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Actualités - OPINION

Liban, été 2006

Comment parler de toi, Liban? Comment ne pas parler de toi? Comment dire l’intolérable souffrance devant une destruction mille fois reprise, chaque fois plus cruelle, plus violente, usant chaque fois des armes plus capables d’exterminer totalement le genre humain, de la pollution d’une terre qui crie à l’étouffement? Comment dire cette terre épuisée des blessures qui lui sont infligées? Comment trouver les mots pour dire ce carnage acharné, les corps ensevelis sous les bâtiments éventrés par les bombes à l’uranium appauvri, les corps mutilés par les bombes à fragmentation, les corps calcinés par les bombes au phosphore, toutes bombes made in USA, comment trouver les mots pour dire les pierres réduites en cendres, la mer transformée en lac de goudron, les poissons et les oiseaux empoisonnés, les enfants désespérément accrochés à leur mère dans leur dernier souffle. Comment dénoncer une force de résistance qui n’a foi que dans sa propre vision des formes de résistance, qui ne consulte personne, sans trahir cette résistance, sans trahir la cause des pauvres et des déshérités sur lesquels elle s’appuie? Comment affirmer une autre forme de résistance, celle de la non-violence active? Comment unir le pays sur la voie de la paix quand la plupart des pays proches sont investis par la seule logique de guerre? Comment donner voix aux forces de non-violence dans un monde qui ne connaît que la violence? Comment faire rejaillir la richesse multiple et conviviale des lieux de mon enfance? Et comment crier que cette pluralité, comme un manteau multicolore et soyeux, pourrait protéger des fanatismes? (...) J’aurais voulu crier au monde: «N’êtes-vous pas tous Libanais?» quand les maisons se sont effondrées sur les pauvres de Cana, de Dahyé et de Baalbeck, quand les centrales électriques ont sauté, quand les vieillards sont morts de faim, abandonnés dans la débâcle, j’aurais voulu crier: «Ne sommes-nous pas tous Libanais?» comme vous aviez crié et comme nous avions crié : «Nous sommes tous New-Yorkais» lorsque les tours se sont effondrées sur de malheureux New-Yorkais et que, comme aujourd’hui à Beyrouth, des fumées asphyxiantes ont obscurci le ciel. J’aurais voulu crier… Nul n’est là pour entendre, nul n’est là pour rapprocher ces misères du monde. Qui veut voir l’analogie? Le Liban est un pays minuscule par ses dimensions géographiques et pourtant si grand par son acceptation de la diversité! Cette diversité n’a pas de sens dans la vie internationale, seule compte la raison du plus fort, et qu’y a-t-il de plus fort que l’alliance USA/UK/Israël? Que veut Israël? Il n’a de cesse de détruire le Liban. Est-il si insupportable, ce Liban? Est-ce parce qu’il est parvenu à allier son extrême diversité à l’unité de communautés qui s’acceptent et se respectent, parce qu’il propose un modèle pour notre monde meurtri? (...) Et les femmes, les femmes? Femmes de Cana, femmes de Jenine, femmes de Baalbeck, femmes de Gaza, femmes de Rafah, femmes de Dahiyé, femmes de Bagdad, femmes de Fallujah, leurs règles parfois se sont arrêtées, elles saignent parfois jusqu’à la mort, comme me l’écrit Nadera de Palestine. Par leurs vies, elles disent le refus de la guerre et de la violence, le refus du destin de mort accroché à elles et à leurs enfants. Elles ont peur de ce monde de guerre, peur du machisme des hommes, qui les saigne jusqu’à la dernière goutte, peur d’enfanter des monstres qui perpétuent le carnage. Comment dessiller les yeux des hommes de ce monde quant à la possibilité d’un règlement non violent des conflits alors qu’ils en sont aujourd’hui la chair à canon? Et les femmes et les hommes de la Résistance civile, Ayse, Rasha, Huwaida, Samah, Wadih, Rania, et tous les autres, femmes et hommes courageux de partout accourus pour dire non à l’agresseur ; ils se sont réunis sur la place des Martyrs, pendant les bombardements, ils voulaient entamer une marche pour la paix vers le Sud, accompagnés de camions de vivres et médicaments, emportant des messages de résistance et de soutien aux populations martyres. On ne les a pas laissés passer mais leur message parviendra parce qu’il est dans le cœur de tous les Libanais qui croient en la paix! Depuis des temps immémoriaux, l’idée de la non-violence court dans l’imaginaire des peuples de cette partie du monde. La non-violence gandhienne sourd du même terreau où s’est nourri le martyre qui fut le moteur idéel de la Révolution iranienne. L’idée de martyre, grâce à laquelle les chiites iraniens ont fait plier la dictature impériale, était celle du témoignage par leur propre mort de la vérité et de la justice. C’était nier jusqu’à l’acceptation de la mort ce qui en soi fonde le pouvoir de l’oppresseur. C’était rendre publique l’illusion sur laquelle se fonde l’injustice, elle ne se perpétue que dans la compromission du citoyen ; le refus de la compromission désarme le pouvoir. Le pouvoir est impuissant devant la non-violence, et la non-violence a finalement raison de lui. Appel à qui veut l’entendre! Résiste, Liban! Résiste pour toi, pour nous et pour le reste du monde! Résiste! Nous sommes tous Libanais. Le pays du Cèdre est universel. L’esprit de paix abolit les frontières! Évelyne ACCAD Écrivain
Comment parler de toi, Liban? Comment ne pas parler de toi? Comment dire l’intolérable souffrance devant une destruction mille fois reprise, chaque fois plus cruelle, plus violente, usant chaque fois des armes plus capables d’exterminer totalement le genre humain, de la pollution d’une terre qui crie à l’étouffement? Comment dire cette terre épuisée des blessures qui lui...