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Actualités - OPINION

Entrevue Un professeur réputé de l’Université de New York dans la ligne de mire du lobby pro-israélien Propos recueillis par Émilie SUEUR

Aux États-Unis, la liberté d’expression n’est pas toujours une évidence. L’historien Tony Judt, directeur réputé du Remark Institute de l’Université de New York, en a fait l’amère expérience début octobre. Alors qu’il devait donner une conférence sur le lobby pro-israélien aux États-Unis au consulat de Pologne, M. Judt a été averti à la dernière minute que la discussion n’aurait pas lieu. « Le jour même de la conférence, Network 20/20 (un groupe de réflexion à l’origine de la rencontre) m’a appelé pour m’annoncer l’annulation de l’événement en raison des pressions exercées par l’Anti-Defamation League (ADL, une association pour la lutte contre l’antisémitisme) et d’autres sur le consulat polonais », explique M. Judt, interviewé par téléphone par L’Orient-Le Jour. Le président de l’ADL, Abraham Foxman, a pour sa part déclaré, dans les colonnes du New York Sun, qu’il avait été surpris par l’annulation de la conférence et ne l’avait pas demandée. Le fait est que la conférence n’a pas eu lieu et que Tony Judt semble être dans le collimateur de l’ADL. Ironie de l’histoire, ce Britannique de 54 ans, de confession juive, était, dans sa jeunesse, un militant sioniste. Avec le temps, les idées de cet intellectuel, qui est passé par le King’s College de Cambridge et l’École normale supérieure de Paris, ont évolué vers une critique de la politique menée par l’État hébreu. En 2003, il publiait ainsi un article dans lequel il appelait à la transformation de l’État juif en un État binational. Une faute impardonnable pour les défenseurs inconditionnels d’Israël. Le cas de Tony Judt n’est, en outre, que le dernier d’une longue liste. Un certain nombre de professeurs, critiques de la politique menée par l’État hébreu, ont vu les portes de grandes universités se fermer devant eux. Plus récemment, deux chercheurs, John Mearsheimer de l’Université de Chicago et Steven Walt, doyen de la Harvard Kennedy School, avaient relancé le débat avec la publication d’un essai de plus de 80 pages, dans lequel ils analysent l’influence du lobby pro-israélien sur la politique étrangère américaine. L’étude avait été mise en ligne sur le site Internet de Harvard, mais n’avait trouvé aucun éditeur américain. Elle a finalement été publiée, en avril, de l’autre côté de l’Atlantique, par The London Review of Books. Pour Tony Judt, la recrudescence des attaques du lobby pro-israélien contre des intellectuels peut être analysée de deux manières. « On peut penser que ces organisations se renforcent et deviennent plus agressives. Par le passé, elles n’auraient pas osé s’attaquer à une figure connue de New York, explique-t-il. On peut donc penser qu’aujourd’hui, elles sont plus sûres d’elles et de leur force pour faire taire les critiques. » M. Judt privilégie toutefois une autre approche. « À cause du débat autour de l’étude de Walt et Mearsheimer, des échecs de la politique américaine en Irak, des critiques formulées au sujet de la récente guerre contre le Liban, on peut aussi penser que le lobby pro-israélien est plus nerveux », explique-t-il. D’où des attaques moins discrètes. Aujourd’hui, un plus grand nombre d’intellectuels osent néanmoins, selon M. Judt, s’exprimer publiquement sur ce sujet. « Il est un peu plus facile aujourd’hui de commenter l’influence du lobby pro-israélien sur la politique étrangère américaine qu’il y a quelques années. Avant, nous étions systématiquement taxés d’antisémitisme... » explique M. Judt. D’ailleurs, dans la livraison de novembre de The New York Review of Books, Aryeh Neir, président de The Open Society Institute, prend la défense de l’ONG Human Rights Watch (HRW), attaquée par de multiples associations et taxée d’antisémitisme après la publication de son rapport sur la guerre entre Israël et le Liban. Dans ce rapport, HRW condamnait en effet les attaques israéliennes sans discrimination contre les civils au Liban. À noter que l’association a également vertement critiqué le Hezbollah. Plus globalement, M. Judt estime que cette petite ouverture est due avant tout au passage du temps. « Il est possible que nous ayons passé, ici aux États-Unis, le pic de l’obsession de l’Holocauste, de cette identification des juifs américains avec la Seconde Guerre mondiale. Dans dix ans, nous nous rendrons peut-être compte qu’aujourd’hui, nous étions à un tournant. Un moment-clé à partir duquel il est devenu permis d’aborder Israël comme n’importe quel autre pays, de critiquer cet État, et de porter un jugement sur son comportement et sa politique. » En attendant, M. Judt semble résolu à poursuivre son travail d’historien et d’intellectuel critique.
Aux États-Unis, la liberté d’expression n’est pas toujours une évidence. L’historien Tony Judt, directeur réputé du Remark Institute de l’Université de New York, en a fait l’amère expérience début octobre. Alors qu’il devait donner une conférence sur le lobby pro-israélien aux États-Unis au consulat de Pologne, M. Judt a été averti à la dernière minute que...