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Actualités - OPINION

Sauver le quartier de Gemmayzé

Bonne nouvelle: Gemmayzé enfin protégé par un règlement d’urbanisme. Mauvaise nouvelle: dix projets de tours défigurant ce quartier en seraient exemptés! Cela ressemble à une de ces mauvaises blagues dont on ne crédite que les administrations des républiques bananières. Et pourtant! En raison de son intérêt architectural, du témoignage qu’il porte sur l’histoire de Beyrouth, de sa fréquentation très dense qui en fait aujourd’hui l’un des quartiers de loisirs les plus importants de la capitale, Gemmayzé constitue un lieu de résidence, de pratiques sociales et de consommation culturelle et économique qui en font un bien collectif auquel tiennent fortement ses habitants, ceux qui y possèdent leur logement et l’ensemble des citadins et touristes qui le fréquentent, mais aussi et de manière fortement croissante, les entreprises des secteurs de la restauration et du tourisme. Face à la menace de défiguration définitive que les projets de construction d’une dizaine de tours résidentielles font peser sur ce quartier, et en vue de protéger son caractère exceptionnel, le Conseil supérieur de l’urbanisme, en sa séance du 13/9/06, a prescrit un ensemble de mesures réglementaires visant à organiser la construction dans ce secteur de manière à respecter la forme urbaine qui le caractérise. Le nouveau règlement L’originalité des mesures prévues par ce nouveau règlement consiste dans le fait qu’elles ne réduisent pas a priori la possibilité de construire, c’est-à-dire qu’elles ne limitent pas les coefficients d’exploitation en vigueur (superficie constructible maximale par mètre carré de terrain), mais elles contraignent la forme du bâtiment à s’adapter à celle du quartier (plus faible hauteur et plus grande longueur). Ces mesures sont les suivantes: La première, qui constitue le mécanisme principal sur lequel repose cette nouvelle réglementation, consiste à rendre obligatoire l’élargissement de l’emprise au sol du bâtiment (surface occupée au sol par la base de l’immeuble), ce qui permet de réduire sensiblement sa hauteur: à titre d’exemple, au lieu d’une tour de 16 étages comportant un appartement de 500 m2 par étage, on devra édifier un bâtiment de 8 étages avec deux appartements de 500m2 par étage (il nous semble cependant indispensable que cette emprise soit fixée à une valeur supérieure à 75%. Le texte du CSU ne fixe pas explicitement cette valeur). Six autres mesures viennent compléter cette dernière: Le maintien du parcellaire existant: il est désormais interdit de fusionner deux ou plusieurs parcelles (la taille raisonnable des parcelles existant dans le quartier empêche la construction d’immeubles hors d’échelle). Les façades des bâtiments devront être construites à l’alignement de la rue, en vue d’en respecter le caractère existant (les reculs ne sont plus autorisés). Le traitement architectural devra s’harmoniser avec le caractère du quartier. L’étage de pilotis est interdit (la surélévation du bâtiment pour libérer le rez-de-chaussée n’est plus autorisée). Le bâtiment est soumis à une contrainte de gabarit (enveloppe volumétrique dans laquelle devra s’inscrire le bâtiment). La présentation d’une maquette du quartier permettant de juger de la bonne intégration de l’immeuble dans le tissu urbain est rendue obligatoire. Bien qu’elles constituent un compromis qui reste favorable aux propriétaires fonciers (ces règles ne comportent pas de limitation de la hauteur ni de réduction de la superficie constructible), ces mesures constituent un grand pas en avant en vue de la protection du caractère de l’ensemble historique du quartier Gemmayzé. L’exemption controversée des projets de tours Quelle consternation fut pour nous d’apprendre qu’après un an de mise du quartier sous étude ayant abouti au règlement salutaire de la DGU, ces mêmes projets de tours vont être exemptés du règlement en raison desquels il a été créé, d’autant plus qu’aucune tour de ce type n’existe encore dans ce quartier historique jusqu’ici miraculeusement préservé. Quelle image offriraient d’elles-mêmes ces institutions que sont le Conseil supérieur de l’urbanisme et le ministère des Travaux publics, quel degré de cynisme auraient atteint ceux à qui ces institutions ont été confiées s’ils devaient autoriser, d’une part, dix bienheureux propriétaires de terrain à élever des tours considérables en broyant le quartier, et imposer, d’autre part, aux autres citoyens des contraintes qui assureraient éternellement aux tours qui les surplombent une vue imprenable sur les maisons de leurs voisins spoliés? Quelle injustice scandaleuse sera faite aux 74 propriétaires de maisons à caractère historique qui, dans le secteur de Gemmayzé, ont été privés par le gouvernement depuis bientôt dix ans du droit de construire leurs parcelles, précisément au nom de la préservation du caractère de ce quartier! Un recours en Conseil d’État sera la conséquence logique et immédiate de toute décision d’exempter les projets de tours de l’application du règlement. L’argument avancé par les dix bienheureux pour avoir obtenu un passe-droit à la réglementation est que cette dernière les empêche de réaliser le projet pour lequel ils ont déjà acheté leur terrain. Or cet argument est fallacieux : le nouveau règlement les autorise à construire sensiblement les mêmes surfaces, mais sous une forme plus respectueuse de l’intérêt collectif. À titre d’exemple, quatre immeubles de huit étages et de grande qualité ont été construits à Gemmayzé par des promoteurs tels que la société La Constructa et ont connu un très vif succès. Ils ne bénéficient sans doute pas d’une vue sur la mer, mais d’une vue sur un quartier historique, à caractère architectural harmonieux et préservé, un miracle dans Beyrouth, et qui, comme toute chose de plus en plus rare, aura de plus en plus de valeur. Sauf si on y implante des tours. Habib Debs (architecte et membre de l’Apsad), Divina Aboujaoudé, Hana Alamuddine, Howeida al-Harithy, Georges Arbid, Fadlo Dagher Abdelhalim Jabre, Sany Jamal, Assem Salam, Grégoire Serof, Jade Tabet la Fondation du patrimoine, Omran, l’Apsad, Jacques Liger-Belair, Georges Khayat, Jean-Pierre Megharbaneh
Bonne nouvelle: Gemmayzé enfin protégé par un règlement d’urbanisme.
Mauvaise nouvelle: dix projets de tours défigurant ce quartier en seraient exemptés!
Cela ressemble à une de ces mauvaises blagues dont on ne crédite que les administrations des républiques bananières. Et pourtant!
En raison de son intérêt architectural, du témoignage qu’il porte sur l’histoire...