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Au Masrah al-Madina : « Le palais de la reine » de Chantal Thomas Brillantes variations autour de l’emprise d’une mère

Tout d’abord ce texte ! Éblouissant, fourmillant de vie, de malice, d’invention, de clins d’œil aux spectateurs. Un texte énergique, débordant d’un esprit corrosif et fantaisiste, mené tambour battant, pour une brillante tragi-comédie qui, sans fléchir, avec un incroyable naturel, soutient un rythme alerte et endiablé. Le palais de la reine de Chantal Thomas sobrement et ingénieusement mis en scène par Alfredo Arias (en même temps campant le rôle du fils tyrannisé) met à nu sous les feux de la rampe, sans concessions ni complaisance, l’ambiguïté du couple mère-fils. Un monde cruel où, entre onirisme sordide et réalité grinçante, la femme érige un empire absolu sur les faiblesses et la mollesse de sa progéniture. Un monde où le mal est dénoncé par un bain moussant et jouissif de mots. De mots non sans une certaine poésie, un humour noir, un déballage indécent tordant le cou aux conventions établies et qui se traduit par un rire franc, nerveux et incoercible… Dans un décor minimaliste (une table, des chaises, un mannequin en cire, quelques accessoires comme un foulard, un chapeau, un manteau, des lunettes…), presque tout en noir, sauf cet écran en fond de scène qui transcrit la traduction en arabe du magnifique texte français aux phosphorescences intarissables, évoluent, pour trois personnages, deux comédiens au-dessus de tout éloge. Dans un éclairage un rien crépusculaire… Le fils, l’épouse et la mère. Trio explosif et infernal. Tout est allègrement et joyeusement programmé pour l’élimination, au sens figuré et propre, de l’intruse, de l’étrangère, de celle qui veut supplanter la « génitrice » mauriacienne… Trame simplissime de cette pièce où tout est dans la manière de voir et de dire les choses. Caricature, ironie, dérision, cocasserie font ici non seulement un mariage parfait, mais un tabac ! Eh, quoi de plus banal et prosaïque que deux jeunes gens qui se marient sous le regard jaloux d’une belle-maman prête à tout pour récupérer son rejeton ? Invention verbale et jeu virtuose Prix Femina 2002 pour Les Adieux à la reine, il s’agissait alors de cette chère Marie-Antoinette décapitée, une vraie reine et non de Raymonde l’immonde qui jette à tout hasard le grappin sur le biquet de sa maman, Chantal Thomas a un rapport sérieux sous des allures fantasques, flamboyant, de vrai dramaturge, avec les feux de la rampe... Un verbe délirant, presque luxuriant dans sa frénésie, qui se ramifie comme un arbre immense dont l’ombre et la fraîcheur acide revigorent et tonifient les spectateurs. Par un temps caniculaire où le goudron se décolle des chaussées, Patrick, les bras chargés d’une cagette de cactus, se réfugie dans un bar. Et le voilà pris dans les rets de la serveuse Raymonde au nez de Pinocchio qui prépare une thèse sur La femme chez André Gide (!). Docile, ce jeune homme un peu simplet plonge dans sa conjugalité avec de frileux émois de baigneur effarouché… Risible mariage car le couple fils-mère est imbattable, indissociable. Lente mais sûre, la suppression de cette intellectuelle indésirable est inéluctable. Ni les vacances à la plage, ni les petits plats amoureusement mitonnés, ni la pince à linge pour arrêter le ronflement la nuit ne sauraient sauver la vie à cette malheureuse adepte des petits bonheurs tranquilles et sans histoires. Et c’est sur sa tombe que les deux maudits tourtereaux font agape légère en enviant même la vue qu’elle a pour l’éternité… Époustouflante cette énergie du désespoir où l’invention verbale et le jeu virtuose des acteurs sont constamment entre bouffonnerie et absurde dérision. La comédienne Marilù Marini qui campe à la fois la victime et le bourreau est saisissante dans ses métamorphoses, ses gestes emphatiques ou rentrés, ses accents hispanisants sophistiqués, son look de bas-bleu paumé, avec un zéro pointé pour ses connaissances sur le sexe. Avec son turban et ses poses pétrifiées, elle rappelle la dame de Copi qui est restée longtemps aux vitrines des pages du Nouvel Observateur avec ses propos délicieusement désabusés, son sourire narquois, ses poses comiquement alanguies et lymphatiques. Alfredo Arias, mari falot et gringalet plus porté aux jupons de sa mère, lui donne la réplique, avec verve et un bagout d’enfer où la sottise est sœur de la candeur des faibles et des faux naïfs... C’est sous une ovation bien méritée, avec un public bien nombreux grâce à une merveilleuse jeunesse qui a bravé les aléas de la rue en ces temps de sombre pronostic, que s’est close la dernière réplique : « Il faut s’arrêter maintenant, maman. » Un régal de texte, dans sa férocité, son ingéniosité verbale, sa stridence musicale, ses éclats incendiaires et un vrai moment de bonheur pour une performance d’acteurs exceptionnels, amusants et profonds. Edgar DAVIDIAN
Tout d’abord ce texte ! Éblouissant, fourmillant de vie, de malice, d’invention, de clins d’œil aux spectateurs. Un texte énergique, débordant d’un esprit corrosif et fantaisiste, mené tambour battant, pour une brillante tragi-comédie qui, sans fléchir, avec un incroyable naturel, soutient un rythme alerte et endiablé. Le palais de la reine de Chantal Thomas sobrement...