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Actualités - OPINION

portrait Lucky, interprète irakien miraculé renié par les siens

« Lucky » (veinard), c’est le surnom de l’interprète irakien Omar Satar Hussein qui a survécu, selon son décompte, à 37 fusillades, 30 explosions de bombes et 11 obus de mortier. Mais en travaillant pour l’armée américaine, il a aussi tout perdu : famille, fiancée et amis. «Shooter », « Charlie », « 84 » : chaque interprète porte sur son uniforme le surnom qu’il s’est choisi. « Moi, ce sont les autres qui ont commencé à m’appeler comme ça. Oui, j’ai de la chance dans mon travail. J’ai survécu à beaucoup de choses... Mais dans ma vie personnelle, j’ai tout perdu », raconte « Lucky ». Alors que ses collègues portent des masques pour éviter d’être reconnus, Lucky œuvre à visage découvert. « Tout le monde à Baaqouba sait que je bosse pour les Américains. Mon grand-père m’a répudié de la famille. Je n’ai plus rien. La seule chose que j’ai, ce sont les États-Unis », explique-t-il, les yeux perdus dans ses souvenirs. Originaire de Baaqouba, au nord de Bagdad, où il travaille avec la 25e division d’infanterie américaine, Lucky a appris les bases de l’anglais à l’école, mais surtout grâce à de vieilles cassettes de musique : Abba, Bryan Adams, Lionel Richie et les Bee Gees, dont sa chanson préférée n’est autre que Staying Alive. « C’est ça en ce moment l’Irak », rigole-t-il. « Quand Le Parrain est arrivé en DVD de contrebande, j’arrivais à dire à mon père tout ce que disait De Niro. C’est là que j’ai compris que je parlais anglais », se souvient-il. Lucky a commencé par faire des petits boulots pour les GI dès 2003. « À cette époque, tout le monde aimait les Américains. Mais en 2004, tout le monde s’est mis à les détester. On m’a traité d’espion. Mon grand-père m’a dit qu’il fallait que je choisisse entre la famille et les Américains. Il m’a renié. J’aime mon père, ma mère et mes frères, mais je ne les vois plus », regrette-t-il tristement. Sa fiancée, dont le père a été tué pendant la guerre, l’a quitté et ses amis irakiens l’ont abandonné. « Parfois, tu fais ce qu’il faut faire, mais les gens te détestent. C’est ce qui m’arrive », résume-t-il. Ses jours de congé, il les prend sur les bases ou dans les stations balnéaires pour soldats dans le Golfe. Les interprètes irakiens, particulièrement visés par les insurgés qui les considèrent comme des traîtres et des collaborateurs, paient un lourd tribut à la guerre. Le meilleur ami de Lucky, Samer (« 84 »), est mort lors de l’explosion de son véhicule. Lucky a survécu à 30 de ces attaques. L’une d’elles lui a valu les honneurs militaires : seule personne valide après la déflagration, qui a tué un des soldats avec qui il voyageait, Lucky a porté secours aux deux autres, qui ont ensuite pu être transportés à l’hôpital. Lucky connaît bien les hôpitaux américains, il dévoile des cicatrices qui vont de la tête aux pieds, dont une marque à la jambe causée par les éclats d’une bombe lancée par un Apache américain. « Si j’avais été moins chanceux, je serais sans doute mort », estime-t-il sous le regard de nombreux soldats qui ont déjà entendu son histoire à plusieurs reprises. Un peu cabotin, Lucky est un des rares interprètes à parler couramment anglais, dont il maîtrise particulièrement l’argot et les jurons américains. Ses collègues viennent régulièrement le consulter pour traduire les tracts distribués par el-Qaëda sur les marchés ou les annonces que l’armée américaine veulent faire aux habitants. « Il est vraiment bon », confirme le lieutenant-colonel Morris Goins, dont Lucky est l’interprète attitré. L’espoir de Lucky, c’est désormais de bénéficier du programme de naturalisation mis sur place par les Américains pour certains interprètes ayant bien mérité sur le terrain : « J’ai envoyé toutes les lettres de recommandation et j’espère que cela va marcher. C’est tout ce qui me reste. » Patrick FORT/AFP
« Lucky » (veinard), c’est le surnom de l’interprète irakien Omar Satar Hussein qui a survécu, selon son décompte, à 37 fusillades, 30 explosions de bombes et 11 obus de mortier. Mais en travaillant pour l’armée américaine, il a aussi tout perdu : famille, fiancée et amis.
«Shooter », « Charlie », « 84 » : chaque interprète porte sur son uniforme le surnom...