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Actualités - REPORTAGE

À proximité du camp de Aïn el-Heloué, une zone de non-droit en plein Saïda À Hay el-Taamir, les fondamentalistes menacent de « hacher l’armée en menus morceaux »

L’armée devrait se déployer prochainement à Hay el-Taamir, quartier de Saïda limitrophe du camp de Aïn el-Heloué. Peuplé majoritairement de Libanais et d’une importante minorité palestinienne (environ 20 % des habitants), ce secteur de non-droit est le théâtre de tiraillements politiques locaux, propres aux familles et aux clans de Saïda sur fond de fondamentalisme sunnite et de règlements de comptes entre divers services de renseignements libanais. Hay el-Taamir est un îlot d’insécurité, où des fondamentalistes armés de Jund el-Cham montent la garde à chaque coin de rue et où l’on règle ses comptes à coup de mitraillettes et de grenades à main. Il y a tout juste un an, des émeutes avaient éclaté à Hay el-Taamir. Il y avait eu quelques victimes et beaucoup de dégâts matériels. En un an, plus de dix personnes ont été tuées à Hay el-Taamir. Trois pour le seul mois d’octobre, dont un enfant de dix ans. Toujours durant ce mois, des accrochages ont opposé des fondamentalistes musulmans à des membres des services de renseignements libanais. Deux de ces derniers ont été pris en otages puis libérés. C’est qu’en un an, les fondamentalistes ont étendu leur pouvoir, faisant la loi dans ce quartier qui compte plus de dix mille habitants. Ces hommes, qui se promènent armés en plein jour, ont refusé hier le déploiement des soldats. La veille, les députés de Saïda, les responsables des factions palestiniennes et les dignitaires religieux de la ville avaient présenté une requête pour le déploiement de la troupe à Hay el-Taamir. « Nous hacherons les soldats en menus morceaux », lance un barbu, propriétaire d’une boucherie. « Nous allons les tuer tous. Ils sont des mécréants et nous sommes les fidèles », s’exclame un petit garçon, se promenant sur la chaussée. À Hay el-Taamir, les fondamentalistes clament – en pleine rue – leur haine de l’État « constitué de croisés » et menacent de « massacrer l’armée formée d’infidèles ». Au contraire, ceux qui attendent la troupe avec impatience gardent le profil bas. Ils parlent en chuchotant, tiennent à préserver leur anonymat, de peur des représailles. Ils veulent vivre en paix. Mais eux aussi accusent l’État d’être injuste, d’utiliser la politique des deux poids, deux mesures... Cocktail explosif Pour comprendre la situation à Hay el-Taamir, il faut remonter à 1992, quand l’armée s’était déployée à Saïda sans pour autant étendre son autorité jusqu’au secteur en question. À cette époque, les factions palestiniennes s’étaient engagées à préserver la paix dans cette zone limitrophe de Aïn el-Heloué et qui avait, depuis les années soixante-dix, prêté allégeance au mouvement nassérien de Moustapha Saad. Mais au fil des ans, d’autres forces sont apparues à Saïda. Et la famille Hariri a voulu installer son pouvoir dans ce quartier, notamment en distribuant des dons et en aidant une tranche de la population à trouver des emplois. Pour comprendre la situation à Hay el-Taamir, il faut surtout revenir au camp palestinien de Aïn el-Heloué, considéré souvent comme un îlot d’insécurité et où des hors-la-loi libanais, notamment des fondamentalistes sunnites de Tripoli, Akkar et Denniyé, ont trouvé refuge. Or, Hay el-Taamir est limitrophe du quartier Tawarek de Aïn el-Heloué, qui est peuplé d’intégristes. Mais il y a environ deux ans – après l’adoption de la 1559 et depuis que l’on parle du désarmement dans les camps –, les fondamentalistes palestiniens, qui ont été à plusieurs reprises au cours de ces dernières années à la base d’accrochages entre les factions à Aïn el-Heloué, ont préféré calmer le jeu. Ces intégristes, surtout Isbat al-Ansar d’Abou Mahjan, qui ont des liens avec el-Qaëda ont décidé de ne plus protéger les fondamentalistes libanais à l’intérieur du camp et les ont repoussés jusqu’à Hay el-Taamir. Parmi les intégristes de la zone, il faut aussi compter Jamaat al-Nour de Imad Yassine (dissident palestinien de Isbat al-Ansar) qui a quitté Aïn el-Heloué pour s’établir à Hay el-Sekké, zone limitrophe d’al-Taamir. Mais le mouvement fondamentaliste le plus important de Hay el-Taamir demeure le groupe Jund el-Cham, dirigé par un Libanais du groupe de Denniyé : Abou Ramez Ismaël. Ce sont surtout ses hommes – et quelques autres appartenant à Isbat al-Ansar et Jamaat al-Nour – qui font la loi depuis un an dans ce quartier de Saïda. Il faut ajouter à tout cela l’intervention de divers services de renseignements relevant de l’armée, des FSI, de la Sûreté générale, qui ne coordonnent pas entre eux et veulent chacun mesurer sa force sur le terrain. Se battre en Irak L’entrée du quartier se trouve juste derrière un barrage de l’armée, cible à plusieurs reprises d’attaques à la grenade revendiquées par Jund el-Cham. Un calicot donne le ton dès que l’on pénètre la zone : « La Oumma bénit le martyre du chef, de l’émir de cheikh Abou Mossab al-Zarqaoui. » Sur les murs criblés de balles, à cause de divers accrochages au cours de l’année écoulée, et entre des portraits collés pêle-mêle de Moustapha et Oussama Saad, de Rafic Hariri et de Hassan Nasrallah, on peut lire des invitations adressés à la Oumma, l’invitant au jihad et au martyr. Ces inscriptions n’enchantent pas bon nombre de citoyens, qui se plaignent. « Que le ministre de l’Intérieur vienne ici pour voir que les gens d’el-Qaëda se trouvent parmi nous », lance Khalil, un partisan du clan Saad, en désignant le calicot. En effet, tous ceux qui n’appartiennent pas aux groupes intégristes appellent « au déploiement de l’armée, même si l’État n’a pas toujours été équitable envers nous ». Ils parlent de familles entières qui ont quitté la zone pour fuir l’insécurité et évoquent les règlements de comptes qui se font en plein jour au beau milieu de la chaussée. Depuis que les accrochages ont commencé, l’année dernière, les habitants de Saïda évitent désormais cette zone de non-droit. « J’avais des clients chrétiens qui venaient téléphoner à l’étranger. Ils ne mettent plus les pieds chez nous », indique Tarek, qui a dans son magasin une sorte de « pay-phone ». Tarek, Khalil et les autres dénoncent « les repris de justice de tout le Liban qui deviennent des hommes de religion à Hay el-Taamir ». Ils évoquent aussi des hommes du quartier qui sont devenus hors la loi malgré eux. « Soupçonnés de crimes ou de délits, ils ne se sont pas présentés aux autorités concernées. Certains ont été jugés par contumace. Ils ont tout simplement peur de se rendre », raconte Khalil. Un peu plus loin, deux intégristes sunnites, portant barbe et calotte, armés de pistolets et de mitraillettes, montent la garde à un coin de rue. Ils parlent en souriant à ceux qui les interrogent. Ils se présentent comme « des fidèles de la Oumma », donnent très peu d’informations, refusent d’être photographiés et assurent que « l’armée ne pourra pas entrer à Hay el-Taamir. Elle perdra beaucoup d’hommes. Nous sommes prêts à nous battre », assurent-ils. Plus on s’engouffre dans le quartier, plus la présence des fondamentalistes devient importante. On apprend que 27 d’entre eux, habitant Hay al-Taamir, ont été condamnés par contumace à des peines de mort ou à perpétuité, que trois autres, originaires du quartier, sont morts au cours de l’année en Irak « en se battant contre l’armée américaine ». En l’espace de douze mois, trois Libanais et dix Palestiniens de Aïn el-Heloué ont péri en Irak. Ils y ont été emmenés par Abou Mahjan, le chef de Isbat al-Ansar. Beaucoup de Libanais de Hay el-Taamir, fondamentalistes ou non, auraient préféré vivre à Aïn el-Heloué, le camp palestinien le plus pauvre et le plus peuplé du pays. Ils expliquent : « Les réfugiés sont mieux traités que nous ; les factions palestiniennes veillent à la sécurité du camp et l’Unrwa met en place des projets de développement. Nous, au contraire, nous sommes livrés à nous-mêmes. » Khodr, condamné à mort par contumace, n’a peur de rien Il porte un pistolet autour de la taille. Il a les cheveux longs sous la calotte. Il arbore une barbe brune touffue. Il a 29 ans. Il est originaire de Saïda et habite Hay el-Taamir depuis six ans. Il avait été, il y a une dizaine d’années, condamné à mort par contumace. Il se présente comme étant « Khodr, un fidèle de la Oumma ». Il menace l’armée « d’importantes surprises si elle se déploie à Hay el-Taamir », s’exclamant : « Que les infidèles viennent. » Et si les soldats déployés dans la zone sont des sunnites ? « Ils travaillent chez les croisés et ils sont pires qu’eux », répond-il. Il évoque sans trop d’émotions son parcours et parle de ses rêves qui « se réaliseront quand la terre entière sera régie par la charia ». Khodr devrait faire peur, mais il donne un autre effet. Avec son grand sourire et ses yeux pétillants, il est attachant, comme un enfant espiègle. Khodr a quitté l’école quand il avait treize ans. Il a fugué pour être recueilli par un « groupe de fondamentalistes sunnites ». Il a rejoint ensuite les rangs du Hezbollah. La milice chiite le forme aux armes. Il prend ensuite part à des opérations au Liban-Sud. À seize ans, il participe aux affrontements avec Israël en 1993. Il se tourne ensuite vers la Jamaa islamiya. « Je me suis disputé avec le Hezb à cause des divergences entre les sunnites et les chiites », explique-t-il. Et Khodr ne peut pas s’empêcher de s’insurger encore contre « l’État des croisés qui protège les chiites ». « Ils portent des armes, ils ont des camps d’entraînement, ils ont créé un État dans l’État, ils ont entraîné tout un pays à la guerre contre d’autres mécréants et personne ne les a arrêtés, emprisonnés ou torturés. » « L’État ne s’en prend qu’à nous. Ces dernières années, il a exécuté deux sunnites (dont Abou Obeida en janvier 2004, fondamentaliste sunnite impliqué dans l’assassinat de trois soldats à Saïda). Il ne fait qu’arrêter et torturer des sunnites, qu’ils soient originaires de Saïda ou de Denniyé », dit-il, affirmant que « ces hommes sont uniquement interpellés parce qu’ils portent la barbe et parce qu’ils sont de bons musulmans ». Khodr lui-même a été arrêté en l’an 2000. Il se souvient du nom de ses tortionnaires, de leurs visages. « L’un d’eux, dit-il, a mis le feu à ma barbe avec son briquet. » « J’ai été torturé des jours durant. J’ai souffert... Ils m’ont relâché. Ensuite j’ai été condamné à mort par contumace pour avoir tué un mécréant qui traitait avec les sionistes », raconte-t-il. Où sont actuellement les tortionnaires de Khodr ? « Occupant les mêmes postes à la caserne de Saïda », répond-il, enchaînant : « Que l’armée libanaise vienne à Hay el-Taamir. Je l’attends et je lui réserve des surprises, et si j’ai sous la main mes tortionnaires, je les égorgerai. Je n’ai plus peur de rien : je suis déjà condamné à mort. » Khodr pense à sa fille âgée de sept ans, à sa femme enceinte qui a peur de l’avenir. Khodr par contre n’a peur de rien. Il a des armes et des munitions. « Je me battrai, et si je meurs je serai un martyr », assure-t-il. En fait, qui finance les armes les munitions et les divers entraînements ? Khodr regarde vers le ciel et s’exclame en souriant sachant qu’il ne convaincra pas son interlocuteur : « Allah. » Quelle autre vie aurait vécue Khodr s’il était né dans un quartier nanti de la ville, s’il avait été scolarisé, s’il n’avait pas été recueilli par les fondamentalistes, s’il n’avait pas été torturé en prison ? Patricia KHODER

L’armée devrait se déployer prochainement à Hay el-Taamir, quartier de Saïda limitrophe du camp de Aïn el-Heloué. Peuplé majoritairement de Libanais et d’une importante minorité palestinienne (environ 20 % des habitants), ce secteur de non-droit est le théâtre de tiraillements politiques locaux, propres aux familles et aux clans de Saïda sur fond de fondamentalisme...