L’industrie du cosmétique bio, une activité lucrative et très étrange

Les fabricants de cosmétiques bio battent tous les records de ventes, mais restent farouchement attachés à leur organisation et leurs méthodes à part, inspirées du mouvement de pensée du docteur Rudolf Steiner, l’anthroposophie. Selon le cabinet de conseil BBE, le marché des produits de beauté bio pèse environ 770 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Et il croît de 18 % en moyenne par an, un chiffre à faire pâlir d’envie les géants des cosmétiques, L’Oréal en tête. Leader mondial sur ce segment, le suisse Weleda a vu ses ventes grimper de près de 30 % ces cinq dernières années pour culminer à 183,1 millions d’euros l’an dernier. Sur la même période, le numéro deux mondial, l’allemand Dr Hauschka, a fait encore mieux, avec une multiplication par deux du chiffre d’affaires, à 75 millions. Principal secret de cette croissance exponentielle, le secteur profite d’un effet de mode spectaculaire. Les stars de Hollywood Julia Roberts, Jennifer Aniston ou Madonna ont toutes craqué pour les produits Dr Hauschka ou Weleda. Elles le font savoir régulièrement dans les magazines féminins, élargissant d’autant le cercle des amateurs des soins de santé naturels. « C’est incroyable. Il y a vingt ans, nous étions encore une marque pour écolos hippies, vendue à côté des pommes de terre dans les boutiques bio. Et aujourd’hui, nos relais sont Vogue et Elle », s’étonne le porte-parole de Dr Hauschka, Antal Adam. Portée par l’engouement général pour les produits naturels et la sensibilité croissante aux questions d’environnement, la vague bio a encore de beaux jours devant elle, selon les analystes. D’autant que le secteur dispose encore d’un gros potentiel, puisqu’il ne pèse que 7,5 % du marché des produits de beauté. Malgré l’explosion des ventes, Dr Hauschka et Weleda cultivent une mentalité à part. Les deux sociétés sont issues de la doctrine ésotérique de Rudolf Steiner, inspirateur au début du siècle d’une nouvelle philosophie, l’anthroposophie, visant à réconcilier l’homme et la nature. Aujourd’hui, ce mouvement de pensée imprègne les deux groupes à tous les étages. Dr Hauschka produit dans son propre jardin les plantes utilisées pour ses produits de beauté en suivant scrupuleusement les règles de l’agriculture biodynamique telles qu’elles ont été élaborées par le Dr Steiner. Les plantes doivent pousser sans engrais et en épousant le cycle des saisons. Et les téléphones portables sont proscrits pour ne pas perturber le développement des végétaux. Le siège social de Dr Hauschka, à Bad Boll, dans le sud-ouest de l’Allemagne, n’a pas d’angles droits, mais uniquement des courbes, à l’intérieur comme à l’extérieur, « pour une meilleure intégration au cosmos ». Chez Weleda, la direction est un peu plus souple avec les principes de l’anthroposophie. Mais elle organise gratuitement des cours de méditation et d’expression corporelle pour les salariés. « Il ne faut pas se tromper. Nous sommes juste un peu baba cool et absolument pas une secte », note Susi Lotz, porte-parole de Weleda, qui précise que « l’anthroposophie est une école de l’ouverture vers l’extérieur pas un mouvement d’exclusion et de repli sur soi ». Pour mieux diffuser sa doctrine, Dr Hauschka refuse de vendre dans les supermarchés et sélectionne soigneusement son réseau commercial. « Notre pensée et notre démarche ont besoin d’explications, c’est pour cela que nous sommes présents seulement dans les boutiques bio et les pharmacies », justifie le porte-parole de Doktor Hauschka. En attendant, les salariés peuvent se frotter les mains. Organisée en fondation, Dr Hauschka réinvestit les bénéfices qu’il dégage. Mais le reste est réparti entre les 600 employés de l’entreprise. Morgan HAMON (AFP)