de ces résidus est formée de remblais, avec une part de plastique et un peu de verre ». Cependant, le rapport fait état de la présence de métaux lourds comme le chrome, le nickel, le zinc ou le cadmium. Toutefois, M. Chéhayeb insiste sur le fait que « ces résidus proviennent d’un tri effectué dans le dépotoir, et ils ne présentent aucun danger, sans compter qu’ils ont plus de trente ans et ne dégagent donc plus d’odeur ». Solidere avait déjà fait état des mêmes informations dans ses communiqués. M. Chéhayeb ajoute que le ministère de l’Environnement a formé un comité de suivi qui supervisera la préparation du site pour recevoir les tonnes de résidus. Ce comité est formé de quatre experts du ministère. M. Chéhayeb explique que le choix du lieu, une carrière désaffectée, s’inscrit dans la logique de réhabilitation des carrières, prônée par le ministère de l’Environnement. « Quand les résidus seront étalés sur les paliers de la carrière, ils seront ensuite recouverts d’un demi-mètre de terre et plantés », précise-t-il. Interrogé sur les nappes phréatiques et sur la possibilité de leur pollution au cas où les résidus sont placés en-dessus, M. Chéhayeb a assuré qu’il s’agit « de déchets inertes ne représentant aucun danger, surtout avec l’installation de la couche isolante ». Et d’ajouter : « Il faut préciser que l’eau souterraine de cette zone est effectivement polluée, mais elle l’était déjà avant toute cette affaire, puisque les eaux usées de tous les villages des hauteurs s’y déversent sans aucun traitement. » Écologie ou politique ? Le député fait également état de la politisation de cette question par les forces de l’opposition. « Ce sont les proches de (l’ancien député) Zaher el-Khatib et le Hezbollah qui ont amplifié le problème », estime-t-il. Mais d’un autre côté, ne trouve-t-il pas légitime que la population se rebelle contre l’arrivée d’une aussi grande quantité de résidus dans leur région, quels qu’ils soient ? « En effet, mais il existe des garanties », dit-il. M. Saad pense lui aussi qu’il y a eu politisation de l’affaire, mais qu’il n’en est nullement responsable. « Ce n’est pas un secret que j’appartiens à la Jamaa Islamiya, mais il faut rappeler aussi que ce parti est proche des forces du 14 Mars, révèle-t-il. Mon argument est purement écologique. Mais ce sont eux (nos adversaires) qui nous lancent des accusations, alors que nous savons que le terrain sur lequel se trouve la carrière appartient au député Walid Joumblatt. Son bloc parlementaire cherche-t-il à nous éloigner de lui par ces actions ? D’ailleurs, j’aurais moi-même préféré qu’il n’y ait pas eu d’exploitation politique de cette question, ni par les forces du 8 Mars ni par le 14 Mars, mais c’est trop tard maintenant. » Pour lui, ce sont les pressions politiques qui ont rendu impossible la création d’un front commun des municipalités de la région. Que se passera-t-il à partir de là ? « La catastrophe s’est produite, nous n’y pouvons rien, mais nous allons vérifier quand même que la protection nécessaire sera assurée sur le site », affirme M. Saad, ajoutant qu’il est soutenu par les habitants qui appartiennent à différentes formations politiques, et qu’ils resteront tous vigilants. Il est approuvé par Khalifé Serhal, membre du conseil municipal de Daraya (bientôt son président), qui souligne qu’il observe ce qui se passe sur le site. Pour ce qui est des autres déchets itinérants, la polémique reste vive, comme celle qui a opposé récemment le responsable des relations extérieures du Courant patriotique libre (CPL), Gebrane Bassile, à Solidere. Le premier avait assuré que des déchets jetés dans un terrain à Batroun proviennent eux aussi du Normandy, alors que la société dément cette affirmation. Quoi qu’il en soit, cette affaire soulève un problème de taille, qui est celui de l’incapacité (ou faudrait-il dire l’indifférence) des autorités autant que des compagnies privées à gérer ce dossier, faisant peu de cas de la santé des gens, privilégiant les solutions rapides et peu coûteuses, et faisant preuve d’un remarquable manque de transparence.
Des déchets « orphelins » dont personne ne veut reconnaître la paternité qui se baladent dans les régions… Décidément, dans ce pays, on aura tout vu. L’affaire de ce qui est connu sous le nom des « déchets du Normandy » (un scandale itinérant entre les villes et les villages, se traduisant par un ballet, souvent nocturne, de camions chargés de détritus), a connu...