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Actualités - REPORTAGE

Le secteur de la microfinance a été durement touché par la guerre « Prêteurs d’espoir » : le temps de l’entraide

Nous avons tous pu admirer le sourire de Mohammad Yunus, propriétaire de la Grameen Bank, apprenant qu’il vient de recevoir le prix Nobel de la paix. Dans son pays, le Bangladesh, son institution a déjà donné à plus de 6,5 millions de personnes, sous forme de microcrédits, une chance de monter une petite entreprise et de sortir de la pauvreté. En accordant le prix Nobel de la paix à une « banque des pauvres », le jury entendait attirer l’attention du monde sur le lien direct qui existe entre le développement économique et la paix. La véritable paix, pas celle qui est seulement absence de guerre. Un lien qui faisait dire, si justement, au pape Paul VI, à la tribune de l’ONU, que le développement est « l’autre nom de la paix ». Le prochain sommet du microcrédit qui se tiendra au Canada devrait bénéficier de cette publicité pour faire avancer une cause juste par excellence. En accordant son prix, le jury du Nobel entendait dire, aussi, que le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté, si évident que cela paraisse, est la croissance économique liée à la solidarité sociale. Mohammad Yunus n’est pas un inconnu au Liban, puisqu’il y a deux ans, il recevait un doctorat honoris causa de l’AUB. Mais y a-t-il fait école ? Existe-t-il, au Liban, des « prêteurs d’espoir » de sa trempe ? Tout est, bien entendu, une question d’échelle. Le Liban n’est rien, géographiquement ou démographiquement, comparé au Bangladesh. Mais comme le Bangladesh, comme beaucoup d’autres pays émergents, le Liban lutte contre la pauvreté, et il s’y trouve des îlots de misère extrême contre lesquels il est plus qu’urgent de s’attaquer. Toutes sociétés de microcrédit réunies, le Liban compte une dizaine d’associations d’importance très variable, pratiquant ce genre de prêt, qui peut varier de quelques centaines à 6 000 dollars, prêtés à des taux inférieurs à ceux que l’on trouve dans le secteur bancaire. Les emprunteurs sont évalués à quelque 20 000 personnes. C’est peu, sans être négligeable. Compte tenu du fait qu’un emprunteur fait vivre, en moyenne, quatre personnes, c’est bien une centaine de milliers de foyers qui sont ainsi touchés par cette forme de crédit. Sachant par ailleurs que 95 % des entreprises au Liban sont de petite taille, employant entre un et cinq employés. L’impact de la guerre Comme tous les autres secteurs, celui du microcrédit a été affecté par la guerre. Une rapide enquête auprès des entreprises le montre. Les exemples se prennent dans toutes les régions, et non seulement celles qui ont été directement affectées par la guerre, précise Léna Sayad, de l’Association d’entraide professionnelle (AEP). À Addousieh, dans la région de Saïda, zone refuge durant les hostilités, un horticulteur a dû jeter au feu sa production florale, qui a jauni sur pied, faute de pouvoir être arrosée, protégée du soleil puis écoulée ; dans la banlieue de Beyrouth, un tailleur a perdu son atelier et ses machines ; dans la Békaa, un petit patron a perdu sa maison et son épicerie ; à Jbeil, un pêcheur a perdu ses filets englués de mazout. Al-Majmoua et Ameen, les deux principales institutions de microcrédit au Liban, en termes de portée et de volume, enregistrent une augmentation très significative de leurs portefeuilles à risque, après la guerre. En moyenne, ce pourcentage passe de 2 % à… 49 %. Il va de soi que, face au malheur, la solidarité et l’entraide s’imposent. Indispensable en temps normal, cette solidarité est aujourd’hui une priorité absolue pour sortir le Liban de la récession et du marasme. Toutes les banques, on l’aura noté, ont lancé des campagnes d’affichage dans lesquelles elles proposent leurs services pour la reconstruction, le redémarrage des petites entreprises, la relance de la consommation. À leur exemple, les sociétés de microcrédit relancent leurs services, sans avoir les moyens financiers nécessaires pour une campagne publicitaire. Mais le souci social étant, par principe, prioritaire dans le microcrédit, ces parabanques pourraient se retrouver, dans certains cas, face à des problèmes de viabilité, si les emprunteurs sont incapables de régler leurs créances : risques de faillite, accumulation des factures en attente, impossibilité d’actions en justice, nécessité d’accorder des prêts sans intérêts, rééchelonnement des dettes. De ce fait, plusieurs sociétés de microcrédit, elles-mêmes fragilisées, s’apprêtent à lancer des appels de fonds. Unis contre les usuriers L’État, qui n’a pas encore accordé un statut légal en bonne et due forme au microcrédit, a, au moins, obtenu du Conseil économique et social de la Ligue arabe, réuni à Beyrouth en octobre, la suspension provisoire, au bénéfice du Liban, de l’accord arabe de libre-échange et, donc, le rétablissement du calendrier agricole. C’est heureux, car le gros de la pauvreté au Liban se trouve concentré dans le domaine agricole. Pour combattre l’exploitation de leur pauvreté par les usuriers de tous acabits et mieux faire face aux distributeurs, certaines entreprises de microcrédit – comme l’ILDES de Boutros Labaki – aident leurs emprunteurs à s’organiser en syndicat. Avec l’aggravation des problèmes de pauvreté, visibles partout (transferts de l’école privée à l’école publique, ruée sur les dispensaires gratuits, assaut des bureaux d’emplois et montée du chômage), ces efforts de secours social doivent absolument se poursuivre. Il y a deux moyens de définir la pauvreté. La première est quantitative : sont pauvres les personnes qui vivent avec 2 dollars par jour. Pour des lecteurs francophones au Liban, ce chiffre est sans doute impensable, mais les familles qui se mettent à cinq pour réunir 300 dollars par mois – le smig – se comptent par milliers. La pauvreté se définit aussi, de manière relativement subjective, en fonction des besoins, eux-mêmes variables : nourriture, logement, santé, école, emploi. Là non plus, notre situation n’est pas enviable, surtout si à ces paramètres on ajoute l’espoir dans l’avenir. À ce titre, le Liban tout entier vit, en ce moment, bien en dessous du seuil de pauvreté. Heureux Mohammad Yunus. Heureux les « prêteurs d’espoir », ils seront remboursés avec la même monnaie. Fady NOUN
Nous avons tous pu admirer le sourire de Mohammad Yunus, propriétaire de la Grameen Bank, apprenant qu’il vient de recevoir le prix Nobel de la paix. Dans son pays, le Bangladesh, son institution a déjà donné à plus de 6,5 millions de personnes, sous forme de microcrédits, une chance de monter une petite entreprise et de sortir de la pauvreté.
En accordant le prix Nobel de la...