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Actualités - OPINION

La commémoration du génocide arménien Les assassins de la mémoire Vatcheh NOURBATLIAN

Le 24 avril reste une date marquée au fer rouge dans le calendrier arménien. Journée nationale du souvenir et de la commémoration solennelle du génocide de 1915 initié par le gouvernement des Jeunes Turcs pour « solutionner » définitivement la « question arménienne », cette date rouvre chaque année une plaie béante et saignante, une cicatrice physique et psychique gravée dans la chair vive et la mémoire collective d’un peuple victime du délire homicide du panturquisme, massacré sur place dans des « vilayets-abattoirs » ou déporté par centaines de milliers de ses terres ancestrales. Pour se retrouver finalement pris au piège des déserts de la Mésopotamie. Ou pour se faire engloutir dans les sables brûlants de la Syrie. Quatre-vingt douze années plus tard, loin de reconnaître la réalité de ce génocide impuni et au lieu d’accomplir un travail de mémoire et d’assumer ce crime imprescriptible contre l’humanité, la Turquie contemporaine, héritière directe et légitime de l’Empire ottoman, persiste et signe : à l’Europe qui lui demande de reconnaître le génocide avant d’intégrer l’UE, elle rétorque que celui-ci constitue un mythe fabriqué de toutes pièces, et que loin d’en être victimes, les Arméniens auraient commis eux-mêmes des « massacres » et des « atrocités » contre les « Turcs innocents ». Pour étayer leurs thèses, les dirigeants turcs ont naturellement recours à la vieille stratégie des menaces de rupture de liens avec les pays ayant reconnu la réalité ou l’historicité de ce génocide ainsi qu’aux bons et loyaux services de mercenaires de la pensée négationniste. En attendant que le temps fasse lentement mais sûrement, sur la mémoire, son travail d’érosion. Spécialiste du négationnisme, c’est-à-dire de l’occultation des faits et de la réécriture sur commande de l’histoire, ignorant royalement les témoignages des survivants, des journalistes, des missionnaires ou des diplomates en poste dans l’Empire ottoman, ainsi que les archives des divers gouvernements, le négationniste voudrait que le génocide, cet « objet-événement » agaçant et menaçant, se banalise, se fragmente, devienne illisible et à la limite presque imperceptible, en faisant en sorte que ce qui est arrivé réellement se présente comme s’il ne s’était jamais produit. Diluant la réalité de faits avérés dans un clair-obscur ou un flou dans lequel le bourreau sanglant et la victime ensanglantée, le boucher et la proie désignée sont renvoyés dos à dos, le négationniste apparaît comme le champion de la contrevérité historique, comme le maître de la désinformation et comme l’avocat ou le défenseur privilégié de l’impunité. Il se présente surtout comme un tueur tentant d’assassiner la mémoire de ce premier génocide, ou « nettoyage ethnique », du siècle, étatiquement planifié et systématiquement procédé, que Moussa Prince appelait « l’arménocide ». Cette entreprise négationniste, qui croit qu’il suffit de mentir ou de manipuler les données pour balayer les souvenirs d’un passé recomposé, semble pourtant être irrémédiablement vouée à l’échec. C’est que la mémoire du génocide a la peau dure : en dépit du temps qui passe, comme le veilleur de nuit qui refuse de déserter sa place, elle tient sa permanence. Mémoire lancinante et à la limite obsédante, qui s’entête, qui s’accroche, qui ne parvient pas à se détacher de cet « objet-événement » lointain et fantomatique que devient le génocide et que l’acharnement négationniste ne parvient plus à effacer ou à refouler en dépit de tous ses tours de passe-passe intellectuels, et de son pseudo-prestige « académique » ou « scientifique ». C’est qu’un temps d’oubli forcé ne peut effacer la mémoire et la dénégation, appuyée ou cynique, ne peut camoufler la réalité et le cauchemar. À la fois blessure et réveil, réminiscence et arme de combat, stratégie et choc des idées, soif de justice et lutte pour la vérité, conjoncture du présent et vestiges du passé, rencontre irrégulière de consciences et scènes d’horreur revécues à l’infini, la mémoire du génocide apparaît comme cette présence existentielle de l’impensable, toujours vivante, toujours souffrante, revendicatrice et dérangeante, qu’on ne peut éviter, fuir, étouffer ou ignorer. Il faut qu’on se le dise : à l’aube du troisième millénaire, du renforcement continu des prérogatives de l’ONU et des institutions internationales, les menaces d’État et les remises en question douteuses et intéressées de la réalité des génocides ne sont plus de mise, ne sont plus permises. Toutes ces «pressions politiques » de la part de la Turquie et les exercices de haute voltige négationniste ne peuvent provoquer dans le meilleur des cas que la condamnation des nations civilisées et au pire l’indignation des hommes de bonne volonté. Il faut qu’on se le redise : loin d’exorciser ou de solutionner magiquement la « Question arménienne », le chantage et la négation ne peuvent que l’exacerber. En fait, ce qu’il faudrait à ce génocide impuni, ce ne sont plus des menaces ou des chantages diplomatiques, mais des chants et des actes de repentance politiques. Ce qu’il faudrait surtout à ce génocide impuni, ce ne sont plus des signes de « dénégation » et des tentatives de refoulement hystériques, mais des gestes de réconciliation et de « reconnaissance » historique. Dr Vatcheh NOURBATLIAN Professeur à l’UL Ambassadeur du Liban Article paru le Mardi 24 Avril 2007
Le 24 avril reste une date marquée au fer rouge dans le calendrier arménien. Journée nationale du souvenir et de la commémoration solennelle du génocide de 1915 initié par le gouvernement des Jeunes Turcs pour « solutionner » définitivement la « question arménienne », cette date rouvre chaque année une plaie béante et saignante, une cicatrice physique et psychique gravée dans...