Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

commentaire La guerre contre l’opium de l’Afghanistan Par Antonio Maria COSTA*

Une ombre plane sur le sommet de l’OTAN qui se tient actuellement à Riga : celle de l’opium afghan. Le commerce de l’opium, qui brasse des milliards et des milliards de dollars, est au cœur du malaise et menace de faire retomber le pays entre les mains de terroristes, d’insurgés et de criminels. James Jones, commandant suprême de l’OTAN, a en effet qualifié cette drogue de « talon d’Achille » de l’Afghanistan. La récolte record de cette année – 6 100 tonnes – générera plus de 3 milliards de recettes illicites, soit près de la moitié du PIB. Les profits des trafiquants de drogue en aval seront vingt fois plus importants. L’argent de l’opium corrompt l’ensemble de la société afghane. Les connivences en haut lieu permettent d’acheminer des milliers de tonnes de précurseurs chimiques nécessaires à la fabrication de l’héroïne. Des convois armés transportent librement l’opium brut à travers le pays, et il arrive même que des véhicules de l’armée et de la police soient impliqués. Armes à feu et pots-de-vin sont là pour veiller à ce que les camions puissent franchir les points de contrôle sans problèmes. Les opiacés traversent donc librement les frontières de l’Iran, du Pakistan et d’autres pays d’Asie centrale. En graissant la patte des autorités locales, les riches propriétaires peuvent cultiver leurs champs d’opium sans être inquiétés. Les grands trafiquants ne sont jamais jugés car les juges sont soudoyés, ou encore, intimidés. Les hauts fonctionnaires obtiennent leur part du gâteau, soit en récoltant une partie des recettes, soit en recevant des bakchiches en l’échange de leur silence. Certains gouverneurs de province et autres fonctionnaires poussent le vice jusqu’à être eux-mêmes de gros bonnets de la drogue. Il est donc à craindre qu’une coalition nuisible d’extrémistes, de criminels et d’opportunistes ne s’empare du pouvoir afghan et de sa société, asphyxiée par l’opium. La toxicomanie prend de l’ampleur là-bas. Les pays voisins qui ne servaient auparavant que de voies de transit sont désormais d’importants consommateurs d’opium et d’héroïne. La toxicomanie intraveineuse propage le VIH/sida en Iran, en Asie centrale et dans l’ex-URSS. Les autorités sanitaires d’Europe occidentale devraient se préparer à une hausse du nombre de décès par overdose : compte tenu de l’abondance des récoltes de cette année, les doses d’héroïne seront beaucoup plus pures. Que peut-on faire ? Tout d’abord, il est crucial de lever le voile de la corruption en Afghanistan. Les gens en ont assez des magnats arrogants et bien armés qui vivent dans des palais et conduisent de luxueuses limousines Mercedes, dans un pays où la quasi-totalité de la population doit survivre avec moins de 200 dollars par an et où à peine 13 % possèdent l’électricité. Il est temps que le gouvernement afghan dénonce et mette à la porte les fonctionnaires corrompus, appréhende les grands trafiquants et les propriétaires de champs d’opium et saisisse leurs biens. Des aides ont permis de former des agents de police et des procureurs, de construire des tribunaux et des centres de détention. Il incombe désormais au gouvernement d’utiliser le système judiciaire pour imposer l’État de droit. Il sera toutefois difficile, mais pas impossible, de restaurer la confiance dans l’administration centrale – par exemple, en commençant par envoyer les gros trafiquants derrière les barreaux de la nouvelle prison de haute surveillance de Pul-i-Charki, près de Kaboul. Bien entendu, l’Afghanistan n’est pas seul responsable de cette situation désespérée. Le trafic d’héroïne ne connaîtrait pas un tel essor si les gouvernements occidentaux luttaient sérieusement contre la consommation de drogue. L’ironie, c’est que les pays d’origine des soldats qui risquent leur vie en Afghanistan sont aussi les plus lourds marchés d’héroïne afghane. En outre, il est indispensable que les pays voisins de l’Afghanistan fassent davantage pour empêcher les insurgés, les armes, l’argent et les précurseurs chimiques de traverser les frontières du pays. Les forces de coalition doivent adopter une méthode plus efficace et partir du principe que la lutte contre l’insurrection et la lutte contre les stupéfiants sont les deux facettes du même problème. L’éradication du trafic d’opium ne peut se faire sans le renforcement de la sécurité et de l’État de droit. En effet, les trafiquants opèrent en toute impunité et peuvent à leur guise récolter l’argent servant à payer les armes et les soldats qui combattent l’armée afghane et les forces militaires de l’OTAN. Le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé la Force internationale d’assistance à la sécurité à prendre toutes les mesures nécessaires pour remplir sa mission. Les troupes de l’OTAN devraient avoir le feu vert pour venir en aide à l’armée afghane dans sa lutte contre l’opium – pour détruire les laboratoires de fabrication d’héroïne, dissoudre les marchés d’opium, prendre d’assaut des convois et traduire les gros trafiquants en justice. Mais pour cela, il faudra des moyens adaptés. Il est inutile de tenter de gagner le cœur et l’âme des caïds de la drogue. Pour les cultivateurs, l’histoire est différente. Un arrêt forcé de leur activité pourrait les pousser vers les extrémistes – ce qui ne réglerait pas définitivement le problème et produirait même l’inverse des effets escomptés, comme on l’a vu dans certains pays des Andes. Sécurité et développement doivent aller de pair. Il est donc indispensable d’accroître l’aide au développement de l’Afghanistan. Jusqu’ici, le soutien international a été généreux, mais toujours en deçà des fonds versés à d’autres pays après un conflit majeur – et les besoins sont en l’occurrence beaucoup plus importants. Les cultivateurs ne seront sevrés de l’opium à long terme que si leurs moyens d’existence sont durables. Pour le moment, les gros narcotrafiquants d’Afghanistan prospèrent et les communautés rurales souffrent. Il est essentiel de renverser la vapeur en punissant les trafiquants et en récompensant les cultivateurs. Nous ne pouvons échouer en Afghanistan. L’histoire récente est une preuve parlante de ce qui pourrait arriver. Mais pour améliorer la situation du pays, il faudra immanquablement éliminer l’opium. * Antonio Maria Costa est le directeur général de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. © Project Syndicate, 2006. Traduit de l’anglais par Magali Decèvre
Une ombre plane sur le sommet de l’OTAN qui se tient actuellement à Riga : celle de l’opium afghan. Le commerce de l’opium, qui brasse des milliards et des milliards de dollars, est au cœur du malaise et menace de faire retomber le pays entre les mains de terroristes, d’insurgés et de criminels. James Jones, commandant suprême de l’OTAN, a en effet qualifié cette drogue...