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Actualités - CHRONOLOGIE

Histoire - La région compte quelque 2,3 millions d’habitants divisés en 34 groupes ethniques La fragile richesse linguistique des montagnes du Daghestan

Il fait bon vivre à Koubatchi, dans la République caucasienne russe du Daghestan. L’air y est pur, la vue splendide et un savoir-faire ancestral en orfèvrerie garantit le plein-emploi. Mais pour les quelque 2 000 habitants de ce village de montagne, vivre dans cette partie du monde a aussi sa part d’inconvénients, et notamment celui de ne pas comprendre un traître mot de ce que disent les habitants de la localité la plus proche. «La langue que nous parlons, le koubatchi, est incompréhensible pour les habitants de Darguinsk. Et c’est seulement à cinq kilomètres d’ici », explique Magomed Akhmedov, 35 ans, qui dirige la fabrique d’orfèvrerie du village. Le Daghestan, une région en grande partie rurale de l’est du Caucase russe, a l’une des plus importantes concentrations de langues au monde, entre 30 et 70 au total, sur un territoire plus petit que l’Écosse. Ses quelque 2,3 millions d’habitants sont divisés en 34 groupes ethniques qui utilisent le russe comme langue véhiculaire depuis la conquête de la région par les armées du tsar en 1859. Bon nombre des langues locales peuvent donner des sueurs froides à tout étudiant qui a déjà été confronté aux déclinaisons, explique le linguiste Iounoussov Abdoul-Raman. Ainsi, le lak, langue parlée par 5 % de la population, possède le nombre impressionnant de 56 cas. À titre de comparaison, le russe, une langue souvent réputée difficile, n’en a que six. Mais même le lak se fait coiffer au chapitre des déclinaisons. Le tabassaran, parlé par quelque 95 000 habitants du sud de la république, peut se vanter d’avoir 62 cas. « C’était dans le Livre Guinness des records. Ce sont des langues extrêmement difficiles », souligne M. Abdoul-Raman. Comme beaucoup d’autres langues du Daghestan, le koubatchi n’est pas une langue écrite et n’est pas enseigné à l’école. Il a survécu grâce au même mélange de géographie et de liens sociaux étroits qui au fil des siècles a préservé la tradition d’orfèvrerie. Contrairement à la Tchétchénie voisine qui a été bouleversée par la déportation de toute sa population en 1944, les villages de montagne du Daghestan ont été largement épargnés par l’ingénierie sociale soviétique. Non seulement le nombre de langues – qui dépend surtout de la distinction faite entre dialecte et langue –, mais leur diversité fascine les spécialistes. Il y a bien sûr des langues autochtones caucasiennes, mais aussi d’autres d’origine turque, mongole, grecque. Les Tats, une ethnie de 18 000 âmes qui habite près de Derbent, continuent de parler un dialecte persan vieux de plus de mille ans. Mais ce que 70 ans de régime soviétique n’est pas arrivé à éroder est aujourd’hui menacé par le rayonnement de la culture occidentale. Ainsi la langue darguine, proche du koubatchi, est enseignée à l’école, mais subit la rude concurrence du russe et, de plus en plus, de l’anglais. « Pour vous dire la vérité, nous enseignons mieux l’anglais que notre propre langue », affirme Darji Kourvan, directeur d’une école de village. « Une bataille est en cours pour la survie de ces langues », soutient le journaliste Magomed Chamiliev, lui-même membre de l’ethnie majoritaire avare. La radio et la télévision locales diffusent des émissions en 14 langues, mais avec la migration de la population rurale vers les villes, les langues des plus petits groupes sont menacées de disparition. Alors que le russe est langue officielle, « il n’y a pas de loi pour protéger les langues menacées de disparition », regrette M. Chamiliev. Prié de dire quelques mots de bienvenue en koubatchi, le directeur de la fabrique d’orfèvrerie hésite avant de prononcer une phrase entremêlée de mots russes. « Il passe trop de temps en ville », dit en riant un employé. Embarrassé, Akhmedov répète la phrase, cette fois sans se tromper. « Il y a un risque que ces langues disparaissent, reconnaît-il, mais nous les conservons dans nos cœurs. »
Il fait bon vivre à Koubatchi, dans la République caucasienne russe du Daghestan. L’air y est pur, la vue splendide et un savoir-faire ancestral en orfèvrerie garantit le plein-emploi. Mais pour les quelque 2 000 habitants de ce village de montagne, vivre dans cette partie du monde a aussi sa part d’inconvénients, et notamment celui de ne pas comprendre un traître mot de ce que disent...