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Actualités - OPINION

IMPRESSION Le retour du dragon

Huit portraits. Plus un. Neuf sourires débonnaires, neuf regards ardents que nous n’oublierons pas. Autant de vies meurtries ou carrément fauchées. Marwan, Rafic, Bassel, Élias, Georges, Samir, May, Gebran, Pierre. Par neuf fois, ils ont fait saigner nos cœurs et couler nos larmes. Le deuil, dit-on, est une longue dislocation de l’âme qui commence par une phase de rancune. Et combien nous en sommes encore à vous maudire parfois ! D’avoir comme lâché prise, laissé les coudées franches à la fatalité, de n’avoir pas pris ce jour-là les précautions qui s’imposent et, pour la plupart, de n’avoir pas averti de votre départ, que sais-je, d’être tout simplement partis, nous laissant en plein désarroi. Rancune pour cet élan d’amour subit qui nous pousse éplorés aux portes des hôpitaux où gît votre souffrance, qui nous aligne aux côtés de vos familles, pâles de leur pâleur, crispés sur leur douleur, serrant en pensée vos sœurs, vos épouses et vos mères, soutenant vos pères, vos frères, enlaçant vos enfants. La veille encore, vous nous étiez presque inconnus. Par un cruel paradoxe, la mort vous restitue et nous donne en partage ce corps de chair qu’une trop longue fréquentation de la télévision réduit à un phénomène de lumière et de son. Après la rancune vient la tristesse, la mélancolie, le goût de rien. Le vide dévore l’espace, et tout est dépeuplé. Pour nous, le peuple des places, c’est l’angoisse qui prendra le dessus. Un monstre sévit sur la ville comme aux temps très anciens où le dragon de saint Georges hantait Beyrouth. Les légendes ont toujours un fondement. Celui-là réclamait tous les jours son tribut de sang neuf. Le nôtre se repaît de la lignée spirituelle de Rafic Hariri. Il condamne pour délit d’opinion. Ou bien cherche-t-il à briser par le sang le cercle de feu qui déjà le brûle ? Qu’en savons-nous. C’est d’abord un tueur. Existe-t-il au monde un gouvernement, et peut-être un Parlement plus menacés que les nôtres ? Comment vit-on, comment exerce-t-on sa fonction, comment trouve-t-on le sommeil, comment se déplace-t-on, comment préserve-t-on sa famille et ses amis quand un contrat est ouvertement signé sur votre peau ? D’autres jetteraient l’éponge. Un hommage s’impose, vibrant, à ceux qui jouent leur vie dans cet engagement. Et qui persistent et s’obstinent en puisant leur courage au sacrifice de leurs pairs. Et qui essuient tour à tour sarcasmes et menaces, pour enfin quoi ? Une couronne de chrysanthèmes ou de laurier flétri ? Mais ni l’un ni l’autre. C’est à nouveau le défi du dragon qui les porte. Des bras sacrés guident leurs javelots. Fifi ABOU DIB

Huit portraits. Plus un. Neuf sourires débonnaires, neuf regards ardents que nous n’oublierons pas. Autant de vies meurtries ou carrément fauchées. Marwan, Rafic, Bassel, Élias, Georges, Samir, May, Gebran, Pierre. Par neuf fois, ils ont fait saigner nos cœurs et couler nos larmes. Le deuil, dit-on, est une longue dislocation de l’âme qui commence par une phase de rancune....