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Actualités - OPINION

Indépendance de vie

Mémorial de la déportation des juifs de France, en traversant le jardin qui mène au parvis Notre-Dame à Paris, une phrase de Saint-Exupéry est gravée sur la pierre : « Il n’y a pas de commune mesure entre le combat libre et l’écrasement dans la nuit. » L’écrasement, dans la nuit et le brouillard de millions de juifs par l’Allemagne nazie, qui est, depuis le procès Eichmann, au cœur de la psyché populaire israélienne et dont Israël véhicule encore plus le souvenir depuis qu’il a perdu en 1967 son statut d’État agressé. L’écrasement dans la nuit comme à Cana ou à Chiyah, l’écrasement sous les bombes de la banlieue sud, Bint-Jbeil et Debel, de ces régions autour de Tyr, devenues nouveau Guernica. L’écrasement qui témoigne qu’il n’est pas d’ultime victime, qu’un État né de l’injustice et la terreur peut tout aussi sombrer dans l’injustice, diaboliser son voisinage autant qu’il le méprise. L’écrasement qui reflète la différence, qui montre encore une fois que la politique, l’histoire en train de se faire, sont affaires d’hommes (ou de femmes), que Yitzhak Rabin ou Golda Meir n’auraient pas agi de la sorte, qu’Ehud Olmert et Shimon Peres ne sont pas Abba Eban. L’écrasement ou cette volonté de détruire, qu’elle soit préméditée ou instinctive, est à ce point exacerbée, qu’elle laisse très peu de place à la modération, à ces gens raisonnables qui, comme David Grossman en Israël, sont pris de court par la polarisation des positions et la montée irrésistible aux extrêmes. L’écrasement sous le poids des pertes financières, l’écrasement comme un monstre qui passe alors que rien n’était joué sur le terrain. L’écrasement dans le silence du sommeil d’un enfant, mais aussi dans le silence de la communauté internationale où la diplomatie a piétiné, où le sens s’est perdu, où l’on s’est prononcé à l’approximatif, comme pour donner plus de temps aux militaires pour finir leur travail, mais où le gouvernement libanais a pleinement assuré, en arrachant une sortie honorable au Hezbollah. Le pire, c’est l’écrasement que l’on refusait de voir venir, que l’on reniait, alors que le danger était là, qu’on croyait pouvoir éviter la guerre avec un État dans l’État, que l’armée ennemie se préparait depuis longtemps à l’offensive, et que l’on perdait son temps à sourire autour de la table de dialogue. Le Liban d’avant le 12 juillet, comme ce Liban issu de tous les marchés de dupes, de ces miroirs aux alouettes au Caire ou à Taëf, le Liban issu d’une révolution avortée, d’un printemps inachevé, trompé par la majorité dans sa première déclaration ministérielle, et dupé par le Hezbollah dans son document d’entente avec le CPL, où il était écrit, noir sur blanc, que la guerre et la paix concernent tous les Libanais, ne fait que perpétuer cette tare congénitale sur laquelle a reposé l’édifice étatique depuis l’indépendance. Le Liban de ces faux mariages entre zaïms qui paralysent l’État, le gangrènent, lui signifient son impuissance à résoudre nos contradictions et qui, par leur qualité d’orateurs hors pairs, nous emportent dans leurs aventures. Seigneur, combien les grands discours peuvent être dangereux ! « Quel est donc l’orateur qui parle en égal à des égaux ? » Ces orateurs, des cracheurs de dogmes plutôt, mus par leur volonté de puissance, la puissance au détriment de l’État, qui revendiquent toujours plus alors que l’État n’a plus rien. Alors que Fouad Siniora a pleuré dignement devant les ministres des Affaires étrangères arabes, s’apercevant combien il était pris en otage, combien l’écrasement était difficile à arrêter, à contenir, sinon à endiguer, mais qui est resté ferme, au nom de l’État justement, et pour tous ces Libanais qui, pris en tenailles par une guerre qu’ils n’ont pas voulu, par un conflit qui n’est pas le leur, rappellent encore leurs droits d’exister, de coexister. L’État ou la conviction des institutions, l’État parce que c’est le seul moyen, à défaut de pouvoir se réclamer des mêmes patrimoines spirituels et culturels, de prendre en main notre commun destin. L’État comme amour de la justice, seule capable de stabiliser un pays lorsque l’amour entre ses fils manque, lorsque la confiance est toujours mise à l’épreuve. L’État, indispensable pour empêcher que la divergence des intérêts et des représentations collectives ne dégénère en conflit violent. L’État, surtout pas l’État castrateur, l’État qui écrase d’une autre manière, à petit feu, l’État qui broie les libertés, qui assujettit les individus au nom de grands mots, qui les instrumentalise au nom d’un devenir prédéterminé, de la oumma, de la lutte contre l’ennemi, au nom de l’orateur, au nom de je ne sais plus quels noms. Ah si, au nom de l’honneur, encore un grand mot, l’honneur stérile, l’honneur de l’ignorant. L’État, pas l’État-Baas, pas l’État-Big Brother, mais l’État qui donne un autre sens à l’honneur, où celui-ci n’est pas toujours au bout du fusil. L’État qui place le droit à la vie, le droit au bonheur au-dessus de tout. Quelle cause est plus grande que la recherche du bonheur ? Chebaa peut-être ? Chebaa au prix d’un pays détruit ? Chebaa dont nous aurions dû négocier la restitution. Mais non ! il fallait toujours combattre, jusqu’à la énième génération. Combattre pour Maroun el-Rass, Khiyam ou Aïta el-Chaab. Combattre courageusement, il est vrai, mais combattre pour libérer des villages qui étaient libres. Voilà l’absurde d’une guerre dénuée de sens, caprice de princes. Combattre jusqu’à ce que l’armée intervienne, en attendant que celle-ci intercède en zone tampon, alors que l’on a essentiellement combattu l’envoi de l’armée au Sud. Combattre parce qu’il a fallu l’odeur de la mort, des cadavres, du béton brûlé, de la descente aux abysses, du pétrole, toujours lui, en marée noire cette fois, pour que l’on comprenne l’utilité véritable d’une armée. Maintenant que le Liban sort de sous les décombres, qu’il vient de découvrir aussi un autre Liban, celui des tunnels et des bunkers, comme un pays en dessous du pays, que le Hezbollah s’est lui-même dépouillé de ce qu’il lui restait encore de son aura sacrée de l’an 2000, il faudrait revenir aux premières intuitions de la liberté. Tirer pleinement les conséquences de nos mensonges et agir tranquillement pour cette acception de la liberté que l’on a souvent négligée, la facette individuelle de la liberté. Si État il doit y avoir, ce n’est pas pour rappeler aux Libanais, comme le veut Hassan Nasrallah, certains devoirs envers leurs pays, mais pour défendre le droit de chacun à vivre librement, comme il l’entend. Plus que la liberté collective et l’indépendance politique (encore faut-il que le pays soit occupé), l’aspiration de l’individu est à l’indépendance de vie la plus complète possible. Amine ASSOUAD
Mémorial de la déportation des juifs de France, en traversant le jardin qui mène au parvis Notre-Dame à Paris, une phrase de Saint-Exupéry est gravée sur la pierre : « Il n’y a pas de commune mesure entre le combat libre et l’écrasement dans la nuit. » L’écrasement, dans la nuit et le brouillard de millions de juifs par l’Allemagne nazie, qui est, depuis le procès...