Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

PERSPECTIVE Le CPL face à ses alliés conjoncturels

L’heure, à l’évidence, est au déchaînement des passions. Mais cela ne devrait tout de même pas nous empêcher d’engager une réflexion rationnelle, calme, sereine, sur la situation nouvelle, manifestement créée sous l’impulsion de l’axe irano-syrien. Force est de relever, à l’ombre d’une telle situation, que le rôle du général Michel Aoun dans le contexte présent suscite un débat fiévreux. Certains points seraient bons à clarifier, d’entrée de jeu, pour situer convenablement ce débat dans son véritable contexte et faire équitablement la part des choses. Accuser le courant aouniste d’être devenu « pro-syrien » reviendrait non seulement à simplifier un peu trop les choses, mais surtout à porter un jugement injuste sur ce plan. Les militants du CPL ont été, pendant de longues années, aux côtés de ceux des Forces libanaises, des Kataëb de Samy Gemayel et du PNL, à l’avant-garde de la lutte contre l’occupation syrienne, notamment sur les campus universitaires. Cela, il ne faudrait pas l’oublier par respect et par égard pour ces jeunes. Et plus récemment, alors que le divorce était déjà consommé entre l’alliance du 14 Mars et le courant aouniste, celui-ci a apporté la preuve tangible de son non-alignement sur la Syrie en votant, à titre d’exemple, contre la levée de l’immunité parlementaire de Walid Joumblatt dans l’affaire des poursuites judiciaires engagées par Damas contre le leader du PSP, au printemps dernier. Aujourd’hui encore, il suffit d’engager un dialogue avec les ténors du Bloc parlementaire du changement et de la réforme ou avec certains responsables et cadres du CPL pour réaliser que leurs sentiments et leur attitude vis-à-vis de la Syrie ou encore leurs sérieuses réserves à l’égard du Hezbollah n’ont pas changé d’un iota. Parallèlement, force est de relever, malheureusement, que le général Aoun a été bel et bien frappé d’ostracisme par la plupart des forces du 14 Mars. Dès le retour d’exil, en mai 2005, plusieurs indices et comportements montraient clairement que le chef du CPL était indésirable, pour des considérations électorales, clientélistes et bassement politiciennes (et l’on semble être retourné présentement à un inadmissible et impardonnable combat de coqs entre les grands leaders maronites du pays). Cet ostracisme a atteint son apogée avec la grossière erreur commise par la majorité lorsqu’elle a tenu à l’écart du gouvernement de Fouad Siniora le bloc aouniste alors qu’il venait d’être mandaté par une très large majorité de l’électorat chrétien. Il reste que l’ensemble de ces réalités ne justifie pas pour autant de faire, objectivement, le jeu de la Syrie au Liban. Dès la formation du cabinet Siniora, Damas n’a pas tardé à annoncer la couleur en multipliant les embûches sur la voie du nouveau pouvoir (la première mesure ayant été la fermeture des frontières terrestres) et en menant une campagne haineuse contre Fouad Siniora. Les attaques des dirigeants et de la presse de Damas contre le chef du gouvernement et les forces du 14 Mars n’ont jamais cessé et le président syrien Bachar el-Assad a déclaré publiquement et explicitement à plus d’une reprise (notamment dans un discours devant l’Assemblée du peuple) que son objectif est d’obtenir aussi bien l’éviction de Fouad Siniora que le déboulonnement de la majorité issue de la révolution du Cèdre. La motivation des Syriens sur ce plan est double : se venger des fractions que ont mené l’intifada de l’indépendance et tenter de réintroduire leurs acolytes locaux au sein d’un nouveau gouvernement, d’une part, et torpiller le tribunal international, d’autre part. En menant campagne comme il le fait depuis plusieurs mois contre Fouad Siniora et la majorité et en descendant dans la rue pour obtenir le départ du gouvernement, le général Aoun a repris à son compte la même cible que celle du régime syrien, même si ses motivations sont différentes. Le chef du CPL mène ainsi aujourd’hui un combat sur un terrain qui n’est pas le sien mais celui de Damas et du Hezbollah. Sur ce terrain, ce sont le parti chiite et le régime syrien qui sont les plus forts, qui ont l’initiative, qui mènent le jeu car ce sont eux qui ont le plus de moyens (logistiques, financiers, humains, médiatiques, de renseignements etc.). Sur ce terrain, le CPL ne peut pas faire le poids. Il sera rapidement débordé, voire marginalisé, dans le feu de l’action et sous le poids du noyautage des services syriens. Si la cible commune est abattue (Fouad Siniora et le gouvernement), les motivations du courant aouniste, parce qu’elles sont différentes de celles de ses alliés actuels, ne pèseront pas beaucoup dans la balance. Pourquoi la Syrie et même le Hezbollah feraient-ils confiance au général Aoun alors qu’ils savent pertinemment bien que ses députés, ses responsables, ses cadres et sa base populaire n’ont pas modifié leurs convictions et ont toujours la même sensibilité ? Lors de la révolution du Cèdre, les forces du 14 Mars ainsi que le CPL avaient un même agenda, un même objectif stratégique : mettre fin à l’occupation syrienne et rétablir l’indépendance politique du Liban ainsi que l’autonomie de décision de son pouvoir central. Aujourd’hui, le CPL, le Hezbollah et le régime syrien se sont fixé une même cible ponctuelle mais ont chacun un agenda, un objectif stratégique, totalement différent l’un de l’autre. À moins qu’il n’y ait des non-dits inavouables dans « l’entente » entre le général Aoun et le Hezbollah (éventualité à ne pas écarter), si la cible commune est évincée, le chef du CPL se retrouvera rapidement débordé par la dynamique puissante et les moyens importants du tandem syro-iranien. On ne le répètera jamais assez : les expériences passées de René Moawad et Samir Geagea ont montré que lorsque l’on joue sur le terrain syrien, une seule et unique alternative se présente à court terme : se soumettre aux quatre volontés du véritable meneur de jeu (donc accepter d’être un nouveau Émile Lahoud), ou être rapidement éliminé de la scène. Le danger sur ce plan est bien réel, en dépit des affirmations de certains cadres aounistes qui affirment que la Syrie n’est plus en mesure d’opérer un come-back au Liban dans les circonstances présentes. Certes, un retour de l’armée syrienne en territoire libanais n’est pas envisageable. Mais il ne faut pas se leurrer. Le danger réside non pas dans un come-back militaire, mais plutôt dans une nouvelle infiltration politique au sein même du pouvoir exécutif par le biais des suppôts libanais du régime syrien. Ce dernier ne laissera sûrement pas passer l’occasion unique que la fronde actuelle lui offre et ne manquera pas de se réintroduire au sein du gouvernement grâce à la complicité d’un président de la République qui lui est resté fidèle. Ce n’est pas un hasard si les alliés les plus loyaux de Damas, à l’instar de Abdel-Rahim Mrad et Wi’am Wahhab, ont rejailli à la surface à la faveur de la campagne déclenchée contre Fouad Siniora, le gouvernement et la majorité. Parallèlement, les incidents survenus ces dernières quarante-huit heures à Beyrouth, qui ont été marqués par l’arrestation de fauteurs de troubles syriens, mettent en évidence la nature du come-back sur lequel risque de déboucher le mouvement déclenché par l’opposition. Si l’on ajoute à ce spectre d’une « revanche syrienne » la dimension purement iranienne d’un renforcement accru du Hezbollah, dans le sillage de la tentative de coup de force en cours, il ne serait pas difficile de réaliser qu’à force de jouer avec le feu, on finit très souvent pas se brûler les bras. Michel TOUMA
L’heure, à l’évidence, est au déchaînement des passions. Mais cela ne devrait tout de même pas nous empêcher d’engager une réflexion rationnelle, calme, sereine, sur la situation nouvelle, manifestement créée sous l’impulsion de l’axe irano-syrien. Force est de relever, à l’ombre d’une telle situation, que le rôle du général Michel Aoun dans le contexte...