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Actualités - OPINION

Gages d’avenir Amine ASSOUAD

Ce qui attriste le plus dans l’actuelle montée des extrêmes et les levées en masse des troupes partisanes dans chaque camp, c’est la légèreté du discours politique chaque fois qu’il faut justifier par des arguments une ligne de conduite ou une décision. On sombre alors dans une amère surenchère, dans l’arrogance et la démagogie; on profère des invectives et le pire c’est que la base suit. Le bourrage de crânes ayant fonctionné parfaitement, on reprend les mêmes discours au niveau populaire sans savoir pourquoi, et quiconque ne prend pas parti pour tel ou tel zaïm est incrédule. C’est en tout cas l’image déstabilisante que nous ont offerte à la télévision il y a peu les responsables estudiantins des différents courants politiques. À les entendre parler, on croirait entendre les zaïms eux-mêmes. Désormais c’est la voix du maître partout qui prévaut, tantôt feinte, tantôt claire, qui est répétée, avec ou sans conviction intime, qu’importe puisqu’il faut qu’elle soit véhiculée, et la propagande bat de l’aile. Mais ce que l’on ne veut pas avouer, au-delà des stratégies et des points que l’on marque ici ou là, démission des ministres chiites, adoption du projet statutaire du tribunal international sur fond de tiraillements entre puissances internationales, manifestations et contre-manifestations, c’est que nous vivons une crise institutionnelle dans laquelle l’État, toujours relégué derrière le fait communautaire, a du mal à surmonter ses propres contradictions. On ne sait plus s’il faut gouverner par les strictes règles de la démocratie, essentiellement la majorité, que celle-ci soit multiconfessionnelle ou non, ou faire primer l’autre balance du pouvoir au Liban, à savoir l’entente tacite entre les communautés, et donc réintégrer forcément au sein du cabinet les ministres démissionnaires du Hezbollah et d’Amal. D’un bout à l’autre, l’État libanais n’aura été que la victime d’une absence de choix d’acteurs communautaires en mal de contrat social, en voulant rallier à la fois et sans précision aucune, les préceptes démocratiques avec notre expérience bâtarde du système consociatif. Les gouvernements qui ont été formés ont ainsi chacun tenté d’ajouter aux traditions politiques libanaises ce que le texte constitutionnel ne mentionne pas, et de replâtrer au jour le jour là où l’on apercevait une faille, souvent avec une aide extérieure et donc des occupations étrangères diverses, alors que c’est l’édifice tout entier qu’il fallait reconstruire, sur la base d’un nouveau contrat social, surtout après l’écroulement total des institutions à la veille de 1975. Le confessionnalisme politique, voulu d’abord par les auteurs de la Constitution de 1926 au sein du Sénat, s’est vite transposé à la Chambre après la fin de l’expérience bicamérale en 1927. Désormais, un député élu dans sa circonscription, pour la communauté à laquelle il appartient, doit représenter le peuple libanais dans son intégralité. Une idée ingénieuse, inspirée d’une sorte de fédéralisme fonctionnel, pour réduire autant que possible les tensions communautaires, les élections étant disputées à l’intérieur de chaque communauté et non entre elles. En réalité c’était mal percevoir combien le fait communautaire est prégnant. Ainsi, pour soulager les craintes des uns et des autres lorsqu’il s’agit de nominations, a-t-on étendu le confessionnalisme politique, au-delà des trois présidences et de la Chambre, par les textes ou la pratique, aux hauts fonctionnaires, puis partout au sein de l’administration. Contrairement à ce que d’aucuns pensent, le confessionnalisme politique n’a été ainsi conçu que pour émousser les méfiances communautaires. Plus celles-ci ont été grandes, plus on a eu besoin d’aller dans les détails du dosage communautaire au sein des institutions. C’est encore la raison pour laquelle on a introduit la garantie du tiers de blocage au sein du Conseil des ministres. La majorité devant être timorée dans une démocratie consensuelle, fallait-il accorder une procédure de blocage à la minorité, qui participe ainsi du gouvernement et s’applique aussi aux affaires de l’État ? Le concept, poussé à l’extrême par les contradictions libanaises, du « ministre opposant », est ainsi né, faisant du gouvernement non une équipe homogène, issue des rangs d’une majorité parlementaire mais un Parlement second, avec en son sein une minorité et une majorité, où les ministres votent, où l’on se bloque et s’allie selon les circonstances, pour faire passer telle ou telle décision. Comment alors comprendre le refus de Fouad Siniora de concéder le tiers de blocage au Hezbollah et à Amal, minoritaires au sein de l’actuel cabinet, malheureusement couverts politiquement par le parapluie chrétien de Michel Aoun, et qui plus est, sont dépositaires incontestablement de la légitimité chiite ? La réponse repose plus sur des évidences de fond que sur la forme. Faut-il rappeler ici que la révision de la Constitution, permettant la reconduction d’Emile Lahoud, s’est faite dans le respect des procédures légales, et que ce n’est que l’opportunité politique, et donc le fond, qui a déterminé l’anticonstitutionnalité de l’acte du Parlement ? Ainsi, Samir Geagea n’a pas tort lorsque, voulant défendre son camp, il affirme que, théoriquement, la frontière démarquant la minorité de la majorité au sein du gouvernement n’est pas forcément figée, immuable, et que celle-ci peut changer selon l’ordre du jour. Mais au train où ont évolué les divisions entre le 8 et le 14 mars, incompatibles constants depuis plus de deux ans, c’est désormais une ligne de partage rigide qui s’est installée au gouvernement. C’est alors encore une fois l’opportunité politique qui justifiera la fin de non-recevoir opposée par la majorité aux revendications de tiers de blocage. Hassan Nasrallah se prévaut d’avoir avisé ses interlocuteurs durant les premières négociations de la Place de l’Etoile de sa volonté de reprendre les opérations contre Israël. Cependant, pourquoi les ministres chiites n’ont-ils pas demandé, conformément à la Constitution, l’approbation des deux tiers des membres du cabinet pour décider d’une guerre qui a pris en otage le pays entier ? Pourquoi les ministres chiites ont-ils suivi une longue politique de chaise vide après l’assassinat de Gebran Tuéni ? Pourquoi l’idée du tiers de blocage n’a-t-elle pas été négociée lors de la formation du gouvernement ? Pourquoi s’est-elle posée, et même imposée par une sorte de coup d’État camouflé par des rassemblements populaires et les slogans bateaux de Michel Aoun sur la laïcité, à la veille de l’adoption du projet statutaire du tribunal chargé de juger les coupables dans le meurtre de Rafic Hariri ? Si le tiers de blocage est institutionnellement le gage de la minorité au gouvernement, il ne devrait être accordé politiquement à l’actuelle minorité, seule partie encore armée et véritable État dans l’État, qu’à la condition que celle-ci offre elle aussi, à tous les Libanais, des gages quant à leur avenir. On ne concédera ainsi le tiers de blocage au Hezbollah et à Amal que s’ils souscrivent au bon déroulement de la justice internationale dans l’affaire Hariri, et les autres assassinats, pour ne pas laisser un ultime crime impuni, et au respect du monopole de la violence légitime, exclusive et répondante de la souveraineté de l’État libanais, qui passe irrémédiablement par le désarmement du Hezb, et par un retour à l’armistice de 1949, préfigurant la neutralité de l’État libanais affirmée dans Taëf. Article paru le Lundi 25 Décembre
Ce qui attriste le plus dans l’actuelle montée des extrêmes et les levées en masse des troupes partisanes dans chaque camp, c’est la légèreté du discours politique chaque fois qu’il faut justifier par des arguments une ligne de conduite ou une décision. On sombre alors dans une amère surenchère, dans l’arrogance et la démagogie; on profère des invectives et le pire...