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Je ne peux que prier maintenant, mais je jure devant Dieu de revenir

Je me sens vidée, sans énergie, je ne supporte plus les images, les informations, les discussions à propos du Liban. Ma peine, ma souffrance me ronge et je n’arrive pas à l’évacuer, à l’extérioriser. Voila des semaines que je suis à Paris. Je pensais pouvoir enfin dormir tranquille, à tête reposée, dans mon lit confortable. Mais mon cœur et ma tête sont restés là-bas. Dans ce Liban qui m’a tant donné, qui m’a permis de retrouver un équilibre, qui m’a fait goûter les délices du bonheur, de la joie, de la tranquillité. J’ai pris de lui, mais je n’ai rien donné. Je me sens lâche, égoïste, privilégiée et j’ai honte de ce privilège. J’aimerais pouvoir me regarder dans la glace quand j’entends ce qu’il se passe chaque jour. Au lieu de ça, je me terre dans mon trou, me bouche les oreilles, par faiblesse, car je n’arrive pas à accepter la situation, alors je lutte contre ma souffrance, je lutte contre moi-même. Et j’essaie tant bien que mal de me donner bonne conscience en me disputant avec chaque militant pro-Israël, en déclarant haut et fort mon amour et mon attachement a cette terre. Mais concrètement, où suis-je ? À Paris, à traîner d’une manif à l’autre… Certains me diront, mais qu’est-ce que tu peux faire ? Te battre au front ? Non ! Alors protège-toi, sauve-toi, reconstruis-toi ailleurs en attendant que ça se calme. Alors, nous avons tous fui, nous la diaspora libanaise, moi qui ai habité à Paris 23 de mes 26 ans, et qui suis rentrée à Beyrouth il y a 8 mois avec pleins d’étoiles dans les yeux… On avait du mal à me croire quand je disais que je préférais vivre à Beyrouth plutôt qu’à Paris ou n’importe où dans le monde. Que dans son désordre, dans son anarchie, son éclaboussante énergie me permettait de me sentir vivante, de me sentir exister. J’étais rentrée parce que dès que je fermais les yeux, je voyais le coucher du soleil sur la mer et sentait l’odeur de Jbeil, entendais les klaxons des taxis de Beyrouth… Dès que je fermais les yeux, je sentais la peau de ma grand-mère et les baisers de ma tante. Dès que je fermais les yeux, je voyais la beauté rayonnante de Notre-Dame du Liban, avec les cloches des églises qui résonnent aux alentours. J’entendais le bruit des grillons et me sentais en sécurité devant la beauté et le calme de ces collines, caressées par le soleil. Je riais des manières des femmes oisives ainsi que celles des gens très simples, mais je me retrouvais dans chacun d’eux : je les aimais, ils étaient tous ma famille, mes racines. J’avais fait la paix avec mon identité, j’avais retrouvé le maillon manquant après 26 ans. Alors contre l’avis de tous, sauf celui de ma mère qui comprenait mon amour pour cette terre, et mon doctorat en main, mes rêves dans la tête, j’allais conquérir le monde à partir du Liban. J’ai profité de ton ciel, de ton soleil, de tes plages, de tes montagnes, de tes fruits, de tes fleurs, de ton air, de ta terre sacrée remplie d’une énergie incomparable, j’ai profité de ta joie de vivre, de ta tendresse, de ta fête, j’ai profité de toi… et je suis partie au moment où tu souffrais le plus, au moment où tu saignais, au moment où chaque parcelle de ta terre pleurait, à force de coups et de blessures. Mais devant ma lâcheté, ma faiblesse, ma peur, mon incertitude, je te supplie de me pardonner parce que je t’aime. Je t’aime de tout mon cœur et je souffre avec toi à l’intérieur de moi comme chacun de nous qui t’avons quitté. Tu es notre mère à tous, et quand on te fait du mal, nous te pleurons, nous tes enfants, car on a mal aussi. Mais tout cela est tellement énorme par rapport à moi. Je voudrais parler à Olmert, à Bush, à Nasrallah, à Lahoud… ainsi qu’à tous les dirigeants du Liban et du monde. Je voudrais leur faire lire ce qu’il y a dans mon cœur, car mes mots sont insuffisants. Je voudrais leur montrer cet amour que je porte à ma terre et la souffrance et la honte qui y habitent maintenant. Je voudrais leur dire : c’est bon ! On a compris qu’il faut qu’on change radicalement notre système, nous, les Libanais. Qu’il y a quelque chose qui s’appelle le patriotisme, la dignité qui doivent s’inscrire dans chacun de nous. Qu’il faut qu’on arrête d’encourager, en laissant faire, ces dirigeants libanais corrompus qui ne font que se corriger les virgules dans leurs discours inutiles et commencer à réfléchir un peu au-delà des intérêts propres à chacun, mais à l’intérêt d’une nation. Alors, je ne peux que prier maintenant et espérer très fort que tout ce sang versé, ces familles détruites, ces Gebran Tuéni et autres assassinés, ces efforts détruits, ce temps et cet argent gaspillé, tout cela serve à quelque chose. Qu’ils servent à réveiller notre conscience, notre dignité, notre citoyenneté, notre intégrité et nous secouent tellement fort pour que plus jamais une telle chose ne se reproduise. Pour qu’aujourd’hui enfin, on puisse venir à bout de cette destinée sanglante que l’on traîne depuis si longtemps, en comprenant enfin la leçon afin qu’elle ne se répète plus. Et je jure devant Dieu que je reviendrais. Je reviendrais pour t’aider, ô doux Liban ; à te reconstruire, à traiter ta souffrance, à panser tes plaies, à soigner le cœur de tes enfants, tes orphelins, à reconsolider ta terre, à nettoyer ta mer. Je serais là et j’amènerai tout le monde avec moi. Je te promets que nous ferons tout notre possible pour ne plus être des citoyens lâches et égoïstes avec des œillères et du cérumen dans les oreilles. Je te promets qu’on développera la tolérance et l’acceptation de l’autre. Que Dieu accueille tous nos défunts, qu’Il protège nos orphelins, nos femmes et nos hommes qui souffrent physiquement et psychologiquement. Que Dieu transforme notre colère, notre désespoir, notre haine en acceptation, amour et compassion. Que Dieu écoute nos prières et permette au Liban de pouvoir ressusciter encore plus fort que jamais en nous disant très fort : réveille-toi, ô peuple, ta terre t’appelle au secours. Amen. Dana NAMMOUR
Je me sens vidée, sans énergie, je ne supporte plus les images, les informations, les discussions à propos du Liban. Ma peine, ma souffrance me ronge et je n’arrive pas à l’évacuer, à l’extérioriser.
Voila des semaines que je suis à Paris. Je pensais pouvoir enfin dormir tranquille, à tête reposée, dans mon lit confortable. Mais mon cœur et ma tête sont restés...